Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/22-0132 du 4 août 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende d'un montant de 10 000 euros pour avoir débarqué sur le territoire français un passager démuni de document de voyage ou de la décharger de cette amende.
Par un jugement n° 2220656/3-1 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 janvier 2024 et le 4 mars 2025, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision la décision R/22-0132 du 4 août 2022 ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la capture d'écran de la base de données ALTEA, dont les informations correspondent à celles du fichier Visabio, démontre que le passager a présenté un passeport libanais valide lors des opérations d'embarquement à Libreville.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Air France ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 5 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/22-0132 du 4 août 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France une amende de 10 000 euros pour avoir, le 11 mars 2022, débarqué sur le territoire français un passager de nationalité inconnue en provenance de Libreville, démuni de document de voyage. La société Air France relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction que le 11 mars 2022, à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, a débarqué d'un vol Air France un passager dépourvu de document de voyage en provenance de Libreville. La société Air France produit une capture d'écran de sa base de données ALTEA comportant les nom, prénom, date de naissance et nationalité du passager, ainsi que son numéro de passeport, et fait valoir que les informations concernant ce passager, de nationalité libanaise, en provenance de Libreville et en transit à Paris pour se rendre à Beyrouth, correspondent à celles qui figurent sur le fichier Visabio. Toutefois, si ces informations permettent d'établir que le passager s'est présenté avec un passeport complet au moment de l'enregistrement et, selon toute vraisemblance, au moment de l'embarquement, elles ne suffisent pas à établir, en l'absence de production d'une copie numérisée de ce document, que celui-ci ne comportait pas d'élément d'irrégularité manifeste. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions précitées de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la société Air France une amende sur ce fondement.
6. Il résulte en revanche également de l'instruction que le dossier de réservation du passager transmis à la police aux frontières a confirmé qu'il devait transiter, pour Beyrouth, via l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, et que les informations enregistrées dans la base de données ALTEA ont été confirmées par la consultation du fichier Visabio. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il est vraisemblable que le passager concerné était muni d'un document de voyage régulier lors de son embarquement, qu'il a volontairement fait disparaître avant son débarquement en France. Dès lors, il y a lieu de ramener le montant de l'amende infligée à la société Air France à la somme de 5 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Air France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande et à demander l'annulation de la décision du 4 août 2022 lui infligeant une amende, dans la limite de 5 000 euros.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2220656/3-1 du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'amende de 10 000 euros infligée par la décision du ministre de l'intérieur R/22-0132 du 4 août 2022 est ramenée à un montant de 5 000 euros.
Article 3 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Air France.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente,
Mme Bruston, présidente assesseure,
M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. DOUMERGUELa greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00008