Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... B... veuve C..., M. F... C..., Mme E... C..., et la société civile immobilière Honnors ont demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision de la maire de Paris en date du 27 janvier 2022 de préempter l'immeuble situé 24, place du Marché Saint-Honoré à Paris 1er, cadastré AZ 84 et, d'autre part, d'enjoindre à la Ville de Paris de proposer d'acquérir le bien préempté aux vendeurs, puis à l'acquéreur évincé, au prix auquel elle l'aura elle-même acquis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2205722/4-2 du 27 novembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 janvier et 21 juin 2024, Mme B... veuve C... et les autres requérants, représentés par Me Jorion, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2205722/4-2 du 27 novembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision de préemption du 27 janvier 2022 ;
3°) d'enjoindre à la Ville de Paris de proposer d'acquérir le bien préempté aux vendeurs, puis à l'acquéreur évincé, au prix auquel elle l'aura elle-même acquis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement aux requérants de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les requérants soutiennent que :
- la décision contestée est entachée d'incompétence de son signataire, dès lors que la maire de Paris ne peut subdéléguer son pouvoir de préemption qu'à l'occasion de l'aliénation d'un bien spécifiquement désigné et que l'arrêté du15 février 2021 prévoit une subdélégation générale ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure, en l'absence de preuve de la réception effective de l'avis du service des domaines préalablement à son édiction ;
- cette décision est insuffisamment motivée et ne révèle pas un projet réel, en méconnaissance des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- il y a lieu d'enjoindre à la Ville de Paris de proposer le bien en cause aux anciens propriétaires, puis à l'acquéreur évincé, au prix auquel elle aura acquis ce bien.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2024, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Irène Jasmin-Sverdlin,
- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,
- les observations de Me Jorion, avocat des requérants,
- et les observations de Me Falala, avocat de la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... B..., veuve C... et ses deux enfants, M. F... C... et Mme E... C..., sont propriétaires d'un immeuble situé 24, place du Marché Saint-Honoré à Paris (1er arrondissement), cadastré AZ 84, d'une superficie totale de 888,20 m2 répartie sur sept niveaux et comportant deux locaux commerciaux et quinze appartements. A la suite du décès de son époux, M. A... C..., Mme G... B... veuve C... est devenue usufruitière de ce bien et M. F... C... et Mme E... C... nus-propriétaires. Les consorts C..., qui ont souhaité céder leur immeuble à une société civile immobilière, la SCI Honnors, dont ils sont les seuls actionnaires, pour un montant de 7 680 000 euros, ont notifié à la Ville de Paris une déclaration d'intention d'aliéner l'immeuble concerné à cette société. Cette déclaration ayant été réceptionnée par la Ville le 29 novembre 2021, celle-ci a, par une décision du 27 janvier 2022, exercé le droit de préemption sur ledit immeuble, au prix de 7 680 000 euros. Mme B... veuve C... et les autres requérants relèvent appel du jugement n° 2205722/4-2 du 27 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues aux articles L. 211-2 à L. 211-2-3 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal ; (...) ". L'article L. 2122-23 de ce code dispose : " (...) Sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire dans les conditions fixées à l'article L. 2122-18. (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 2122-18 dudit code : " Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal. ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2511-27 du même code : " (...) le maire de Paris peut donner sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature au directeur général des services (...) ou de la Ville de Paris et aux responsables de services communaux. ".
3. Par une délibération 2020 DDCT 17 du 3 juillet 2020, le conseil de Paris a délégué au maire la compétence pour " exercer au nom de la Ville de Paris, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que celle-ci en soit titulaire ou délégataire, ainsi que déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien (...) ". Par arrêté du 15 février 2021, régulièrement publié au bulletin municipal officiel du 23 février suivant, la maire de Paris a délégué sa signature à Mme Marie Villette, secrétaire générale, qui est responsable d'un service communal au sens des dispositions précitées de l'article L. 2511-27 du code général des collectivités territoriales, pour signer notamment les décisions de préemption prévues par le code de l'urbanisme. Les requérants ne peuvent utilement soutenir que la délégation consentie à Mme D..., signataire de la décision attaquée, était trop générale et qu'une délégation particulière aurait dû lui être consentie à l'occasion de l'aliénation du bien en cause, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, ces dispositions étant inapplicables s'agissant d'une délégation de signature du maire au responsable d'un service communal. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que Mme Marie Villette n'avait pas compétence pour signer la décision de préemption du 27 janvier 2022 contestée est inopérant et doit, en conséquence, être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. / (...) / L'avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition / (...). ".
5. Mme B... veuve C... et les autres requérants soutiennent que la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en ce que rien ne permet d'établir que l'avis de la direction départementale des finances publiques requis par l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme daté du 14 janvier 2022 a été réceptionné par la Ville de Paris, faute de preuve de la date de sa réception, ni en tout état de cause, que celle-ci a disposé d'un délai suffisant pour examiner cet avis.
6. La consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner.
7. Il ressort des pièces du dossier que, saisi le 14 décembre 2021 par la maire de Paris d'une demande d'avis sur le fondement des dispositions précitées, le service local du domaine a émis, le 14 janvier 2022, l'avis ainsi sollicité, lequel était favorable à l'acquisition projetée au prix de 7 680 000 euros, cet avis ayant été reçu par la Ville de Paris le même jour, soit antérieurement à l'édiction de la décision attaquée. En conséquence, nonobstant la circonstance que la décision attaquée ne vise pas l'avis du service du domaine, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa version alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. (...). ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code dans sa version alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, (...) de permettre le renouvellement urbain (...). ".
9. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit si, d'une part, elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. À cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
10. D'une part, la décision contestée se réfère aux articles L. 210-1, L. 210-2, R. 211-1 et suivants et R. 213-4 et suivants du code de l'urbanisme et mentionne la délibération du Conseil de Paris n° DU 2006-127 des 16 et 17 octobre 2006 instaurant le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d'urbanisme et sur les périmètres des plans de sauvegarde et de mise en valeur du Marais (3ème et 4ème arrondissements) et du 7ème arrondissement ainsi que les délibérations n° 2011 DLH 89 des 28, 29 et 30 mars 2011 adoptant le programme local de l'habitat et n° 2015 DLH 19 des 9, 10 et 11 février 2015, modifiant ce programme. Elle relève que la préemption a pour objet de réaliser un programme comportant environ 14 logements locatifs sociaux et deux commerces et que l'immeuble est situé dans le premier arrondissement caractérisé par un taux de logements sociaux de 11,4 % au 1er janvier 2020, alors que l'accroissement de la part de tels logements y constitue un des objectifs de la politique de l'habitat, afin de se rapprocher du seuil de 25% fixé par l'article L. 320-5 du code de la construction et de l'habitation. Il résulte de ce qui précède que contrairement à ce que soutiennent les requérants, la décision litigieuse est suffisamment motivée en droit comme en fait.
11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la direction du logement et de l'habitat de la Ville de Paris a réalisé, le 7 janvier 2022, soit antérieurement à la décision litigieuse, une étude de faisabilité qui mentionne que le bailleur pré-titré de l'immeuble est la société Elogie-Siemp, bailleur social de la Ville, et que l'immeuble concerné est situé dans un quartier très déficitaire en logement social. En effet, le programme local de l'habitat adopté par délibération du Conseil de Paris des 28 et 29 mars 2011, modifiée par délibération de ce conseil des 9 et 10 février 2015, relève que, " avec 8,6 % de logements sociaux (soit 848 logements sociaux SRU au 1er janvier 2013), le 1er arrondissement est encore largement déficitaire " et précise que " compte tenu des faibles ressources foncières encore mobilisables dans l'arrondissement, toutes les voies permettant de créer des logements sociaux seront exploitées et notamment l'usage du droit de préemption urbain (...) ". Au demeurant, un bail emphytéotique a été signé par la Ville de Paris au profit de la société Elogie-Siemp le 1er juillet 2022, postérieurement à la décision attaquée. Le moyen tiré de l'absence de réalité du projet ne peut dès lors qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... veuve C... et les autres requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. La Ville de Paris n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de Mme B... veuve C... et des autres requérants tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge des requérants, pris globalement, le versement à la Ville de Paris d'une somme totale de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance, sur le fondement de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... veuve C... et des autres requérants est rejetée.
Article 2 : Mme B... veuve C... et les autres requérants, pris globalement, verseront une somme totale de 1 500 euros à la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B... veuve C..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.
La rapporteure,
I. JASMIN-SVERDLINLe président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00375