Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2024 par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.
Par un jugement n° 2426498 du 8 novembre 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 6 décembre 2024 et 26 mars 2025, M. B..., représenté par Me Lemichel, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 2426498 du 8 novembre 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
3°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2024 par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de résident dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une erreur de fait et d'une dénaturation des pièces du dossier ;
- la décision contestée est entachée d'un défaut de motivation et d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît son droit d'être entendu, les droits de la défense et la bonne administration ;
- elle est entachée d'une dénaturation des pièces du dossier ou d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L.612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 424-3 4° du même code ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2025, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 18 février 2025.
Par une ordonnance du 28 février 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brémeau-Manesme, rapporteure, a été entendu en audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant ivoirien né le 28 octobre 1998, est entré sur le territoire français en janvier 2021 selon ses déclarations. Par un arrêté du 14 décembre 2022, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par un arrêté du 26 septembre 2024, le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. M. B... fait appel du jugement du 8 novembre 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 septembre 2024.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 18 février 2025. Ainsi, ses conclusions tendant à ce qu'il soit admis à l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., le jugement attaqué, qui n'était pas tenu de faire mention de l'ensemble des éléments versés au dossier et des arguments de l'intéressé, est suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative.
4. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. En l'espèce, si le requérant soutient que le tribunal, en estimant qu'il ne justifiait pas de ses liens avec son épouse et ses enfants, aurait dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de fait, de tels moyens, qui se rattachent en réalité au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges et ne sont pas de nature à affecter la régularité du jugement, ne peuvent qu'être écartés.
Sur la légalité de la décision contestée :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En outre, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Pour prononcer une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police a retenu que le délai de départ volontaire accordé à M. B... pour mettre à exécution son obligation de quitter le territoire français du 14 décembre 2022 était expiré et qu'il n'avait pas mis à exécution cet arrêté. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la fille du requérant, Sarah B..., née le 26 septembre 2023, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 27 septembre 2024 annulant la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 26 mars 2024 et qu'elle a ainsi vocation à rester sur le territoire français. Dans ces conditions, eu égard à l'impossibilité pour la cellule familiale que Sarah B... forme avec ses parents et sa sœur de se reconstituer dans le pays dont M. B... a la nationalité, et alors que l'intérêt supérieur de l'enfant justifie que son père puisse rester en France à leurs côtés, le requérant justifie de circonstances humanitaires faisant obstacle à la décision contestée. Par suite doivent être accueillis les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation ainsi que de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, que le préfet de police réexamine la situation de M. B.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2426498 du 8 novembre 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 26 septembre 2024 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ainsi qu'au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président assesseur,
- Mme Hélène Brémeau-Manesme, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mai 2025.
La rapporteure,
H. BREMEAU-MANESME
Le président,
I. LUBEN
La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA05033 2