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05/05/2025 | FRANCE | N°24PA03777

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 05 mai 2025, 24PA03777


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 20 juin 2024 par lequel le préfet de Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2409308 du 5 août 2024, le tribunal administratif de

Melun, à qui le dossier a été transféré par le président du tribunal administratif de Montreuil, a r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 20 juin 2024 par lequel le préfet de Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2409308 du 5 août 2024, le tribunal administratif de Melun, à qui le dossier a été transféré par le président du tribunal administratif de Montreuil, a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 août 2024, M. C... A..., représenté par Me Sayagh, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions du 20 juin 2024 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Sayagh de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que son comportement n'est pas constitutif d'une menace à l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant portugais, né au Cap-Vert le 25 septembre 1971, est entré en France en 2003 selon ses déclarations. Il relève appel du jugement du 5 août 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux conditions de séjour applicables aux citoyens de l'Union européenne : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (...) ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine. ".

3. Les dispositions, citées au point précédent, de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, qui reprennent, en substance, celles de l'article L. 511-3-1 inséré dans le code par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, et notamment de ses articles 27 et 28, qu'elles ont pour objet de transposer. Il appartient à l'autorité administrative d'un Etat membre qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un autre Etat membre de ne pas se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, mais d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'ensemble de ces conditions doivent être appréciées en fonction de la situation individuelle de la personne, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

4. Pour justifier la mesure d'éloignement en litige, le préfet de Seine-Saint-Denis a retenu que le comportement de l'intéressé constituait, du point de vue de l'ordre public et de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française. Il a produit devant le tribunal le rapport d'identification dactyloscopique du requérant, issu du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), dont il ressort que l'intéressé a été signalé le 19 juin 2009 pour des infractions à la police des étrangers, le 4 juin 2010 pour des coups et blessures volontaires, le 18 avril 2013 pour violences conjugales, le 3 mai 2013 pour infractions aux conditions générales d'entrée et de séjour et maintien sur le territoire malgré une interdiction judiciaire, le 12 avril 2013 pour autres coups et blessures volontaires criminels ou correctionnels, le 4 octobre 2015 pour conduite sans permis, le 16 septembre 2016 pour conduite sans permis, le 29 mars 2022 pour conduite sans permis, le 15 novembre 2021 pour abus de confiance et découverte d'un véhicule volé soumis à immatriculation, le 14 avril 2022 pour conduite d'un véhicule sans permis, le 4 août 2023 pour conduite d'un véhicule sans permis et circulation avec un véhicule sans assurance, le 18 février 2024 pour conduite d'un véhicule sans permis, le 20 juin 2024 pour conduite d'un véhicule sans permis.

5. Toutefois, d'une part, et alors que comme le précise le document produit, " les motifs de signalisation ne devant pas être considérés comme des antécédents, le présent rapport ne saurait tenir lieu de recherches dans les archives de la police judiciaire ", M. C... A... soutient sans être contredit par le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit d'observations en défense, qu'il n'a jamais été condamné pour ces infractions. Par ailleurs, s'il reconnaît les violences conjugales signalées entre 2010 et 2013, soit plus de dix ans avant l'arrêté attaqué, il conteste avoir commis des " coups et blessures volontaires criminels et correctionnels " et des faits de recel. Le préfet n'apporte aucune précision à ce titre. Enfin, M. C... A... a produit un permis de conduire délivré par les autorités portugaises le 7 mars 2024, dont il ressort que l'intéressé possédait un permis de conduire depuis 10 janvier 1997. S'il n'indique pas la date exacte à laquelle il a échangé son permis cap-verdien contre un permis portugais, il en résulte à tout le moins que les signalements précités concernaient une situation de conduite sans permis de conduire délivré par un Etat membre de l'Union européenne et non pas sans permis du tout. Dans ces conditions, le comportement de M. C... A... ne saurait être regardé comme constitutif d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, au sens et pour l'application des dispositions précitées du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. C... A... a créé, le 26 septembre 2023, une société, immatriculée au registre du commerce, dans laquelle il emploie au moins un salarié. Ainsi, à la date des décisions attaquées, M. C... A... justifiait d'une activité professionnelle qui ne peut être regardée ni comme marginale ni comme accessoire. Dans ces conditions, et alors que l'exercice d'une activité professionnelle suffisait à lui ouvrir le droit de séjourner en France pour une période supérieure à trois mois en vertu des dispositions du 1° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait considérer qu'il constituait une charge déraisonnable pour l'Etat français et l'obliger à quitter le territoire français pour ce motif.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. C... A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... A... aurait sollicité et, à plus forte raison, obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat ne peut pas se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à M. C... A... la somme de 1 200 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2409308 du 5 août 2024 du tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 20 juin 2024 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... A... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny.

Délibéré après l'audience du 31 mars 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2025.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°24PA03777


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA03777
Date de la décision : 05/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SAYAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-05;24pa03777 ?
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