Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Francis E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 145 868,61 euros en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont il a été l'objet à compter du 26 septembre 2014 à l'hôpital Henri Mondor.
Par un mémoire, enregistré le 1er septembre 2021 au greffe du tribunal administratif de Melun, Mme D... A... veuve E..., Mme B... E..., M. H... E... et Mme J... E..., ont déclaré reprendre l'instance engagée par Francis E..., décédé
le 11 juin 2021.
Par un jugement du 7 avril 2023, le tribunal administratif de Melun, après avoir jugé que la responsabilité pour faute de l'AP-HP était engagée à l'égard de Francis E... en raison d'un défaut d'information et d'une prise en charge fautive des conséquences dommageables de l'accident médical dont il a été victime le 26 septembre 2014 à l'hôpital Henri Mondor, a ordonné avant dire droit un complément d'expertise médicale.
Par un jugement n° 1905656 du 17 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP-HP à payer aux héritiers de Francis E... une somme de 19 831,39 euros.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA00173, le 10 janvier 2024 et des mémoires en réplique enregistrés le 26 avril 2024 et le 21 mars 2025, Mme D... A... veuve E..., Mme B... E..., M. H... E... et Mme J... E..., représentés par Me Airoldi-Martin, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1905656 du 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun, en ce qu'il a limité le montant de leurs indemnisations ;
2°) à titre principal, de condamner l'AP-HP à leur verser la somme de 145 871,61 euros en réparation de 50% du préjudice total subi par Francis E... ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'AP-HP à leur verser la somme de 84 507 euros en réparation de 51% de l'indemnisation de 165 700 euros retenue par le tribunal au titre du préjudice subi par Francis E....
Ils soutiennent que :
- l'AP-HP qui n'avait jusqu'alors pas critiqué l'expertise, n'est pas fondée à soutenir que les experts se seraient mépris sur leur mission ;
- la responsabilité de l'AP-HP doit être retenue à hauteur de 50% dans la réalisation du préjudice subi par Francis E... ;
- c'est à tort que le tribunal a déduit des sommes dues par l'AP-HP en réparation des conséquences de sa faute, l'indemnité déjà versée par G... au titre de l'aléa thérapeutique dès lors qu'il s'agit de deux postes distincts ;
- l'AP-HP doit être condamnée à leur verser la somme de 145 871,61 euros correspondant à 50% du préjudice total subi par Francis E... tel qu'estimé par G..., soit 291 743,22 euros ;
- à titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que le tribunal a fait une juste appréciation du montant total du préjudice de Francis E... en l'évaluant à 165 700 euros, l'AP-HP devra leur verser 51% de cette somme, soit 84 507 euros ;
Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2024, l'AP-HP, représentée par
Me Tsouderos, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à titre subsidiaire à ce que la Cour ramène le montant des demandes à de plus justes proportions.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 18 février 2025, G... représenté par Me Saumon conclut à sa mise hors de cause et au rejet de la requête de l'AP-HP.
Il soutient que :
- aucune demande n'est dirigée contre lui dans la requête des consorts E... ;
- le jugement attaqué par l'AP-HP doit être confirmé en ce qu'il l'a mis hors de cause dès lors qu'une transaction était intervenue entre G... et M. E... pour les postes de préjudices lui incombant.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne qui n'a pas produit de mémoire.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA00300, le 18 janvier 2024, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour :
1°) d'annuler les jugements n° 1905656 des 7 avril 2023 et 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter les demandes de la CPAM de Seine-et-Marne ;
3°) de ramener les sommes allouées aux consorts E... à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu une perte de chance fixée à 51% d'éviter les conséquences liées aux complications survenues alors que le défaut d'information n'a été à l'origine que d'un préjudice d'impréparation susceptible de justifier l'octroi d'une indemnité de l'ordre de 3 000 euros ; en tout état de cause, la perte de chance ne saurait excéder 10% ;
- aucune faute technique ne saurait être retenue comme l'avaient estimé les experts désignés par le juge des référés ;
- aucune faute dans la prise en charge de la complication ne saurait être davantage retenue ;
- elle ne saurait être condamnée à rembourser à la CPAM les frais d'hospitalisation entre le 26 septembre 2014 et la date de l'hypothétique faute technique qu'à hauteur de la perte de chance correspondant au seul défaut d'information.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 mars 2024, Mme D... A... veuve E..., Mme B... E..., M. H... E... et Mme J... E..., représentés par Me Airoldi-Martin, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 18 février 2025, G... représenté par Me Saumon, conclut à sa mise hors de cause et au rejet de la requête de l'AP-HP.
Il soutient que :
- aucune demande n'est dirigée contre lui ;
- le jugement attaqué par l'AP-HP doit être confirmé en ce qu'il l'a mis hors de cause dès lors qu'une transaction est intervenue entre G... et M. E... pour les postes de préjudices lui incombant.
Par un mémoire enregistré le 5 août 2024 la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, représentée par Me Archambault, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 468 278,62 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 2019, ainsi que la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête de l'AP-HP ne sont pas fondés et qu'elle établit le montant de ses débours en lien avec les fautes de cette dernière.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 23 décembre 2024 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2025 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Airoldi-Martin, représentant les consorts N....
Considérant ce qui suit :
1. Francis E... né le 22 mai 1947 et alors âgé de 67 ans, a été pris en charge le 24 septembre 2014 par l'hôpital Henri Mondor, qui relève de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), pour y subir le 26 septembre suivant une intervention chirurgicale consistant en une ablation de fibrillation auriculaire par radiofréquence. Il a ensuite présenté une fistule oeso-cardiaque révélée par trois épisodes d'embolie gazeuse digestive, neurologique et coronaire, qui ont donné lieu notamment à des traitements chirurgicaux. Saisi par Francis E..., le juge des référés du tribunal administratif de Melun, a, par ordonnance du 13 avril 2016, ordonné une expertise dont le rapport a été rendu le 4 octobre 2017. Le 14 février 2018, Francis E... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) d'Île-de-France, qui a diligenté une nouvelle expertise confiée à un collège d'experts, et a, par un avis du
22 novembre 2018, invité l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (G...) et l'AP-HP à adresser à Francis E..., chacun et à part égale, une offre d'indemnisation en application de l'article
L. 1142-14 du code de la santé publique. G... a présenté à Francis E... une offre d'un montant de 69 916,13 euros correspondant à 50% de ses préjudices extra-patrimoniaux, puis une offre de 75 952,48 euros correspondant à 50% de ses préjudices patrimoniaux, au titre de la prise de charge de l'aléa thérapeutique dont il a été victime lors de sa prise en charge à l'hôpital Henri Mondor. L'AP-HP lui a proposé une indemnisation à hauteur de 3 000 euros correspondant au seul préjudice d'impréparation lié à un manquement au devoir d'information, que l'intéressé a refusée. Francis E..., qui est décédé le 11 juin 2021, avait demandé au tribunal de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 145 868,61 euros en réparation de son préjudice. Mme D... A... veuve E..., Mme B... E..., M. H... E... et Mme J... E..., agissant en qualité d'héritiers de Francis E... ont déclaré reprendre l'instance qu'il avait introduite. Par un jugement avant-dire droit du 7 avril 2023, le tribunal a jugé que la responsabilité fautive de l'AP-HP était engagée à l'égard de Francis E... et a ordonné un complément d'expertise en vue d'évaluer le taux de cette perte de chance. Par un jugement du 17 novembre 2023, le tribunal a fixé le taux global de perte de chance à 51% et condamné l'AP-HP à payer aux héritiers de Francis E... une somme de 19 831,39 euros. Par deux requêtes qu'il convient de joindre dès lors qu'elles sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune, les consorts N... relèvent appel du jugement du 17 novembre 2023 et l'AP-HP relève appel des jugements du 7 avril 2023 et du 17 novembre 2023.
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
En ce qui concerne le défaut d'information :
2. L'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
3. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
4. Il résulte de l'instruction et notamment des deux rapports d'expertise que la lésion de l'œsophage subie par Francis E... constitue un aléa thérapeutique connu, rare, et revêtant le caractère de risque grave, qui n'a pas été porté à la connaissance du patient. La seconde expertise du 3 juillet 2018 retient en outre qu'un traitement alternatif aurait pu être proposé au patient consistant en une cardioversion électrique simple avec poursuite du traitement antiarythmique par Amiodarone. Ainsi, si le manquement à l'obligation d'information est établi, il résulte de l'instruction que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, même informé du risque de complications œsophagiennes et de l'existence d'une alternative thérapeutique,
M. E... aurait consenti à l'intervention du 24 septembre 2014 dès lors que sa pathologie était résistante au traitement médicamenteux par Amiodarone lequel présentait à long terme un risque de lourdes complications, que le risque de lésions œsophagiennes, bien que d'une particulière gravité, présentait une occurrence très faible de l'ordre de 0,26 %, et qu'enfin, il avait subi avec succès peu de temps auparavant une intervention d'ablation par radiofréquence d'un foyer d'extrasystoles ventriculaires réalisée par le même chirurgien. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le manquement de l'hôpital à son obligation d'information n'a privé le patient d'aucune chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé, en renonçant à l'opération. Ce manquement est en revanche pour ce dernier, ainsi que l'ont admis la CCI et l'AP-HP elle-même, à l'origine d'un préjudice d'impréparation.
En ce qui concerne la faute médicale :
5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". En vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par G....
6. Si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que G... supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. Dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif. Par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1, et présentent notamment le caractère de gravité requis.
7. Ainsi qu'il a été dit, la lésion de l'œsophage subie par Francis E... à la suite de l'intervention réalisée le 14 septembre 2014 constitue un aléa thérapeutique. Si l'expert désigné par le juge des référés a estimé que la prise en charge des conséquences de cet accident médical avait été réalisée dans les règles de l'art, le collège d'experts désigné par la CCI a, pour sa part, estimé que la laparotomie exploratrice qui avait été réalisée n'était pas nécessaire pour reconnaître la cause de l'iléus dont avait été atteint la victime et que le diagnostic de fistule et sa prise en charge avaient été réalisés avec retard. Il résulte en effet de l'instruction que
M. E... a subi le 14 octobre 2014 une fibroscopie révélant un " défect œsophagien de 8 mm de diamètre " dont les experts de la CCI estiment qu'il permettait de s'orienter vers un diagnostic de perforation œsophagienne en lien avec la chirurgie cardiaque récente et de poser une indication opératoire. Si les experts judiciaires ont estimé quant à eux que l'examen ne révélait qu'une perforation incomplète n'imposant pas d'intervention chirurgicale immédiate, le scanner abdominal réalisé le lendemain a confirmé la possibilité d'une fistule sans que les équipes médicales n'en tirent de conséquences immédiates. Ce n'est qu'à la suite de la survenue d'un accident vasculaire cérébral et coronarien, le 16 octobre 2014, que les médecins ont formellement conclu au diagnostic de fistule sur embolie gazeuse et décidé d'une chirurgie digestive réalisée le lendemain. En conséquence, dès lors que les fistules œsophagiennes constituent des complications connues de l'ablation par radiofréquence, le retard de diagnostic de cet accident constitue une faute à l'origine pour Francis E... d'une perte de chance de bénéficier de la prise en charge immédiate que nécessitait son état.
Sur le taux de perte de chance :
8. Il résulte de l'instruction que même diagnostiquée à temps et prise en charge dans des conditions optimales, la fistule œsophagienne entraîne un taux de mortalité estimé entre 60 et 83 % et que ce taux est particulièrement élevé chez les sujets âgés qui peuvent présenter des risques de décompensation dans les suites de la chirurgie digestive. Par suite, dès lors que
M. E... était âgé de 67 ans au moment de l'intervention et présentait de lourds antécédents médicaux, la perte de chance résultant du retard fautif de diagnostic imputable à l'AP-HP doit être ramenée à 25 %.
Sur l'indemnisation des préjudices :
9. Ainsi qu'il a été rappelé au point 1, l'indemnisation des préjudices subis par Francis E... résultant d'un aléa thérapeutique remplissant les critères d'anormalité et de gravité permettant la mise en jeu de la solidarité nationale, a été assurée par G... aux termes de deux protocoles transactionnels signés en avril 2019 et novembre 2020 pour un montant total de 145 868,61 euros, aux termes desquels l'office est " quitte de toute charge et obligations à l'égard des chefs de préjudices visés dans la transaction ", soit 50% des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de Francis E....
10. La responsabilité de l'AP-HP s'exerce sur la part des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de Francis E... à hauteur de 25% et sans que la Cour soit liée par l'évaluation retenue pour ces postes par G....
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des dépenses de santé :
11. La CPAM de Seine-et-Marne justifie au titre des dépenses de santé avant consolidation, soit le 1er juin 2018, avoir exposé des frais d'hospitalisation à hauteur de 898 525,87 euros dont il convient, ainsi que le relève l'AP-HP, de soustraire la somme correspondant à la période d'hospitalisation courant du 26 septembre au 14 octobre 2014 pour un montant de 37 696,38 euros dès lors que c'est à compter de la réalisation du scanner abdominal le 15 octobre qu'un retard de diagnostic fautif peut être imputé à l'AP-HP. En tenant compte des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transports imputables à la faute, le montant total s'élève à 881 099,98 euros.
12. Au titre des dépenses de santé post-consolidation, la CPAM établit que l'état de santé de M. E... nécessitait des frais médicaux, pharmaceutiques et d'appareillage d'un montant annuel de 311,52 euros soit jusqu'à la date de son décès intervenu le 21 juin 2011, un montant de 934,56 euros.
13. Il s'ensuit qu'après application du taux de perte de chance de 25% retenu au point 8 du présent arrêt, la CPAM de Seine-et-Marne est fondée à demander à l'AP-HP le remboursement d'une somme de 220 508,63 euros.
S'agissant des frais d'aide par une tierce personne :
14. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise que l'état de santé de Francis E... a nécessité une aide non spécialisée à hauteur de deux heures par jour en dehors des périodes d'hospitalisation d'une durée totale de 466 jours et sans qu'il y ait lieu de retrancher les périodes d'hospitalisation à domicile. Sur la base d'un taux horaire de 18 euros et d'une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés, les frais s'élèvent à 34 900 euros.
15. Au titre de la période post-consolidation, soit du 1er juin 2018 jusqu'au décès de Francis E... le 21 juin 2021, le besoin d'aide à la tierce personne doit être évalué sur ces mêmes bases à 45 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
16. Il résulte de l'instruction qu'en l'absence de complication, le déficit fonctionnel subi par Francis E... aurait été de 4 jours mais qu'il a subi entre le 15 octobre 2014, date du retard fautif imputable à l'AP-HP, et le 23 janvier 2017 (831 jours) un déficit fonctionnel temporaire total, lié notamment à ses hospitalisations, puis un déficit temporaire partiel de 50 % du 24 janvier 2017 au 30 mai 2018 (491 jours). Sur la base d'un taux d'indemnisation journalier de 16 euros, il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en allouant à ce titre une somme de 17 224 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
17. Il résulte de l'instruction que Francis E... a éprouvé des souffrances estimées à 6 sur une échelle de 0 à 7 par les experts désignés par la CCI. Compte tenu de l'intensité et la durée des douleurs dont il a souffert ainsi que des multiples interventions chirurgicales qu'il a subies, il sera fait une juste appréciation de ces souffrances en les évaluant à 27 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique :
18. Il résulte de l'instruction que Francis E... a subi, avant la consolidation de son état de santé, un préjudice esthétique temporaire évalué à 4 sur une échelle de 0 à 7 du fait de multiples cicatrices et drains et un préjudice esthétique permanent de même intensité jusqu'à son décès. Il sera fait une juste appréciation en évaluant le préjudice esthétique temporaire et permanent à la somme globale de 4 000 euros.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
19. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise diligentée par la CCI, que, après la consolidation de son état de santé, Francis E... est resté atteint, du fait de son accident médical, de séquelles très importantes tant sur le plan digestif, que sur le plan neuro-musculaire ainsi que d'un très fort retentissement psychologique. Dans ces conditions, le déficit fonctionnel permanent de Francis E... peut être fixé à un taux de 50 %. Compte tenu d'une part, de son âge à la date de consolidation, soit 71 ans et d'autre part, de la survenance de son décès trois ans après la date de consolidation, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 40 000 euros.
S'agissant du préjudice sexuel :
20. Il y a lieu d'allouer une somme de 2 500 euros au titre du préjudice sexuel subi par Francis E... et retenu par le rapport d'expertise diligentée par la CCI.
S'agissant du préjudice d'agrément :
21. Il y a lieu de rejeter la demande au titre du préjudice d'agrément subi par Francis E... en l'absence de preuves de sa pratique d'activités sportives et de loisirs et compte tenu de l'état de santé de ce dernier avant l'accident médical.
S'agissant du préjudice d'impréparation :
22. Il y a lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, d'allouer une somme de 3 000 euros au titre du préjudice d'impréparation subi par Francis E... sans qu'il y ait lieu de lui appliquer de taux de perte de chance.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le montant total des préjudices de Francis E... s'élève à la somme de 173 624 euros. Ainsi qu'il a été dit, G... a versé à ce dernier, au titre de la solidarité nationale, une somme totale de 145 868,61 euros. Afin d'assurer la réparation intégrale du préjudice subi par la victime, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 45 656 euros, calculée après application du taux de perte de chance de 25 % retenu au point 8, mais la somme résiduelle de 27 755,39 euros.
24. Enfin, il y a lieu de porter à 1 212 euros la somme due par l'AP-HP à la CPAM de Seine-et-Marne au titre du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, en application de l'arrêté susvisé du 23 décembre 2024.
Sur les intérêts de retard :
25. La CPAM de Seine-et-Marne est fondée à demander que la somme de 220 508,63 euros, mise à la charge de l'AP-HP au point 13 du présent arrêt, soit assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de sa première demande présentée dans son mémoire enregistré le 28 août 2019 au greffe au tribunal administratif.
Sur les frais d'expertise :
26. Il y a lieu de mettre les frais des expertises à la charge définitive de l'AP-HP.
Sur les frais de l'instance :
27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la CPAM de Seine-et-Marne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera aux ayants droit de Francis E... la somme totale de 27 755,39 euros.
Article 2 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme totale de 220 508,63 euros. Cette somme sera assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 28 août 2019.
Article 3 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 1 212 euros au titre du neuvième alinéa de l'article
L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Les frais de l'expertise confiée à M. L... liquidés et taxés à 5 450,36 euros, à M. I..., sapiteur, liquidés et taxés à 1 152 euros et à M. C..., sapiteur, liquidés et taxés à la somme de 1 440 euros par l'ordonnance n° 1507800 du 9 janvier 2018 sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Article 5 : Les frais de l'expertise confiée à M. F... liquidés et taxés à 1 000 euros, à M. M..., liquidés et taxés à 1 000 euros et à M. K..., liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par l'ordonnance du 3 juillet 2023 sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Article 6 : Le jugement n° 1905656 du 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... veuve E..., à Mme B... E..., à M. H... E..., à Mme J... E..., à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.
Délibéré après l'audience publique du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Delage, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Palis De Koninck, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2025.
La rapporteure,
M. JULLIARD
Le président,
Ph. DELAGELa greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00173, 24PA00300 2