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15/04/2025 | FRANCE | N°23PA03161

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 15 avril 2025, 23PA03161


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 juin 2022 par laquelle la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne n'a pas fait droit à l'ensemble de ses demandes relatives aux modalités de mise en œuvre de la protection fonctionnelle à son égard.



Par un jugement n° 2217576 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision contestée, a enjoint à la présidente de l'université

Paris I Panthéon-Sorbonne de prendre des mesures concrètes et appropriées permettant à Mme C... de ne p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 juin 2022 par laquelle la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne n'a pas fait droit à l'ensemble de ses demandes relatives aux modalités de mise en œuvre de la protection fonctionnelle à son égard.

Par un jugement n° 2217576 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision contestée, a enjoint à la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne de prendre des mesures concrètes et appropriées permettant à Mme C... de ne plus être confrontée à la situation de harcèlement moral ou de nature à faire cesser le harcèlement moral subi par Mme C..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'université une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 17 juillet 2023, 9 novembre 2023, 1er décembre 2023, 22 décembre 2023, 25 janvier 2024 et un mémoire récapitulatif produit en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 29 février 2024, l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, représentée par Me Saint-Supéry, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé quant à l'existence d'une situation de harcèlement moral ;

- les premiers juges ont omis d'écarter une fin de non-recevoir tirée de ce que la décision contestée n'est pas celle faisant grief ;

- le refus de diligenter une enquête administrative, même demandée dans le cadre de la protection fonctionnelle, constitue une mesure d'ordre intérieur ;

- la situation de harcèlement moral n'est pas caractérisée ;

- l'injonction prononcée n'est pas justifiée ;

- les autres moyens soulevés par Mme C... en première instance ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 5 octobre 2023, 30 novembre 2023, 25 décembre 2023, 27 janvier 2024 et des mémoires récapitulatifs produits en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 22 et 29 février 2024, Mme C... représentée par Me Legrand, conclut au rejet de la requête de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et à ce que soit mise à sa charge une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'université Paris I Panthéon-Sorbonne ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellig ;

- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique,

- et les observations de Me Clemenceau pour l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et celles de Me Legrand pour Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., directrice-adjointe au sein de la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, a sollicité le 20 avril 2022 auprès de la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne le bénéfice de la protection fonctionnelle et a demandé à l'université l'ouverture d'une enquête administrative, qu'il soit mis fin aux faits dénoncés, que sa santé physique et mentale soit protégée, qu'elle s'assure de sa sécurité et qu'elle s'assure qu'elle ne fera pas l'objet d'un demi-traitement en raison de son arrêt de travail. Par une décision du 16 juin 2022, l'université a fait droit à sa demande de protection fonctionnelle afin de couvrir les frais et les dépens engagés. L'université relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision rejetant implicitement le surplus de la demande de Mme C... au motif qu'elle ne prévoit aucune mesure concrète permettant de protéger cette dernière des agissements de harcèlement moral dont elle expose être victime.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". L'article L. 134-5 du même code dispose que : " La collectivité publique est tenue de protéger l'agent public contre les atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. / Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Aux termes de l'article L. 134-6 de ce code : " Lorsqu'elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l'existence d'un risque manifeste d'atteinte grave à l'intégrité physique de l'agent public, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d'urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l'aggravation des dommages directement causés par ces faits. / Ces mesures sont mises en œuvre pendant la durée strictement nécessaire à la cessation du risque ".

3. D'une part, ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

4. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Enfin, il est loisible à l'agent auquel le bénéfice de la protection fonctionnelle a été accordé de contester devant le juge de l'excès de pouvoir une décision prise par l'administration sur les modalités de cette protection, au motif qu'il en résulte, y compris en tenant compte d'autres mesures de protection mises en œuvre par ailleurs, une protection insuffisante au regard de son objet.

6. En l'espèce, Mme C..., directrice adjointe de la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, a saisi la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne d'une demande de protection fonctionnelle par courrier du 20 avril 2022 par lequel elle indique être victime d'un harcèlement moral de la part de Mme A..., directrice de la bibliothèque. Par une décision du 16 juin 2022, la présidente de l'université a fait droit à cette demande en accordant une protection spécifiquement afin de couvrir les frais et dépens engagés dans ce seul cadre. Mme C... estime que la protection qui lui a été accordée est insuffisante compte tenu de la situation de harcèlement moral dont elle est victime.

7. Pour faire présumer l'existence de faits de harcèlement, Mme C... se prévaut tout d'abord d'une alerte, émise le 19 novembre 2021, par les secrétaires du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail quant aux inquiétudes et fortes tensions au sein du personnel de la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, après avoir constaté l'absence de dialogue entre la direction et certaines équipes et qu'ils ont demandé, au regard du " contexte très pénalisant, anxiogène et toxique pour tous ", " compte tenu de l'urgence et de la gravité de la situation ", " la nomination d'un médiateur ou d'un observateur ". Lors de leur visite au mois de novembre 2021, les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ont constaté " un fort climat de tension ", une " perte de confiance de la part d'une grande partie du personnel à l'égard de leur direction ", une " hostilité ciblée de certains supérieurs envers certains agents qui se manifeste par du favoritisme, des abus d'autorité, de l'intimidation ", une absence de concertation et une " méconnaissance du travail sur le terrain ". Toutefois, si de telles constatations établissent l'existence d'un fonctionnement délétère au sein du service, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par l'université, ce rapport ne fait pas mention du comportement particulier de Mme A... à l'endroit de Mme C.... Les différentes alertes adressées par Mme C... à la vice-présidence et au médecin de l'université quant à son isolement au sein du service et à l'hostilité dont elle ferait l'objet de la part de Mme A..., si elles témoignent d'une souffrance au travail, ne suffisent pas pour autant pour constituer des éléments objectivant le comportement managérial de Mme A... à son égard. Il en va de même des différents témoignages versés au dossier, émanant de la responsable du service des moyens généraux et du chef de département, compte tenu de la proximité de ces derniers avec Mme C... et du fonctionnement ouvertement clanique du service. Par ailleurs, aucune des pièces versées au dossier ne permet de considérer que Mme A... aurait procédé au classement en deuxième position de Mme C... dans le cadre d'un processus de promotion, finalement obtenue, en se fondant sur des éléments étrangers à ses mérites professionnels. Les pièces versées au dossier ne permettent pas davantage de considérer que Mme C... aurait été écartée des missions dont elle était en principe chargée pour des raisons étrangères à l'organisation du service, comme lors de la visite de la vice-présidente des ressources humaines, ni que Mme A... aurait fait preuve d'abus d'autorité à son encontre, alors au contraire que le compte-rendu d'évaluation professionnelle pour l'année 2020/2021 rédigé par Mme A... est particulièrement élogieux. Ainsi, si l'ensemble des pièces versées au dossier permettent d'établir l'existence de conditions de travail conflictuelles et dégradées pour l'ensemble du personnel concerné, Mme C... ne rapporte pas la preuve de l'existence de faits permettant de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral à son encontre, laquelle ne saurait au demeurant se déduire de l'octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle par sa hiérarchie.

8. Il s'ensuit que l'université Paris I Panthéon-Sorbonne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a considéré que la situation de harcèlement moral invoquée par Mme C... était suffisamment caractérisée. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Paris et la cour.

Sur les autres moyens soulevés par Mme C... :

9. En premier lieu et en tout état de cause, la décision contestée, qui octroie le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme C..., vise les textes dont il est fait application et mentionne la situation de harcèlement moral invoquée par l'intéressée. Une telle décision est dès lors, compte tenu de son objet, suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation, de même ce que celui tiré du défaut d'examen particulier de la demande, doivent être écartés.

10. En deuxième lieu, alors que les éléments versés au dossier ne permettent pas, ainsi qu'il a été exposé précédemment, de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, Mme C... n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le bénéfice de la protection fonctionnelle qui lui a été accordé aurait dû prévoir l'organisation d'une enquête administrative.

11. En troisième lieu, la décision relative au traitement d'un agent public placé en congé de maladie adoptée sur le fondement de l'article L. 822-3 du code général de la fonction publique ne constitue pas une mesure prise par l'administration dans le cadre des modalités de la protection fonctionnelle qui lui a été accordée. Par suite, Mme C... ne saurait utilement réclamer, au titre de cette protection fonctionnelle, le maintien de son plein traitement.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance ni sur la régularité du jugement attaqué, que l'université Paris I Panthéon-Sorbonne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 16 juin 2022 et a enjoint à la présidente de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne de prendre des mesures concrètes et appropriées permettant à Mme C... de ne plus être confrontée à la situation de harcèlement moral ou de nature à faire cesser le harcèlement moral subi par Mme C... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d'une somme quelconque au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'université Paris I Panthéon-Sorbonne sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2217576 du 17 mai 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et à Mme B... C....

Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- Mme Lellig, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.

La rapporteure,

W. LELLIG

Le président,

A. BARTHEZ

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03161
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Wendy LELLIG
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : SYMCHOWICZ & WEISSBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-15;23pa03161 ?
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