Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... A..., Mme E... A..., Mme C... A..., M. D... A... et M. H... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 26 janvier 2023 par lesquelles l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores a rejeté leurs demandes de délivrance de passeport.
Par un jugement nos 2223433, 2306703 du 28 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions et a enjoint à l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores de délivrer aux requérants des passeports dans un délai de trois mois à compter de sa notification et de prendre toute mesure propre à mettre fin à leur signalement effectué sur le fondement du 4° du IV du décret du 28 mai 2010 dans le fichier des personnes recherchées dans le délai d'un mois à compter de cette notification.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête enregistrée le 29 août 2024 sous le n° 24PA03860, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 2223433, 2306703 du 28 juin 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par les consorts A....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation des faits motivant sa décision ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'absence de prise en compte de l'ensemble des éléments relatifs à la situation des demandeurs.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2024 et régularisé le 23 décembre 2024 et un mémoire complémentaire, enregistré le 5 mars 2025, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, les consorts A..., représentés par Me Dravigny, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- en cas de doute sur le lien de filiation entre les requérants et M. D... A..., il convient de poser une question préjudicielle au juge judiciaire.
Par ordonnance du 18 février 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 mars 2025 à 12 heures.
Un mémoire et des pièces complémentaires ont été produits les 20 et 21 mars 2025 par les consorts A..., postérieurement à la clôture de l'instruction.
II - Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 29 août 2024 et 23 janvier 2025 sous le n° 24PA03861, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris nos 2223433, 2306703 du 28 juin 2024.
Il soutient qu'il fait état de moyens sérieux.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2024 et régularisé le 23 décembre 2024, les consorts A..., représentés par Me Dravigny, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de procédure civile ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;
- le décret n° 2008-521 du 2 juin 2008 relatif aux attributions des autorités diplomatiques et consulaires françaises en matière d'état civil ;
- le décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l'état civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Irène Jasmin-Sverdlin,
- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de Mme B..., représentant le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Les consorts A... ont produit le 9 avril 2025 une note en délibéré dans la requête no 24PA03860.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... A..., Mme E... A... et M. D... A..., en qualité de représentant légal de Mme C... A... et M. H... A..., alors mineurs, ont sollicité, le 4 avril 2022, de l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores, la délivrance de passeports français. Des décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé sur ces demandes, auxquelles se sont substituées des décisions expresses de rejet le 26 janvier 2023. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères relève appel du jugement du 28 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions et a enjoint à l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores de leur délivrer des passeports dans un délai de trois mois à compter de sa notification et de prendre, dans le délai d'un mois, toute mesure propre à mettre fin au signalement effectué sur le fondement du 4° du décret du 28 mai 2010, et demande à ce qu'il soit sursis à son exécution.
Sur la jonction des requêtes :
2. Les requêtes nos 24PA03860 et 24PA03861 présentées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
3. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 24PA03860, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 24PA03861.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
4. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ne peut donc utilement se prévaloir d'erreurs manifestes d'appréciation commises par les premiers juges pour invoquer l'irrégularité du jugement attaqué. Ces moyens seront écartés comme inopérants.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
5. D'une part, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Aux termes de l'article 47 de ce code : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. " L'article 4 du décret du 30 décembre 2005 dispose : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. (...) ". Selon l'article 5 de ce décret : " I.- En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : (...) 4° Ou à défaut de produire l'un des titres mentionnés aux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation (...). / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II.- La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ".
6. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance de passeport. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur la décision par laquelle l'autorité administrative refuse de délivrer ou de renouveler un passeport. Saisi d'une contestation d'un refus de délivrer un passeport à une personne, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de rechercher si les pièces produites par l'intéressé sont de nature à établir sa nationalité selon les modalités prévues par l'article 5 du décret du 30 décembre 2005, et non d'apprécier directement la nationalité du demandeur.
7. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 24 du décret du 6 mai 2017 relatif à l'état civil : " Les actes de l'état civil des personnes de nationalité française dressés en pays étranger sont transcrits soit d'office ou à la demande des intéressés sur les registres de l'état civil de l'année courante tenus par les autorités diplomatiques ou consulaires territorialement compétentes (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article 5 du décret du 2 juin 2008 relatif aux attributions des autorités diplomatiques et consulaires françaises en matière d'état civil, les agents relevant des autorités diplomatiques et consulaires françaises à l'étranger, qui ont la qualité d'officier de l'état civil en vertu de l'article 1er de ce décret, " transcrivent également sur ces registres [les registres de l'état civil consulaire] les actes concernant les Français, établis par les autorités locales, lorsqu'ils sont conformes aux dispositions de l'article 47 du code civil et sous réserve qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public. ".
8 Il résulte de ces dispositions qu'un extrait d'acte de naissance transcrit sur les registres de l'état civil consulaire doit être regardé comme faisant ressortir la nationalité française du demandeur au sens et pour l'application du I de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005. Il appartient toutefois à l'administration de rejeter la demande de passeport s'il existe un doute suffisant sur sa nationalité.
9. En l'espèce, pour annuler les décisions du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, les premiers juges ont relevé que les actes de naissance des consorts A... avaient été transcrits le 29 mars 2022 à l'état-civil français et que les éléments produits en défense ne permettaient pas de remettre en cause la réalité de leur lien de filiation avec M. D... A..., de nationalité française. Il ressort toutefois des pièces produites en appel par le ministre que le directeur des services de greffe judiciaires au tribunal de grande instance de Paris a, par des décisions du 29 décembre 2022, refusé de délivrer les certificats de nationalité française sollicités par les consorts A... au motif que les actes d'état civil présentés à l'appui de leurs demandes présentaient plusieurs incohérences et ne pouvaient ainsi se voir reconnaître la force probante prévue par l'article 47 du code civil. Ces refus de délivrance de certificats de nationalité française, que les demandeurs n'établissent au demeurant pas avoir contesté devant le juge judiciaire, sont de nature à jeter un doute suffisant sur l'authenticité des actes d'état civil des intéressés, quand bien même ceux-ci ont été transcrits sur les registres français d'état civil, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères faisant, du reste, valoir qu'il a saisi le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes d'une demande d'annulation de ces transcriptions le 1er avril 2024. Dans ces conditions, l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores, en estimant qu'il existait un doute suffisant sur la nationalité française des consorts A..., n'a pas entaché ses décisions du 26 janvier 2023 de refus de délivrance de passeports français d'erreur d'appréciation.
10. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par les consorts A... devant le tribunal administratif.
11. Les décisions du 26 janvier 2023, qui se sont substituées aux décisions implicites du rejet de l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores, ont été signées par M. F... G..., agent consulaire, qui disposait d'une délégation du 6 septembre 2022 du consul de France à Moroni aux fins notamment de signer les décisions relatives aux demandes de passeport et de carte nationale d'identité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions litigieuses doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de transmettre une question préjudicielle au juge judiciaire, que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris annulé les décisions du 26 janvier 2023 et a enjoint à l'ambassadeur de France auprès de l'Union des Comores de délivrer aux consorts A... des passeports dans un délai de trois mois à compter de sa notification. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Paris, de même que leurs conclusions présentées en appel à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA03861.
Article 2 : Le jugement nos 2223433, 2306703 du 28 juin 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : Les demandes présentées par les consorts A... devant le tribunal administratif de Paris et leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. I... A..., premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée au consulat de France auprès de l'Union des Comores.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
M. Ivan Luben, président de chambre,
M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.
La rapporteure,
I. JASMIN-SVERDLINLe président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24PA03860, 24PA03861