Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... Lê a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) et le Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences à lui verser la somme totale de 42 946,68 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de sa prise en charge à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et à l'hôpital Maison Blanche.
Par un jugement n° 2110541/6-1 du 25 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 11 avril 2022, le 8 juillet 2022, le
2 février 2023 et le 3 mars 2023, M. Lê, représenté par Me Patout, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2110541/6-1 du 25 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, d'ordonner une mesure d'expertise médicale ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement l'AP-HP et le GHU Paris psychiatrie et neurosciences ou, à défaut, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à lui verser la somme totale de 29 031,25 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait d'une prise en charge médicale défaillante, de condamner solidairement l'AP-HP et le GHU Paris psychiatrie et neurosciences à lui verser la somme de 5 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, au titre de la transmission d'un dossier médical incomplet et enfin de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 2 500 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice d'impréparation ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP et du GHU Paris psychiatrie et neurosciences les entiers dépens ainsi que la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- une nouvelle expertise médicale doit être réalisée dès lors que les conclusions de l'expertise ordonnée par le juge des référés sont parcellaires et ne permettent pas de déterminer si la paralysie du nerf radial et l'amyotrophie du deltoïde dont il a souffert résulte de l'intervention pratiquée le 15 mai 2016 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et si elle est imputable à des manquements fautifs commis par cet hôpital et/ou l'hôpital Maison Blanche, notamment dans la prise en charge post-opératoire ou à un accident médical non fautif ; l'expertise ne précise pas davantage si la paralysie du nerf radial l'amyotrophie du deltoïde dont il a souffert a été à l'origine de préjudices propres en lien avec les fautes éventuellement commises ; l'expertise est également parcellaire du fait que le GHU Paris psychiatrie et neurosciences, venant aux droits de l'hôpital de Maison Blanche, n'a pas été associé aux opérations d'expertise ;
- la responsabilité de l'AP-HP et du GHU Paris psychiatrie et neurosciences est engagée en raison des manquements fautifs commis à la suite de l'intervention réalisée le
15 mai 2016 à l'origine de la survenue d'une paralysie du nerf radial et d'une amyotrophie du deltoïde diagnostiquées le 8 juin suivant ;
- subsidiairement, les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale sont réunies dès lors que les complications subies résultent d'un accident médical non fautif répondant aux conditions de gravité et d'anormalité prévues par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- la responsabilité de l'AP-HP est également engagée au titre du défaut d'information fautif dès lors qu'il n'a pas été informé du risque de survenue d'une paralysie du nerf radial et d'une amyotrophie du deltoïde dans les suites de l'intervention réalisée le 15 mai 2016 ;
- la responsabilité de l'AP-HP et du GHU Paris psychiatrie et neurosciences est enfin engagée du fait de la transmission d'un dossier médical incomplet ;
- il est fondé à solliciter au titre de ses préjudices :
* la somme de 8 301,25 euros et 1 730 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et permanent ;
* la somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées ;
* la somme de 6 000 euros et 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et permanent ;
* la somme de 2 500 euros au titre du préjudice d'impréparation ;
* la somme de 5 000 euros au titre de la transmission d'un dossier médical incomplet.
Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2022, le GHU Paris psychiatrie et neurosciences, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande d'expertise médicale doit être rejetée dès lors qu'elle est dépourvue d'utilité ;
- aucun manquement n'a été commis dans la prise en charge de M. Lê à la suite de son transfert à l'hôpital Maison Blanche à compter du 23 mai 2016 ; le suivi post-opératoire a été assuré conformément aux préconisations de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui l'avait opéré le 15 mai 2016 ;
- à supposer que la prise en charge ait été défaillante, la paralysie du nerf radial diagnostiquée le 8 juin 2016 n'a été à l'origine d'aucune séquelle pour M. Lê et ce dernier ne prévaut pas de préjudices indemnisables qui résulteraient de cette prise en charge ;
- la circonstance que certains éléments du dossier médical de M. Lê n'aient pas été produits n'est pas de nature à ouvrir droit à indemnisation dès lors que les éléments au dossier permettaient, dans tous les cas, de déterminer si la responsabilité du GHU Paris psychiatrie et neurosciences doit être engagée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour de rejeter la requête ou subsidiairement, de réduire le montant des indemnités sollicitées.
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande de première instance est irrecevable pour tardiveté ;
- à titre subsidiaire, la demande d'expertise médicale doit être rejetée dès lors qu'elle est dépourvue d'utilité et que le GHU Paris psychiatrie et neurosciences, bien que n'ayant pas été associé aux opérations d'expertise, a pu discuter les conclusions de cette expertise dans le cadre du présent contentieux ;
- la responsabilité de l'AP-HP ne saurait être engagée dès lors que l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière n'a commis aucun manquement lors de l'opération pratiquée le 15 mai 2016 puis dans le suivi post-opératoire ;
- la responsabilité de l'AP-HP ne saurait être engagée au titre d'un défaut d'information fautif dès lors que la paralysie du nerf radial dont a souffert M. Lê ne résulte pas d'un risque inhérent à l'intervention subie le 15 mai 2016 ;
- la responsabilité de l'AP-HP ne saurait être engagée du fait de la communication partielle de son dossier médical dès lors que M. Lê ne se prévaut d'aucun préjudice résultant de cette transmission incomplète ;
- très subsidiairement, dans l'hypothèse où la responsabilité de l'AP-HP serait retenue, les demandes d'indemnisation présentées par M. Lê doivent être, selon les cas, soit ramenées à de plus justes proportions, soit rejetées.
Par un arrêt avant dire droit du 21 juin 2023, la Cour, estimant que le rapport d'expertise médicale ordonnée par ordonnance du 12 mars 2020 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris ne lui permettait pas de se prononcer sur les conclusions de
M. Lê, a ordonné la réalisation d'une nouvelle expertise.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 11 mai 2022, M. Lê a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par un mémoire enregistré le 20 mars 2025, Me Gonzalez, désignée par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 mars 2024 en remplacement de Me Patout, indique qu'il n'a plus de contact avec M. Lê et conclut aux mêmes fins que sa requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard
- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 mai 2016, M. Lê, alors âgé de cinquante-deux ans et souffrant de schizophrénie, a été admis à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à la suite d'une chute. Des examens radiographiques ont été réalisés et ont mis en évidence une fracture luxation de l'épaule droite. Après une première tentative de réduction de la fracture sous anesthésie générale n'ayant pu aboutir, une intervention chirurgicale a été réalisée le 15 mai 2016 afin de procéder à la réduction de la fracture, à ciel ouvert. Les suites opératoires immédiates ont été simples et M. Lê a été autorisé à quitter le service de chirurgie orthopédique le 23 mai 2016 afin d'être transféré à l'hôpital Maison Blanche, en charge de son suivi psychiatrique. Le
8 juin 2016, l'intéressé a été revu lors d'une consultation post-opératoire au cours de laquelle il a été constaté une paralysie du nerf radial ainsi qu'une amyotrophie du deltoïde. A la suite de ce diagnostic, le gilet d'immobilisation qui avait été prescrit pour une durée de six semaines a été remplacé par une attelle, associée à la réalisation de séances de kinésithérapie. M. Lê a finalement été autorisé à sortir de l'hôpital Maison Blanche le 16 juin 2016. Malgré la rééducation entreprise, l'intéressé a présenté une omarthrose à l'origine de douleurs persistances nécessitant la mise en place d'une prothèse inversée de l'épaule droite le
24 décembre 2018. A l'occasion de cette intervention réalisée à l'hôpital Beaujon, une rupture massive du tendon supra-épineux a été constatée.
2. Estimant que sa prise en charge a été défaillante, M. Lê a adressé le 28 février 2018 une demande indemnitaire préalable à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris
(AP-HP) afin d'obtenir réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Sa demande ayant été rejetée par une décision du 6 mars 2019, M. Lê a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris qui a, par une ordonnance du
12 mars 2020, prescrit une expertise médicale dont le rapport a été remis le 15 octobre suivant. Au vu de ce rapport d'expertise, M. Lê a adressé le 16 novembre 2020 deux demandes indemnitaires préalables à l'AP-HP et au Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences venant aux droits de l'hôpital Maison Blanche, qui sont restées sans réponse. L'intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Paris en vue d'obtenir la condamnation de ces établissements de santé à l'indemniser des préjudices subis. Par un jugement du 25 mars 2022, dont M. Lê relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions principales de M. Lê tendant à ce que la Cour ordonne une nouvelle expertise médicale :
3. M. Lê se prévaut, pour la première fois en appel, des manquements commis par l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans son suivi post-opératoire et soutient qu'une nouvelle expertise médicale doit être réalisée dès lors que les conclusions de l'expertise ordonnée par le juge des référés sont parcellaires. Estimant notamment que cette expertise, selon laquelle la prise en charge médicale et chirurgicale de l'intéressé par cet établissement avait été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science, ne précisait pas si le suivi réalisé et les traitements prescrits au patient étaient adaptés à l'état de santé de ce dernier, ni si les consignes adéquates lui avaient été transmises ainsi qu'à l'hôpital Maison Blanche où il avait été transféré à compter du 23 mai 2016, ni enfin, si la prise en charge de M. Lê par cet établissement entre le 23 mai et le 8 juin 2016 était exempte de faute, la Cour a ordonné sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, par un arrêt avant dire-droit du 21 juin 2023, la réalisation d'une nouvelle expertise médicale. Toutefois, l'expert désigné a informé la Cour qu'il lui était impossible de mener à bien sa mission, en l'absence de réponse de M. Lê aux convocations aux opérations d'expertise et a déposé un rapport de carence enregistré le 17 février 2025. Il en résulte que les conclusions principales de M. Lê ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions subsidiaires tendant à l'indemnisation des préjudices de
M. Lê :
4. D'une part, en s'abstenant de répondre aux convocations de l'expert, M. Lê n'a pas permis la réalisation de l'expertise qu'il sollicitait et n'a, par suite, pas mis la Cour en mesure d'apprécier le bien-fondé de ses allégations relatives au défaut d'information et aux fautes médicales dont il aurait été victime, et par suite, de se prononcer sur ses demandes indemnitaires.
5. D'autre part, M. Lê n'invoque aucun préjudice résultant directement pour lui de la transmission partielle de son dossier médical.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. Lê n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat ". Aux termes de l'article 40 de la même loi : " L'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée, à l'exception des droits de plaidoirie (...) / Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par l'Etat ". Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsque la partie perdante bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté que lui ouvre l'article R. 761-1 du code de justice administrative, en présence de circonstances particulières, de mettre les dépens à la charge d'une autre partie, les frais d'expertise incombent à l'Etat. En l'espèce, M. Lê étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, les frais de l'expertise ordonnée par la Cour doivent être laissés à la charge définitive de l'Etat.
8. En second lieu, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP et du GHU Paris psychiatrie et neurosciences, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que M. Lê demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. Lê est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Lê, à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, au groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie et neurosciences et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Delage, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Labetoulle, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2025.
La rapporteure,
M. JULLIARD
Le président,
Ph. DELAGELa greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA01655 2