Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2311205 du 22 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 18 avril 2023 en tant qu'il portait refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout préfet territorialement compétent de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 18 avril 2023 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 21 juin 2024 et 6 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Neven, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2311205 du 22 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler les décisions du 18 avril 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 40-29 du code de procédure pénale ;
S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;
- elle est entaché d'un défaut d'examen particulier ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet de la Seine-Saint-Denis, en ne faisant pas usage de son pouvoir de régularisation, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba ;
- les observations de Me Neven, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain né le 17 novembre 1994 et entré en France le 29 juillet 2017, en provenance des Pays-Bas, sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 29 août 2017, a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint d'une ressortissante française, valable du 28 octobre 2020 au 27 octobre 2021. Le 18 octobre 2021, il a sollicité, dans le cadre du renouvellement de son titre de séjour, un changement de statut aux fins d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 18 avril 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 22 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé les décisions du 18 avril 2023 portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout préfet territorialement compétent de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 18 avril 2023 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation des décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour refuser de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est notamment fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé n'avait pas produit, à l'appui de sa demande et conformément aux stipulations de ce même article, le contrat de travail visé par les autorités compétentes et le certificat médical qu'il aurait dû solliciter au Maroc auprès d'un médecin agréé par le consulat de France compétent. Il ressort par ailleurs des termes de la décision contestée que le préfet de la Seine-Saint-Denis a ensuite examiné l'opportunité d'une mesure de régularisation à titre exceptionnel de la situation de M. B.... A cet égard, après avoir indiqué que l'intéressé justifiait d'une activité professionnelle en qualité de commis de cuisine et qu'il présentait une promesse d'embauche tendant à l'exercice de ce métier, il a estimé qu'il ne pouvait prétendre à une telle mesure de régularisation dès lors que le seul fait d'exercer une activité professionnelle en France " ne lui octroie pas à lui seul un droit séjour " et qu'il ne justifiait en outre " ni de motifs exceptionnels ni de raisons humanitaires pour se voir délivrer une carte de séjour temporaire au titre de l'admission exceptionnelle au séjour ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier, en particulier des bulletins de salaires et contrats de travail produits par l'intéressé, que M. B... a exercé une activité professionnelle de plongeur, d'abord par le biais de contrats d'extra pour la période de novembre 2018 à avril 2019, puis, à compter du 6 juin 2019, sous couvert d'un contrat à durée interminée à temps complet conclu avec la société Le Village Montorgueil, pour laquelle il travaille désormais, depuis le 18 mai 2022, comme commis de cuisine. Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé, qui a cumulé jusqu'à trois emplois en mars 2019, et qui justifie d'une activité sans discontinuité depuis quatre années à la date de la décision en litige, bénéficie de l'appui de son employeur, qui a déposé, le 16 mai 2022, une demande d'autorisation de travail en sa faveur pour un emploi à temps complet de commis de cuisine rémunéré à hauteur de 2 236,10 euros bruts par mois hors avantages en nature. D'autre part, par les pièces qu'il produit, M. B... établit résider habituellement en France depuis le mois d'août 2017. Il a épousé, le 7 mai 2020, une ressortissante française et a bénéficié, du 28 octobre 2020 au 27 octobre 2021, d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Le couple est séparé depuis le 30 septembre 2021, date à laquelle son épouse a quitté le domicile familial alors qu'elle était enceinte d'une petite fille, née le 11 avril 2022. Il ressort des captures d'écran de deux messages envoyés par M. B... par téléphone les 7 novembre et 15 décembre 2021, du courrier du 7 octobre 2021 adressé par lettre recommandée à son épouse, qui a refusé le pli, de la déclaration de main courante déposée par l'intéressé le 7 avril 2022, ainsi que de l'ordonnance du 27 décembre 2024 du juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Toulon, produite pour la première fois en appel, postérieure à la décision en litige mais se référant à des faits antérieurs, que M. B... a démontré, dès qu'il a eu connaissance de la grossesse de son épouse, sa volonté de participer à l'entretien et l'éducation de son enfant à naître. La circonstance qu'il n'ait pu la reconnaître que le 8 janvier 2024 et qu'il ait été privé, par la suite, de la possibilité d'exercer son autorité parentale, résulte, ainsi que l'a jugé le juge aux affaires familiales, des seules agissements de son épouse qui " s'est employée à l'empêcher d'avoir accès à l'enfant ". Dans ces conditions, eu égard à la durée de sa résidence habituelle en France, à la stabilité et à l'ancienneté de son insertion professionnelle dans un domaine qui connaît par ailleurs des difficultés de recrutement en Île-de-France, à la nature de ses attaches familiales dans la société française, et alors son comportement, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges au point 9 du jugement attaqué, n'était pas de nature à établir que sa présence sur le territoire français pouvait être regardée comme constitutive d'une menace à l'ordre public, M. B... est fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation.
4. Par suite, la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 18 avril 2023 refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, lesquelles sont dépourvues de base légale.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 avril 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il portait refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, et sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. B... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer ce titre, dans un délai de deux mois à compter de l'exécution du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Les décisions du préfet de la Seine-Saint-Denis du 18 avril 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement sont annulées.
Article 2 : Le jugement n° 2311205 du 22 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24PA02663