Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Etat du Nouveau-Mexique, agissant par l'intermédiaire du New Mexico State Investment Council, a demandé au tribunal administratif de Montreuil, dans une première affaire, de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés au cours des années 2015 et 2016 et, dans une seconde affaire, de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés au cours des années 2012 à 2014.
Par un jugement nos 1807353 et 1900559 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes présentées par l'Etat du Nouveau-Mexique.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mars 2023 et 6 novembre 2023, l'Etat du Nouveau-Mexique, agissant par l'intermédiaire du New Mexico State Investment Council, représenté par la société Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1807353 et 1900559 du 6 décembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés au cours des années 2012 à 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est entaché d'une omission à statuer et d'une insuffisance de motivation dès lors qu'il semble déduire de l'argumentation de l'administration fiscale, sans se la réapproprier et sans opérer de construction juridique propre, qu'il ne constitue pas un Etat étranger souverain au sens et pour l'application de l'article 131 sexies du code général des impôts ;
- les retenues à la source en litige procèdent d'une inexacte application de l'article 131 sexies du code général des impôts dès lors que, contrairement à ce qu'a estimé l'administration et à ce qu'a jugé le tribunal, il constitue un Etat souverain au sens de ces dispositions ;
- l'article 131 sexies du code général des impôts, en ce qu'il introduit une discrimination sans rapport avec l'objet de la loi, est contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui garantit la liberté de circulation des capitaux.
Par des mémoires en défense enregistrés les 20 juin 2023 et 1er décembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'Etat du Nouveau-Mexique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 3 avril 2025 :
- le rapport de Mme Milon,
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique,
- et les observations de Me Locatelli, représentant l'Etat du Nouveau-Mexique.
Considérant ce qui suit :
1. L'Etat du Nouveau-Mexique, Etat fédéré des Etats-Unis, a perçu, au cours des années 2012 à 2016, des dividendes de source française qui ont été soumis à des retenues à la source. Son conseil a présenté, au nom des représentants du " State of New Mexico State Investment Council ", en 2014 et en 2017, des réclamations tendant à la restitution de ces retenues à la source, en se prévalant des dispositions du I de l'article 131 sexies du code général des impôts. Ces réclamations ont été rejetées par la direction des impôts des non-résidents. L'Etat du Nouveau-Mexique, agissant par l'intermédiaire du New Mexico State Investment Council, a alors demandé au tribunal administratif de Montreuil de lui restituer ces retenues à la source. Il fait appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des motifs du jugement attaqué qu'après avoir analysé, au point 5, les arguments invoqués par l'Etat du Nouveau-Mexique, le tribunal, pour conclure, au point 6, que cet Etat ne pouvait être regardé comme un Etat étranger souverain au sens et pour l'application du I de l'article 131 sexies du code général des impôt, a d'abord fait sien l'argument, avancé par l'administration fiscale, selon lequel la notion de souveraineté d'un Etat étranger au sens de ces dispositions devait être analysée exclusivement au regard du droit international et qu'à cet égard, l'article 6 de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique fait prévaloir l'exercice de la souveraineté internationale, laquelle appartient au seul Etat fédéral, sur les constitutions et lois des Etats fédérés. Le tribunal a relevé, à ce titre, que les stipulations de la convention fiscale franco-américaine prévoient que les termes " Etat contractant " désignent, selon le cas, la France ou les Etats-Unis, et que le c) de l'article 3 de cette convention précise que le terme " Etats-Unis " désigne " les Etats-Unis d'Amérique, mais ne comprend pas Porto Rico, les Iles Vierges, Guam ni aucun autre territoire ou possession des Etats-Unis ". Enfin, le tribunal a relevé que l'article 2 de la convention de Montevideo stipule que l'Etat fédéral constitue une seule personne au regard du droit international, et que l'Etat du Nouveau-Mexique ne dispose pas d'une banque centrale, tandis que le I de l'article 131 sexies du code général des impôts prévoit que le régime d'exonération bénéficie aux Etats souverains étrangers, mais aussi aux banques centrales de ces Etats. Par suite, le tribunal a énoncé les éléments sur lesquels il s'est fondé pour considérer que l'Etat du Nouveau-Mexique ne constitue pas un Etat étranger souverain au sens et pour l'application de l'article 131 sexies du code général des impôts. Le jugement attaqué n'est, dès lors, pas entaché d'une insuffisance de motivation. Par ailleurs, ce jugement, qui répond aux moyens soulevés en première instance, n'est pas entaché d'une omission à statuer. L'irrégularité alléguée doit donc être écartée.
Sur le bien-fondé des retenues à la source en litige :
4. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...). Toutefois, aux termes du I de l'article 131 sexies du même code : " Les produits d'actions, de parts sociales ou de parts bénéficiaires distribués par des sociétés françaises, ainsi que les produits mentionnés à l'article 118, qui bénéficient à des organisations internationales, à des Etats souverains étrangers ou aux banques centrales de ces Etats, sont exonérés des retenues à la source prévues aux 1 et 2 de l'article 119 bis et du prélèvement prévu au III de l'article 125 A. ".
5. Il résulte de l'instruction que la Constitution de l'Etat du Nouveau-Mexique, adoptée le 21 janvier 1911, prévoit que cet Etat dispose d'un territoire déterminé, que la souveraineté appartient au peuple de cet Etat et que le gouverneur s'assure du respect de la bonne exécution des lois. Par ailleurs, le dixième amendement de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique pose le principe d'une compétence générale des Etats fédérés et d'une compétence d'attribution de l'Etat fédéral. Toutefois, d'une part, il résulte de l'arrêt rendu en 1869 par la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire " Texas v. White ", dont les principes n'ont pas été remis en cause, que l'Union américaine est perpétuelle et indissoluble et que la Constitution américaine n'autorise pas les Etats fédérés à faire, de manière unilatérale, sécession. Il en résulte que l'Etat fédéral des Etats-Unis, auxquels les Etats fédérés ont ainsi abandonné la " compétence de la compétence ", dispose, seul, de l'ensemble des attributs de la souveraineté. D'autre part, l'Etat du Nouveau-Mexique n'est pas reconnu comme un Etat par la France. Dès lors, il ne constitue pas un Etat étranger souverain au sens et pour l'application du I de l'article 131 sexies du code général des impôts et il n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'il pouvait prétendre au dispositif d'exonération des retenues à la source sur les produits distribués par les sociétés françaises ouvert, par ces dispositions, aux Etats étrangers souverains.
6. En second lieu, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. / (...) ".
7. Les mesures interdites par cet article, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de procéder à des investissements dans un Etat membre, qu'elles introduisent une différence de traitement entre résidents et non-résidents (" restrictions directes "), ou que, bien qu'indistinctement applicables aux résidents et aux non-résidents, elles défavorisent, de fait, les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes (" restrictions indirectes ").
8. Le dispositif d'exonération des retenues à la source perçues sur les produits distribués par les sociétés françaises, prévu au I de l'article 131 sexies du code général des impôts, en tant qu'il ne bénéficie notamment ni aux Etats fédérés, qui ne peuvent être regardés comme des Etats souverains, ni aux autres collectivités publiques, peut certes dissuader ces entités, exclues de ce dispositif, de procéder à des investissements dans des sociétés françaises. Toutefois, sont également exclus de ce dispositif les investisseurs résidant en France, à l'exception de l'Etat français lui-même, et les investisseurs étrangers, à l'exception des Etats étrangers souverains, de leurs banques centrales et des organisations internationales. Dès lors, le dispositif en cause n'a ni pour objet, ni pour effet, de dissuader davantage les non-résidents d'investir dans des sociétés françaises. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que ce dispositif défavoriserait, de fait, les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes.
9. L'Etat du Nouveau-Mexique fait valoir, en particulier, qu'en ce qu'ils sont exclus du dispositif prévu à l'article 131 sexies du code général des impôts, les Etats fédérés et les entités gouvernementales de ces Etats seraient victimes d'une différence de traitement injustifiée par rapport à la situation alors réservée aux collectivités territoriales françaises. Toutefois, d'une part, il résulte du 1 de l'article 206 et de l'article 1654 du code général des impôts que les organismes des départements et des communes se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, de même que les exploitations industrielles ou commerciales de toutes les collectivités territoriales, sont passibles de l'impôt sur les sociétés. D'autre part, il résulte des dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux années en litige, notamment s'agissant des communes des articles L. 2253-1 et L. 2253-2, que ces collectivités ne peuvent pas détenir de participations dans le capital d'une société commerciale, sous réserve d'exceptions limitées, en vue de l'exploitation de services communaux ou départementaux ou d'activités d'intérêt général concourant à l'exercice des compétences qui leur sont reconnues par la loi, et en aucun cas dans un but de placement de capitaux. Dans ces conditions, l'Etat du Nouveau-Mexique, qui n'apporte aucune précision au soutien de son argumentation, n'est pas fondé à soutenir que, lorsqu'ils investissent dans des sociétés françaises, les Etats fédérés et les entités gouvernementales de ces Etats seraient défavorisés par rapport aux collectivités territoriales françaises en ce qui concerne l'imposition des revenus tirés de ces investissements.
10. Au regard de l'ensemble des éléments mentionnés aux points 7 à 9, les dispositions en litige de l'article 131 sexies du code général des impôts ne peuvent donc être regardées comme étant à l'origine d'une différence de traitement contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
11. Il résulte de ce qui précède que l'Etat du Nouveau-Mexique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également, par conséquent, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'Etat du Nouveau-Mexique est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etat du Nouveau-Mexique, agissant par l'intermédiaire du New Mexico State Investment Council, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Copie en sera adressée à la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 21 mai 2025.
La rapporteure,
A. MILONLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01314