Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 4 février 2022 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 26 mai 2021 accordant l'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. C... B..., d'autre part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. B..., née le 27 novembre 2021, et, enfin, refusé d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B....
Par un jugement n° 2205303 du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B..., mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la Société Générale, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 juillet et 30 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Atlar, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il annule la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle de son contrat de travail ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Société Générale devant le tribunal administratif de Montreuil en tant qu'elle sollicite l'annulation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle de son contrat de travail ;
3°) de mettre à la charge de la Société Générale la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les agissements répétés de harcèlement moral dont il a été victime de la part de sa supérieure hiérarchique pendant deux ans sont établis par les pièces du dossier ; ces agissements ont conduit à une altération de sa santé et de ses capacités mentales ;
- à la date de la conclusion de la rupture conventionnelle de son contrat de travail ainsi que pendant le délai de rétractation, son consentement était vicié en raison des faits de violence morale et des agissements répétés de harcèlement moral dont il a été victime et des troubles psychologiques qui en ont découlé ; il était placé en arrêt maladie de longue durée lors de la signature de la rupture conventionnelle de son contrat de travail et dans ces conditions, n'était pas en mesure de consentir de manière libre et éclairée à la rupture conventionnelle de son contrat de travail ;
- ce vice du consentement ne peut pas être écarté par la circonstance qu'il était à l'initiative de la rupture conventionnelle du contrat de travail, qu'il a voté en faveur de cette rupture conventionnelle lors de la réunion extraordinaire du comité social et économique du 20 avril 2021, qu'il ne s'est pas rétracté pendant le délai de quinze jours et qu'il a renouvelé son consentement devant l'inspecteur du travail ;
- l'inspecteur du travail qui a accordé l'autorisation de rupture conventionnelle était incompétent territorialement ;
- la décision de la ministre du travail est suffisamment motivée.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2024, la société anonyme Société Générale, représentée par Me Crédoz-Rosier, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 15 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 4 février 2022 en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail pour incompétence territoriale ;
3°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 4 février 2022 en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail pour incompétence territoriale ;
4°) de juger rétablie la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... ;
5°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les agissements répétés de harcèlement moral dont aurait été victime M. B... et leurs conséquences éventuelles sur son état de santé qui auraient été de nature à altérer son discernement ne sont pas établis ;
- le vice du consentement lors de la signature de la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... n'est pas établi ;
- la décision de la ministre du travail, en tant qu'elle a refusé l'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail, est insuffisamment motivée ;
- l'inspecteur du travail était territorialement compétent.
Par un mémoire enregistré le 16 décembre 2024, la ministre du travail et de l'emploi conclut à l'annulation du jugement du 15 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il annule sa décision du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... et au rejet de la demande présentée par la Société Générale devant le tribunal administratif de Montreuil en tant qu'elle sollicite l'annulation de sa décision en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B....
Elle renvoie à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Atlar, avocat de M. B... et de Me Crêdoz-Rosier, représentant la Société Générale.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1988, a été recruté le 31 mai 2012 en qualité de chargé d'accueil par la Société Générale. Il a successivement exercé les fonctions de conseiller clientèle et d'adjoint responsable d'agence avant d'être promu, à compter du 2 avril 2019, responsable d'agence de l'agence de Montreuil Paul Vaillant Couturier. Par ailleurs, il exerçait le mandat de membre du comité social et économique. Par un courrier du 25 mars 2021, il a sollicité auprès de son employeur la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Le 21 avril 2021, il a signé avec la Société Générale une convention de rupture de son contrat de travail. Par un courrier du 7 mai 2021, reçu le 10 mai suivant, la Société Générale a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B.... Par une décision du 26 mai 2021, l'inspecteur du travail en charge de la section n° 3 de l'unité de contrôle n° 4 de Seine-Saint-Denis a accordé l'autorisation sollicitée. Le contrat de travail de M. B... a été rompu le 28 mai 2021. Le 26 juillet 2021, M. B... a formé un recours hiérarchique contre la décision du 26 mai 2021 de l'inspecteur du travail. Par une décision du 4 février 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique de M. B..., née le 27 novembre 2021, annulé la décision du 26 mai 2021 de l'inspecteur du travail et refusé d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B.... Par un jugement du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B..., mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la Société Générale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des parties. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle de son contrat de travail. La Société Générale demande à la cour, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 février 2022 en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail.
2. Il ressort des termes de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 qu'elle a annulé la décision du 26 mai 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n° 3 de l'unité de contrôle n° 4 de Seine-Saint-Denis au motif que, d'une part, il n'était pas territorialement compétent pour se prononcer sur l'autorisation sollicitée par la Société Générale et, d'autre part, il avait commis une erreur d'appréciation en accordant l'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... alors que ce dernier subissait des troubles psychologiques dont il résultait que son consentement ne pouvait être regardé comme libre et éclairé, et a retenu l'absence de consentement libre et éclairé de M. B... à la date de la signature de la rupture conventionnelle de son contrat de travail pour refuser d'accorder à la Société Générale l'autorisation de procéder à cette rupture conventionnelle. Par un jugement du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a, ainsi qu'il a déjà été dit, annulé cette décision en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B....
Sur l'appel principal :
3. Aux termes de l'article L. 1237-11 du code du travail : " L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. / La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. / Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties ". Aux termes de l'article L. 1237-12 du même code : " Les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister : / 1° Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un salarié titulaire d'un mandat syndical ou d'un salarié membre d'une institution représentative du personnel ou tout autre salarié ; / 2° Soit, en l'absence d'institution représentative du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. / Lors du ou des entretiens, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié en fait lui-même usage. Le salarié en informe l'employeur auparavant ; si l'employeur souhaite également se faire assister, il en informe à son tour le salarié. / L'employeur peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, par une personne appartenant à son organisation syndicale d'employeurs ou par un autre employeur relevant de la même branche ". Aux termes de l'article L. 1237-13 du même code : " La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9. / Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation. / A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie ". Aux termes de l'article L. 1237-14 du même code : " A l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. (...) / L'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie ; (...) ".
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1237-15 du code du travail : " Les salariés bénéficiant d'une protection mentionnés aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 peuvent bénéficier des dispositions de la présente section. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-14, la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre Ier du livre IV, à la section 1 du chapitre Ier et au chapitre II du titre II du livre IV de la deuxième partie. Dans ce cas, et par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-13, la rupture du contrat de travail ne peut intervenir que le lendemain du jour de l'autorisation ". L'article L. 1237-16 du même code dispose : " La présente section n'est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant : /1° Des accords issus de la négociation mentionnée aux articles L. 2242-20 et L. 2242-21 ; /2° Des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233-61 ; /3° Des accords collectifs mentionnés à l'article L. 1237-17 ". Aux termes de l'article R. 2421-7 du même code : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ".
5. Il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, saisi d'une demande d'autorisation d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié protégé et son employeur, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que la rupture n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'article L. 1237-16 du code du travail, qu'elle n'a été imposée à aucune des parties et que la procédure et les garanties prévues par les dispositions du code du travail, mentionnées aux points 3 et 4, ont été respectées. A ce titre, il leur incombe notamment de vérifier qu'aucune circonstance, en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par le salarié ou à son appartenance syndicale, n'a été de nature à vicier son consentement.
6. L'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n'est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l'inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l'espèce, vicié le consentement du salarié.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise portant sur les risques psychosociaux au sein de l'unité commerciale de Montreuil réalisée par le cabinet DTR Conseil, désigné par le comité social et économique lors de sa réunion extraordinaire du 21 janvier 2021, que si la prise de fonction de M. B... en tant que responsable de l'agence de Montreuil Paul Vaillant Couturier le 2 avril 2019 s'est effectué dans un contexte difficile marqué par un sous-effectif chronique au sein de l'agence alors que des changements des processus ou des outils réguliers de travail devaient être mis en place et que les objectifs commerciaux étaient maintenus, ses conditions de travail ont été particulièrement dégradées du fait des pratiques managériales de la directrice de l'Unité commerciale (UC) de Montreuil, Mme A.... Cette dernière exerçait non seulement une très forte pression sur les responsables d'agence en leur demandant quotidiennement de lui transmettre les " chiffres de production ", en méconnaissance des règles définies au sein de la Société Générale, en les relançant, parfois plusieurs fois par jour, sur leurs objectifs sans tenir compte des difficultés rencontrées en agence et, au contraire, en réduisant certains délais, accroissant la charge de travail, ne leur permettait pas de disposer d'une autonomie de gestion et de communication auprès de leurs équipes, réduisant ainsi leur rôle de responsable d'agence, mais surtout, adoptait, dans sa communication orale et écrite, une attitude agressive, menaçante, injurieuse et dénigrante, se présentant notamment, lors d'une réunion en avril 2019, comme une responsable hiérarchique " n'ayant peur de personne " et " pouvant faire ou défaire les carrières ". A partir de cette réunion d'avril 2019, les relations professionnelles se sont fortement dégradées entre les responsables d'agences et Mme A..., mais également entre les responsables d'agence, qui se sont ainsi trouvés seuls face à leurs difficultés. Devant les propos tenus par les agents mentionnant une souffrance au travail au sein de l'UC de Montreuil et le nombre élevé d'arrêts de travail, le médecin du travail a, par un courrier du 4 juin 2020, adressé au directeur commercial régional de Bobigny et au responsable des ressources humaines une alerte pour des risques psycho-sociaux sur l'unité commerciale de Montreuil en rappelant que cette situation leur avait déjà été signalée oralement dès octobre 2019. Le 24 septembre 2020, des délégués syndicaux ont déclenché la procédure interne d'alerte et de traitements des comportements inappropriés. Le 27 octobre 2020, les enquêteurs mandatés par l'entreprise ont conclu la " phase d'écoute " de la procédure en estimant notamment que Mme A... exerçait un " rôle normal d'encadrement ", en qualifiant les propos menaçants tenus en réunion d'équipe de " maladresse " et en considérant que les faits allégués n'avaient pas été prouvés. Les conclusions finales de l'enquête interne relèvent " des comportements inadaptés de part et d'autre et a fortiori des managers " et que " des clans se sont créés ce qui a généré un climat délétère, voire de souffrance, empêchant un fonctionnement normal au sein de l'UC de Montreuil ". Ces conclusions ont été adressées à M. B... par un courrier de la Société Générale du 15 mars 2021. Le 26 mai 2021, le cabinet DTR Conseil a présenté devant le CSE son rapport d'expertise portant sur les risques psychosociaux au sein de l'unité commerciale de Montreuil qui conclut notamment, ainsi qu'il a déjà été dit, à des pratiques managériales inappropriées de la part de Mme A... à l'égard des salariés en lien direct avec elle, en relevant des " pratiques persécutrices " comme une attitude agressive, menaçante, des propos insultants et culpabilisants ou dévalorisants, des propos visant à l'intimidation, à pousser à la démission ou encore des pratiques d'isolement au travers de critiques de l'activité d'un salarié en termes dévalorisants ou de mises à l'écart. Si comme le soutient la Société Générale, M. B... n'est pas cité nommément dans ce rapport, comme au demeurant tous les autres responsables d'agence de l'UC de Montreuil, il ressort de la nature des fonctions exercées par le salarié qui lui imposaient d'être en relation quotidiennement avec Mme A..., sa supérieure hiérarchique directe, et de ses déclarations lors de ses auditions dans le cadre de la procédure interne mise en œuvre par l'employeur, qu'il était effectivement victime des pratiques managériales déviantes de Mme A..., quand bien même il n'a pas reconnu être victime de harcèlement moral, privilégiant les termes de comportement inapproprié de la part de sa supérieure hiérarchique.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été placé en arrêt maladie du 12 novembre 2019 au 11 janvier 2020, du 29 mai au 30 mai 2020 et du 5 janvier au 7 juin 2021. Il ressort de l'attestation de la psychologue intervenant dans le cadre du dispositif d'écoute et d'accompagnement psychologique mis en place par la Société Générale, en prévention des risques psycho-sociaux, qu'il a suivi six séances sur la période du 26 novembre 2019 au 3 mars 2021. Il a également consulté le médecin du travail le 6 janvier 2020. En outre, il ressort du certificat médical du 16 novembre 2021 établi par son médecin traitant que son état de santé " a nécessité le recours à un arrêt de son activité professionnelle du 5 janvier 2021 au 7 juin 2021 compte tenu du diagnostic de dépression réactionnelle avec éléments anxieux majeurs, diagnostic validé par mes soins et confirmant les écrits et les constatations médicales de ma consœur médecin du travail dans le courrier qu'elle m'a adressé en date du 4 janvier 2021 ".
9. Il ressort de l'ensemble des éléments des points 7 et 8 qu'à la date de sa demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail, le 25 mars 2021, M. B... était en arrêt maladie depuis plus de deux mois pour une dépression réactionnelle avec éléments anxieux majeurs du fait de la dégradation de ses conditions de travail liées aux pratiques managériales de Mme A... et qu'il avait reçu dix jours plus tôt, par un courrier du 15 mars 2021, les conclusions de l'enquête interne menée par la Société Générale dans le cadre de la procédure d'alerte et de traitements des comportements inappropriés, minimisant et légitimant les pratiques de Mme A... et retenant une part de responsabilité des responsables d'agence dans la dégradation des relations de travail. En outre, M. B... était toujours en arrêt maladie lorsqu'il a voté, lors de la réunion exceptionnelle du comité social et économique du 20 avril 2021, en faveur de la rupture conventionnelle du contrat de travail, lors de la signature le 21 avril suivant de la convention de rupture du contrat de travail, ainsi que pendant la période de quinze jours correspondant au délai de rétractation et à la date de la demande d'autorisation adressée, par un courrier du 7 mai 2021, à l'inspecteur du travail. Par ailleurs, ce n'est que le 30 avril 2021 que le rapport d'expertise du cabinet DTR Conseil a été adressé, par courriel, aux membres du CSE, dont faisait partie M. B.... Si la Société Générale soutient que le salarié a ainsi eu connaissance de ce rapport pendant le délai de rétractation, aucune pièce au dossier ne permet d'établir que M. B..., alors en arrêt maladie, ait consulté sa messagerie professionnelle et accusé réception du courriel du 30 avril 2021. Ce rapport n'a été présenté aux membres du CSE que lors de la réunion du 26 mai 2021, soit après l'expiration du délai de rétractation. Dans ces conditions, à la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle, M. B... se trouvait dans une situation de violence morale du fait des pratiques managériales déviantes de Mme A... et contre lesquelles la Société Générale n'avait pris aucune mesure, sauf à proposer aux responsables d'agence un accompagnement individualisé, et des troubles psychologiques consécutifs à ces pratiques, qui caractérisent un vice du consentement. Il s'ensuit que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il avait librement consenti à la rupture conventionnelle de son contrat de travail signée le 21 avril 2021.
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B..., soulevé par la Société Générale en première instance.
11. Il ressort de la lecture de la décision litigieuse qu'elle vise les articles L. 2411-5 et suivants du code du travail dont elle fait application. Elle indique que la convention de rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... a été signée par les deux parties le 21 avril 2021 et que le salarié n'a pas fait valoir son droit de rétraction dans le délai imparti. Elle mentionne qu'il ressort de l'alerte du médecin du travail du 4 juin 2020 et des observations de l'inspecteur du travail adressées le 30 juillet 2021 à l'employeur sur le manquement de son obligation de prévention de harcèlement moral qu'il existait un climat de violence morale et de souffrance au travail au sein de l'unité commerciale de Montreuil lié aux pratiques managériales déviantes de Mme A..., directrice de cette unité à compter du mois d'avril 2019 et que M. B... a été placé lors de sa promotion en avril 2019 en tant que directeur d'agence sous la direction de Mme A.... Elle indique que l'état de santé mentale de M. B... s'est dégradé, mentionne son arrêt maladie du 15 novembre 2019 au 11 janvier 2020, ses six consultations chez un psychologue dans le cadre du dispositif d'Ecoute et Accompagnement psychologique mis en place par la Société Générale, en prévention des risques psychosociaux, son arrêt maladie du 5 janvier 2021 jusqu'à la date de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, le certificat médical de son médecin traitant posant le diagnostic de dépression réactionnelle avec des éléments anxieux majeurs et porte l'appréciation selon laquelle, à la date de la signature de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, le salarié subissait des troubles psychologiques dont il résulte que son consentement ne peut être regardé comme étant libre et éclairé et que, par suite, en accordant l'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B..., l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation. Ainsi, la décision du ministre comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions de la ministre du travail et de l'emploi, qui, dans les termes dans lesquels il a rédigé ses observations, ne peut d'ailleurs être regardé comme ayant entendu demander, au demeurant tardivement, l'annulation de l'article 2 du jugement, l'article 1er du jugement du 15 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil doit être annulé.
Sur l'appel incident de la Société Générale :
13. La Société Générale demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail.
14. En premier lieu, la Société Générale reprend en appel le moyen soulevé en première instance tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. Toutefois, en se bornant à réitérer son argumentation déjà exposée en première instance, elle ne développe au soutien de ce moyen aucun argument de droit ou de fait pertinent de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le tribunal administratif. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 6 du jugement.
15. En second lieu, l'article L. 1233-3 du code du travail dispose : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : / 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. (...) / 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. / (...). / Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du même code : " (...) / La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l'établissement s'entend comme le lieu de travail principal du salarié. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif économique, l'établissement s'entend comme celui doté d'un comité social et économique disposant des attributions prévues à la section 3, du chapitre II, du titre I, du livre III. / (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-21 du même code : " La demande d'autorisation de rupture conventionnelle individuelle ou collective du contrat de travail d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est adressée à l'inspecteur dans les conditions définies à l'article L. 2421-3. (..) ".
16. Il ressort des dispositions précitées de l'article L. 1233-3 du code du travail que la rupture conventionnelle individuelle du contrat de travail qui lie l'employeur et le salarié, prévue par les dispositions de l'article L. 1237-11 du code du travail, constitue une rupture du contrat de travail pour motif personnel. Par suite, en application des dispositions des articles L. 2421-3 et R. 2421-21 du code du travail, la demande d'autorisation de rupture conventionnelle individuelle du contrat de travail d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique doit être adressée à l'inspecteur du travail dont dépend le lieu de travail principal du salarié.
17. La décision n° 2019-94 du 28 octobre 2019 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, relative à la localisation et à la délimitation des unités de contrôle et des sections d'inspection du travail de l'unité départementale la Seine-Saint-Denis, publiée au recueil des actes administratifs spécial n° IDF-041-2019-10 du 30 octobre 2019, prévoit en son article 1er que : " L'unité départementale de Seine-Saint-Denis comprend 5 unités de contrôle (UC1, UC2, UC3, UC4, UC5) composées de 50 sections d'inspection du travail (...) ". Selon l'article 2 de cette décision : " La délimitation de l'unité de contrôle n° 3 est fixée comme suit : Communes de (...) Montreuil, (...) / Le nombre de sections d'inspection du travail de l'UC n° 3 est fixé à 11. La délimitation des 11 sections d'inspection du travail de l'UC n° 3 de l'UD de Seine Saint Denis est fixée comme suit : (...)/ Section 3-9 : Commune de Montreuil est : (...) boulevard Paul Vaillant Couturier (n° pairs) de la rue de Romainville à la rue Pépin, (...) ".
18. Il ressort des pièces du dossier que M. B... exerçait, ainsi qu'il a déjà été dit, les fonctions de responsable de l'agence de la Société Générale sise au 32 boulevard Paul Vaillant-Couturier à Montreuil (Seine-Saint-Denis), laquelle constituait ainsi le lieu de travail principal du salarié au sens des dispositions de l'article L. 2421-3 du code du travail. Ce dernier étant situé à un numéro pair du boulevard Paul Vaillant-Couturier à Montreuil, l'inspecteur du travail compétent pour connaître de la demande d'autorisation de rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... était, en application des dispositions précitées de l'article 2 de la décision du 28 octobre 2019 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, celui de la section n° 9 de l'unité de contrôle n° 3 de l'unité départementale de la Seine-Saint-Denis. Dans ces conditions, l'inspecteur du travail de la section n° 3 de l'unité 4 qui a accordé l'autorisation de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B... n'était pas compétent territorialement. La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion était tenue de retenir l'incompétence territoriale de l'inspecteur du travail et d'annuler pour ce motif sa décision, quand bien même M. B... ne s'était pas prévalu de cette incompétence dans son recours hiérarchique. En outre, elle pouvait se fonder sur les éléments recueillis par l'inspecteur du travail dans le cadre de son enquête contradictoire pour prendre sa décision, quand bien celui-ci était incompétent territorialement pour autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail des parties. Enfin, l'incompétence territoriale de l'inspecteur du travail ne saurait être regardée comme un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable qui ne serait de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision de l'inspecteur du travail au motif qu'il n'était pas compétent territorialement.
19. Il résulte des points 13 à 18 que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la Société Générale, y compris celles tendant à ce que la cour juge " rétablie la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... ", ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Société Générale demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Société Générale la somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2205303 du 15 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la Société Générale tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'elle refuse d'autoriser la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. B..., présentées devant le tribunal administratif de Montreuil, et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : La Société Générale versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la Société Générale et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA03145 2