Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Catella France a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, dans la limite, en droits, de 4 205 euros pour 2014, 10 548 euros pour 2015 et 6 758 euros pour 2016.
Par un jugement n° 2110448 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 août 2023, 8 décembre 2023 et 15 novembre 2024, la société Catella France, représentée par Me Baumert Noé, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses :
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il convient d'apprécier la nature des opérations au regard des règles fiscales et non au regard des règles nationales définissant la nature des opérations de location d'actions à la lumière des travaux parlementaires ;
- le contrat de location d'actions confère un droit réel au locataire ;
- la location est une opération financière au sens de l'article 261 C du code général des impôts ;
- elle est sans lien avec la transmission d'actions ;
- c'est une prestation de services ;
- l'administration ne démontre pas que la location d'actions est réalisée par un assujetti agissant en tant que tel ;
- les doctrines référencées BOI-TVA-CHAMP-10-10-30-2013021, paragraphes 300 et suivants, BOI-TVA-SECT-50-10-10-20200506, paragraphe 220 et BOI-TVA-SECT-20-30-20140429, paragraphe 190 sont invocables ;
- à supposer qu'elle entre dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, la location d'actions doit être considérée comme une opération exonérée au sens du e du 1° de l'article 261 C du code général des impôts ;
- l'instruction 8-A-2-04 du 18 février 2004 est invocable ;
- les opérations sont analogues aux prêts de titres et aux opérations de constitution de garantie ;
- subsidiairement, la location d'actions constitue une opération portant sur une créance exonérée au sens de l'article 261 C-1° a du code général des impôts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 novembre 2023 et 12 décembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Par une ordonnance du 15 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 décembre 2024.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Catella France a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, étendue en matière de taxe sur la valeur ajoutée au 30 novembre 2016. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration fiscale a notamment considéré que la location, à des personnes physiques, d'actions qu'elle détenait dans d'autres sociétés était une opération imposable à la taxe sur la valeur ajoutée et a, en conséquence, constaté une omission de taxe collectée sur les loyers perçus. La société Catella France relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, dans la limite de la taxe omise sur les loyers ainsi encaissés comme bailleur au titre de la location d'actions.
2. D'une part, le premier alinéa de l'article L. 239-1 du code de commerce dispose que : " Les statuts peuvent prévoir que les actions des sociétés par actions ou les parts sociales des sociétés à responsabilité limitée soumises à l'impôt sur les sociétés de plein droit ou sur option peuvent être données à bail, au sens des dispositions de l'article 1709 du code civil, au profit d'une personne physique ". Aux termes de l'article L. 239-3 du même code : " Les dispositions légales ou statutaires prévoyant l'agrément du cessionnaire de parts ou d'actions sont applicables dans les mêmes conditions au locataire. / Le droit de vote attaché à l'action ou à la part sociale louée appartient au bailleur dans les assemblées statuant sur les modifications statutaires ou le changement de nationalité de la société et au locataire dans les autres assemblées. Pour l'exercice des autres droits attachés aux actions et parts sociales louées, le bailleur est considéré comme le nu-propriétaire et le locataire comme l'usufruitier. / Pour l'application des dispositions du livre IV du présent code, le bailleur et le locataire sont considérés comme détenteurs d'actions ou de parts sociales ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 9 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, entrée en vigueur le 1er janvier 2007 : " 1. Est considéré comme " assujetti " quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. / Est considérée comme " activité économique ", toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. (...) ". Aux termes de l'article 135 de cette directive : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : (...) f) les opérations, y compris la négociation mais à l'exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des droits ou titres visés à l'article 15, paragraphe 2 ; (...) ". Aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) / IV. - 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels, le fait de s'obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation, les opérations de façon, les travaux immobiliers et l'exécution des obligations du fiduciaire, sont considérés comme des prestations de services ; / 2° Sont également considérées comme des prestations de services (Disposition à caractère interprétatif) : (...) / b) Les opérations portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des parts d'intérêt dont la possession assure en droit ou en fait l'attribution en propriété ou en jouissance d'un bien immeuble ou d'une fraction d'un bien immeuble. (...) ". L'article 261 C du même code dispose que : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les opérations bancaires et financières suivantes : (...) e. Les opérations, autres que celles de garde et de gestion[,] portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des parts d'intérêt dont la possession assure en droit ou en fait l'attribution en propriété ou en jouissance d'un bien immeuble ou d'une fraction d'un bien immeuble (...) ".
4. Il résulte des dispositions mentionnées au point 2 que la location d'actions d'une société permet au preneur, qui obtient la jouissance des titres, de percevoir les dividendes attachés à ces derniers et de participer aux assemblées générales ordinaires de la société, en contrepartie du versement d'un loyer. Dans la mesure où ces locations sont consenties aux salariés de l'entreprise dans le cadre de sa politique de personnel, les opérations concernées doivent être regardées comme effectuées dans le cadre d'un objectif d'entreprise visant à assurer la convergence de l'intérêt des salariés avec celui des actionnaires. Elles sont, par suite, constitutives de prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, entrant dans le champ des dispositions précitées de l'article 256 du code général des impôts. La société requérante, qui indique elle-même que l'activité de locations d'actions relève du souci de faire participer des salariés aux objectifs de l'entreprise, ne saurait sérieusement faire valoir que cette activité relèverait de la simple exploitation de son patrimoine au même titre qu'un investisseur privé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration n'aurait pas démontré son activité d'assujettie agissant en tant que telle doit être écarté.
5. Toutefois, il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 13 décembre 2001, aff. C-235/00, CSC Financial Services Ltd, que l'article 13, B, d), point 5 de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, désormais repris à l'article 135, 1, f) de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, et dont le e du 1° de l'article 261 C du code général des impôts constitue la transposition en droit français, doit être interprété en ce sens que les termes " opérations portant sur les titres " visent des opérations susceptibles de créer, de modifier ou d'éteindre les droits et obligations des parties sur des titres. Or la location d'actions, qui crée, pour le locataire, un droit à la perception d'un éventuel dividende ainsi qu'un droit de vote partagé, en contrepartie, pour le bailleur, d'un droit à la perception d'un loyer, et qui prive le bailleur de droits dont il était à l'origine titulaire, modifie de manière directe la relation juridique représentée par le titre. Le ministre ne saurait utilement soutenir en défense que l'avocat général, dans ses conclusions sur l'affaire précitée, aurait proposé une liste limitative d'opérations devant être regardées comme des " opérations portant sur les titres ", ce qui est au demeurant inexact, que la modification de situation juridique revêt un caractère temporaire en l'absence de transfert de propriété et que la location d'actions aurait été créée non comme une opération financière mais comme un moyen de favoriser la transmission des petites et moyennes entreprises en permettant à un acquéreur potentiel d'être associé au fonctionnement de l'entreprise avant de procéder à l'acquisition effective de parts dans celle-ci. La location d'actions doit par suite être regardée comme une opération portant sur des titres au sens des dispositions précitées du e du 1° de l'article 261 C du code général des impôts. Elle est, par suite, exonérée de taxe sur la valeur ajoutée.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Elle est, dès lors, fondée à obtenir la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, dans la limite de 21 511 euros en droits et 1 650 euros en intérêts de retard.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La société Catella France est déchargée, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, dans la limite de 21 511 euros en droits et 1 650 euros en intérêts de retard.
Article 3 : L'Etat versera à la société Catella France une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Catella France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 2 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la cour
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2025.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLa présidente,
P. FOMBEUR
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03510 2