Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 20 janvier 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne a décidé son expulsion du territoire français et l'arrêté du 20 janvier 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a assigné à résidence.
Par jugement n° 2102571 du 16 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé les arrêtés de la préfète du Val-de-Marne du 20 janvier 2021 et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt n° 21PA04751 du 29 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la préfète du Val-de-Marne, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. A....
Par une décision n° 465754 du 27 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 août 2021 et 30 août 2023, la préfète du Val-de-Marne, représentée par Me Termeau, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
La préfète du Val-de-Marne soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a retenu que M. A... totalisait plus de vingt années de présence régulière sur le territoire français, dès lors qu'il a été incarcéré entre le 14 janvier 2014 et le 19 avril 2017 ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'arrêté d'expulsion du 20 janvier 2021 était entaché d'erreur d'appréciation ;
- l'arrêté a été pris le 20 janvier 2021, la mention de l'année 2020 n'étant qu'une erreur matérielle, de sorte qu'il n'a pas été pris antérieurement à la réunion de la commission d'expulsion du 7 décembre 2020 ;
- le statut de réfugié lui a été retiré par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides confirmée par la Cour nationale du droit d'asile ;
- l'arrêté attaqué ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 décembre 2021 et 9 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Benkimoun, demande à la Cour :
1°) de rejeter les conclusions de la préfète du Val-de-Marne ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans à la date d'édiction de l'arrêté le 20 janvier 2020 et non 2021 comme le soutient la préfecture ; ainsi sa situation relevait de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il a été pris avant que soit recueilli l'avis de la commission d'expulsion ;
- son comportement ne représentait plus, à la date de l'arrêté, une menace grave à l'ordre public ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.
- et les observations de Me Benkimoun, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sri-lankais né le 15 avril 1967, est entré en France le 10 mai 1991 où il s'est vu reconnaître le statut de réfugié. Il a ainsi été mis en possession, à compter du 18 mai 1994, d'une carte de résident de dix ans, renouvelée en 2004 pour la même durée. A la suite d'un jugement du tribunal correctionnel de Bobigny du 10 mars 2015 le condamnant à cinq ans d'emprisonnement, il a été incarcéré, puis libéré en 2017. Par un arrêté comportant comme date d'édiction le 20 janvier 2020, la préfète du Val-de-Marne a décidé de l'expulsion de M. A... en raison de la menace grave que son comportement représente pour l'ordre public. Par un second arrêté du 20 janvier 2021, la préfète du Val-de-Marne a assigné à résidence M. A.... Par un arrêt du 29 mars 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la préfète du Val-de-Marne, annulé le jugement n° 2102571 du 16 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé ces deux arrêtés. Par une décision n° 465754 du 27 juin 2023 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au présent litige : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". L'article L. 521-3 du même code, applicable au présent litige, dispose que : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans (...) ".
3. Pour annuler l'arrêté d'expulsion de M. A... pour menace grave à l'ordre public ainsi que celui l'assignant à résidence, les premiers juges ont estimé que celui-ci résidait de manière régulière en France depuis plus de vingt ans à la date de l'arrêté attaqué et qu'il entrait donc dans le champ de la protection de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vertu duquel une expulsion n'est possible en une telle hypothèse qu'en présence d'un comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si M. A... a résidé régulièrement en France sous couvert d'un titre de séjour en qualité de réfugié du 18 mai 1994 au 17 mai 2014, avant d'être incarcéré entre le 14 janvier 2014 et le 19 avril 2017, et s'il a bénéficié à compter de sa sortie de prison de récépissés de demandes de titre de séjour, le dernier de ces récépissés expirait le 2 décembre 2020. Il en résulte que, à la date de l'arrêté attaqué, M. A... ne se trouvait pas en situation de résidence régulière depuis une durée de vingt ans, sans qu'il puisse utilement faire valoir à cet égard la circonstance qu'il aurait dû bénéficier d'une carte de résident de plein droit. Dans ces conditions, la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, le tribunal administratif de Melun a annulé ses arrêtés.
4. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et la cour.
Sur les autres moyens soulevés en première instance :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au présent litige : " I.- Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : a) Du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; b) D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; c) D'un conseiller de tribunal administratif ".
6. Il ressort des pièces du dossier que si l'arrêté expulsant M. A... du territoire porte comme date celle du 20 janvier 2020, tout en visant la consultation de la commission d'expulsion intervenue le 7 décembre 2020, c'est à la suite d'une erreur de plume, l'arrêté attaqué ayant en réalité été pris le 20 janvier 2021, après donc qu'a été recueilli l'avis de cette commission. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'expulsion serait viciée en raison de l'absence de consultation de cette commission manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, M. A... a été condamné le 10 mars 2015 par le tribunal correctionnel de Bobigny à la peine de cinq ans d'emprisonnement pour des faits de participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement ainsi que d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire d'otage commis en bande organisée et libération avant sept jours sans exécution de condition, faits pour lesquels il a été incarcéré du 17 janvier 2014 au 19 avril 2017. Il ressort ainsi des motifs du jugement du tribunal correctionnel que l'intéressé a organisé depuis la France l'enlèvement au Sri Lanka du père de son neveu, en vue d'obtenir le paiement par ce dernier d'une rançon consistant en la moitié d'une prime d'invalidité d'un montant de 156 000 euros obtenue par ce neveu à la suite d'un accident du travail, le jugement soulignant à cet égard que M. A... a fait preuve d'une " cupidité importante renforcée par un profond sentiment (...) d'avoir un droit sur l'indemnité perçue par son neveu ". Il ressort encore de ce jugement que la victime de l'enlèvement, père de famille, a été dupée par des individus se présentant comme membres d'une association humanitaire, puis emmenée de force dans un véhicule à destination d'une île d'où il n'a pu s'échapper que par ses propres moyens. Compte tenu de la nature et de la gravité des faits en cause, de nature à porter atteinte à l'intégrité d'une personne pour un motif crapuleux, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté l'expulsant du territoire serait entaché d'une erreur dans l'appréciation de la gravité de la menace à l'ordre public que son comportement représente, quand bien même les faits ont été commis en décembre 2013 et sont restés isolés.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. A... soutient qu'à la date des arrêtés attaqués, il résidait en France depuis près de trente ans dont dix-neuf sous le statut de réfugié et qu'il est marié à une compatriote résidant en France sous couvert d'un titre de séjour valable dix ans avec laquelle il a eu une fille âgée de neuf ans. Il se prévaut également de la présence en France de sa mère âgée de soixante-dix-neuf ans, titulaire d'un titre de séjour réfugié, dont l'état de santé est dégradé et dont il s'occuperait et qu'il hébergerait, ce qu'il ne démontre néanmoins pas. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 7, les faits en cause sont d'une particulière gravité dès lors qu'ils ont consisté en l'organisation et la coordination, depuis le territoire national, d'un enlèvement commis à l'étranger, pour un motif crapuleux. Par ailleurs, la mesure d'expulsion attaquée n'étant pas accompagnée d'une mesure fixant le pays de destination, M. A... ne peut utilement se prévaloir du fait qu'il doit être regardé comme ayant conservé la qualité de réfugié. Dans ces conditions, l'arrêté portant expulsion du territoire n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale au regard du but d'ordre public poursuivi. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté.
10. En dernier lieu, et compte tenu de ce qui a été dit au point 9, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation sur la situation personnelle de l'intéressé.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé ses arrêtés du 20 janvier 2021.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2102571 du 16 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2025.
Le rapporteur,
J. DUBOISLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02884
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