Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 596 257,76 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et, d'autre part, d'annuler la décision du 31 août 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de prendre en charge ses honoraires d'avocat au titre de la protection fonctionnelle à raison de son contentieux indemnitaire devant le tribunal administratif.
Par un jugement nos 2103789 et 2121459/6-1 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 février 2024 M. B..., représenté par Me Batot, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 31 août 2021 de refus de protection fonctionnelle ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 596 257,56 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder les modalités de protection fonctionnelle qu'il sollicite, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'administration est engagée en raison des faits de harcèlement moral dont il a été victime ;
- il a subi différents préjudices dont il sollicite l'indemnisation à hauteur de 23 000 euros au titre des souffrances psychologiques endurées, 4 500 euros au titre des souffrances physiques, 2 000 euros au titre du préjudice moral, 4 900 euros au titre de l'atteinte à son honneur et à sa réputation, 521 857,76 euros au titre de son préjudice financier et 40 000 euros au titre de son préjudice de carrière ;
- la situation de harcèlement moral qu'il a subie lui ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, la décision du 31 août 2021 est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 12 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., agent non-titulaire du ministère de l'intérieur recruté par arrêté du 14 janvier 2014 en qualité d'officier commissionné, a été détaché par arrêté du 24 juillet 2019 à la préfecture de Wallis-et-Futuna à compter du 31 juillet 2019 pour exercer les fonctions de chef des services du cabinet du préfet, administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna. Par courrier du 19 mars 2020, l'intéressé a demandé à ce qu'il soit mis fin à ce détachement pour raisons familiales et personnelles. Par arrêté du 4 juin 2020, le ministre de l'intérieur a fait droit à cette demande. Par courrier du 23 octobre 2020, l'intéressé a demandé réparation des agissements constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime. Par ailleurs, par un courrier du 9 juin 2021, il a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle et, dans ce cadre, la prise en charge des frais de procédure correspondant à la procédure pénale initiée à la suite de son dépôt de plainte et à la procédure administrative correspondant à son action indemnitaire. Par décision du 31 août 2021, le ministre de l'intérieur lui a octroyé la protection fonctionnelle et a accepté de prendre en charge ses frais de procédure devant le juge pénal mais a rejeté sa demande concernant la procédure administrative. M. B... relève appel du jugement du 22 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 596 257,56 euros en réparation des préjudices consécutifs à ces agissements fautifs de l'Etat et à l'annulation de la décision du 31 août 2021.
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. "
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
4. M. B... se prévaut d'une situation de harcèlement moral subie à compter du mois de décembre 2019, exercée par le préfet de Wallis-et-Futuna et par le secrétaire général de la préfecture, se matérialisant par des reproches injustifiés et vexatoires, une mise à l'écart professionnelle et des pressions psychologiques, qui ont porté atteinte à son intégrité physique et psychique et à la poursuite de sa carrière professionnelle.
5. En premier lieu, le requérant soutient qu'il a été la cible de reproches multiples et injustifiés de la part du secrétaire général de la préfecture, qui n'exerçait pourtant sur lui aucun pouvoir hiérarchique. Il produit pour l'établir cinq courriers électroniques émanant de ce membre du corps préfectoral, rédigés pour l'essentiel en mars et avril 2020, qui font état de défaillances dans le traitement de plusieurs dossiers dont le cabinet avait la charge. Si le ton du message du 12 décembre 2019, empreint de colère et d'agressivité, méconnaît l'obligation de courtoisie qui s'impose entre collègues, les quatre autres se bornent à témoigner de l'impatience ou de la surprise, dans un contexte très tendu induit par la crise sanitaire. La circonstance que les incidents signalés dans ces messages ne seraient pas tous imputables à l'intéressé ne suffit pas, à elle seule, à les regarder comme susceptibles de faire présumer une situation de harcèlement moral.
6. M. B... fait valoir, en deuxième lieu, que le préfet et le secrétaire général ont adopté à son encontre une attitude vexatoire. Il se prévaut, d'une part, du ton employé par le secrétaire général dans ses courriers électroniques et, d'autre part, d'éléments injurieux portés sur son compte-rendu d'entretien professionnel (CREP) par le préfet. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que les messages du secrétaire général, à l'exception de celui, isolé, du 12 décembre 2019 mentionné au point précédent, auraient une teneur vexatoire, bien qu'indéniablement abrupts et irrités. L'appréciation littérale portée par le préfet sur le CREP du requérant pour l'année 2019, quant à elle, est sévère mais n'a pas de caractère injurieux. En outre, alors même que l'intéressé a joui, jusqu'à son affectation à Wallis-et-Futuna, d'appréciations élogieuses de la part de ses supérieurs hiérarchiques, les difficultés qu'il a rencontrées pour remplir ses missions de chef des services du cabinet, telles qu'elles sont relevées par le préfet dans le CREP litigieux, sont confirmées, de manière accablante, par les attestations circonstanciées de quatre de ses proches collaborateurs produites par le ministre, dont il peut être tenu compte alors même que ces attestations ne répondent pas au formalisme requis par l'article 202 du code de procédure civile.
7. En troisième lieu, M. B... se prévaut d'une mise à l'écart professionnelle, matérialisée par une perte de responsabilités dans la gestion de la crise sanitaire, au profit du préfet et du secrétaire général, du retrait de ses véhicule et téléphone de service et de la déviation de sa messagerie professionnelle vers le secrétariat général. Il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que l'intéressé a rencontré des difficultés importantes pour remplir ses missions dès sa prise de poste, qu'il n'a pas su tenir le rôle de premier plan attendu du chef des services du cabinet lors du passage d'un cyclone en janvier 2020, et que son éviction de l'organigramme de crise à la mi-mars 2020 résulte ainsi de sa manière de servir inadéquate et non d'une situation de harcèlement moral. D'autre part, il résulte de l'instruction que le retrait de ses véhicule et téléphone de service et le transfert de sa messagerie sont intervenus le 6 mai 2020, après que le requérant avait été placé en congé maladie et avait annoncé son départ pour la métropole.
8. En dernier lieu, M. B... soutient qu'il a subi des pressions psychologiques de la part du préfet et du secrétaire général. Les échanges de courriers électroniques qu'il produit pour l'établir, s'ils illustrent le rythme de travail très soutenu inhérent à ses fonctions, ne permettent toutefois pas de présumer d'une situation de harcèlement moral. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le requérant, son entretien du 16 mars 2020 avec le préfet aurait eu pour objet son évaluation annuelle. Ainsi, il n'établit pas que la remise de son CREP pour 2019 en mai 2020, deux mois après cet entretien, serait révélatrice d'un " chantage au départ ", alors qu'il est constant, au demeurant, qu'il avait sollicité le terme anticipé de son détachement dès le 19 mars 2020.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits énoncés par le requérant, pris ensemble ou séparément, ne peuvent être regardés comme soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre et d'ouvrir droit à indemnisation.
Sur la protection fonctionnelle :
10. Il ressort des pièces du dossier que les faits mentionnés aux points 5 à 8 ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit ou d'appréciation que le ministre a refusé de prendre en charge, au titre de la protection fonctionnelle, les honoraires d'avocat engagés par M. B... à raison de son recours indemnitaire devant les juridictions administratives.
11. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses requêtes.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE:
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDALLe greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00890 2