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28/03/2025 | FRANCE | N°23PA05054

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 28 mars 2025, 23PA05054


Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : La société Coopérative U Enseigne a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, d'annuler la décision du 26 décembre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende d'un montant de 1 140 000 euros pour des manquements à l'article L. 441-7 du code de commerce et, à titre subsidiaire, de réformer le montant de l'amende prononcée à son encontre en imputant aux

fournisseurs leur responsabilité dans le non-respect de la date ...

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : La société Coopérative U Enseigne a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, d'annuler la décision du 26 décembre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende d'un montant de 1 140 000 euros pour des manquements à l'article L. 441-7 du code de commerce et, à titre subsidiaire, de réformer le montant de l'amende prononcée à son encontre en imputant aux fournisseurs leur responsabilité dans le non-respect de la date limite de signature de la convention mentionnée à l'article L. 441-7 du code de commerce. Par un jugement n° 2001822 du 6 octobre 2023 le tribunal administratif de Melun a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire en réplique, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, enregistrés les 6 décembre 2023 et 8 août 2024, la société Coopérative U Enseigne, représentée par Me Douineau, Me Kerkani, Me Ayrole et Me Renaudier demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement n° 2001822 du 6 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 décembre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende d'un montant de 1 140 000 euros pour des manquements à l'article L. 441-7 du code de commerce ; 2°) de réformer en le réduisant drastiquement le montant de l'amende prononcée à son encontre, en tenant compte la responsabilité des fournisseurs dans le non-respect de la date limite de signature de la convention mentionnée à l'article L. 441-7 du code de commerce et du caractère disproportionné du montant infligé ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Coopérative U Enseigne soutient que : - les premiers juges ont entaché leur jugement d'un manquement à leur office de juges de plein contentieux de l'amende en litige, et d'erreur de droit ; - la décision est entachée du défaut d'impartialité du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui cumule les pouvoirs d'instruction, de poursuite et de sanction, en violation du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - elle méconnaît les dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce, en ce qu'elle a mis en place une présomption de responsabilité du distributeur contraire au principe de responsabilité personnelle et à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'article L. 441-7 du code de commerce institue une co-responsabilité qui est d'ailleurs confirmée par l'ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires) représentant les fournisseurs les plus importants dans son guide pratique des relations commerciales d'octobre 2019 ; - elle n'a pas pris en considération les agissements des fournisseurs, et notamment la part du retard qui leur est imputable alors que dans sa note d'information n° 2014-185 du 22 octobre 2014 suivant la publication de la loi Hamon, la DGCCRF elle-même considère que le retard ou le défaut de communication des clauses générales de vente par le fournisseur a un impact sur la recherche de la responsabilité du distributeur ; ce faisant, elle a porté atteinte à la liberté tarifaire, corollaire de la liberté d'entreprendre protégée par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; - elle a été prise en méconnaissance des accords de synthèse signés entre la Coopérative U Enseigne, représentée par son mandataire Envergure, et les fournisseurs ; - en renversant la charge de la preuve qui lui incombe l'administration a violé le principe de la présomption d'innocence protégé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - le montant de l'amende est disproportionné. Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; - la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; - le code de commerce ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Boizot, - les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public, - les observations de Me Blanchard et Me Buquet pour la société Coopérative U Enseigne, - et les observations de Mme A... pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Considérant ce qui suit : 1. La société Coopérative U Enseigne, société coopérative à forme anonyme à capital variable, a pour associés quatre coopératives régionales de commerçants détaillants. Elle exerce pour leur compte une activité de centrale de référencement et d'achat du réseau des commerçants qu'elle réunit, pour tous les types de produits, alimentaires et non alimentaires, qu'elle revend directement aux commerçants indépendants et coopératives membres des quatre coopératives régionales associées de Coopérative U Enseigne. Elle a fait l'objet d'un contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Ile-de-France, portant sur le respect par la société des dispositions, alors en vigueur de l'article L. 441-7 du code de commerce, relatives à la formalisation de la relation contractuelle entre les distributeurs et les fournisseurs. Un procès-verbal de constat de manquements a été établi le 26 août 2019, faisant état des constats réalisés lors de ce contrôle. Par un courrier du 20 septembre 2019, la Direccte a indiqué son intention de prononcer à l'encontre de la société, sur la base des 140 manquements constatés lors du contrôle, une amende administrative d'un montant total de 1 140 000 euros. La Coopérative U Enseigne a présenté ses observations dans un courrier du 18 novembre 2019, complété d'observations orales le 3 décembre 2019, et a transmis des observations complémentaires le 10 décembre 2019. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a prononcé, par une décision du 26 décembre 2019, une sanction d'un montant total de 1 140 000 euros à raison de 140 manquements à l'article L. 441-7, I, al. 5 du code du commerce, dans sa rédaction applicable au litige. Par un jugement n° 2001822 du 6 octobre 2023 dont la société interjette régulièrement appel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision du 27 janvier 2021 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (ci-après la Direccte) prononçant à son encontre une amende d'un montant de 1 140 000 euros pour des manquements à l'article L. 441-7 du code de commerce et, à titre subsidiaire, à réformer le montant de l'amende prononcée à son encontre en imputant aux fournisseurs leur responsabilité dans le non-respect de la date limite de signature de la convention mentionnée à l'article L. 441-7 du code de commerce. Sur la régularité du jugement entrepris : 2. En premier lieu, il ressort du jugement entrepris que les premiers juges ont examiné le bien-fondé de la sanction contestée en examinant, au vu de l'ensemble des pièces du dossier qui leur était soumis et des circonstances de droit et de fait mentionnées par la société requérante, tirées notamment du déroulement des négociations avec chaque fournisseur concerné, si cette sanction contrevenait aux principes de valeur constitutionnelle ou conventionnelle d'impartialité, de personnalité et de proportionnalité des sanctions. Ce faisant, ils se sont livrés à un contrôle entier du bien-fondé de la sanction en litige, et n'ont entaché leur jugement d'aucun manquement à leur office. Le moyen soulevé doit donc être écarté. 3. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société Coopérative U Enseigne ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreur de droit pour demander l'annulation du jugement attaqué. Sur le bien-fondé de la sanction administrative : 4. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ". 5. D'une part, eu égard à sa nature et à ses attributions, l'autorité infligeant des amendes administratives sanctionnant les manquements constatés au titre IV du livre IV du code de commerce, qui ne prend pas une décision collégiale à l'issue d'une procédure de type juridictionnel et qui demeure soumise au contrôle hiérarchique, ne peut pas être regardée comme un tribunal, au sens des stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, et en tout état de cause, les amendes et la publication d'un communiqué, qui sont décidées à l'issue d'une procédure contradictoire, peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le juge administratif, ainsi que, le cas échéant, d'un référé permettant d'en obtenir provisoirement la suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Au demeurant, il résulte des points 67 à 69 de la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel que l'attribution à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, de la compétence pour constater les manquements aux obligations prévues par le code de commerce et pour sanctionner ces manquements ne méconnaît ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou aucune règle de valeur constitutionnelle. Dans ces conditions, la société Coopérative U Enseigne n'est pas fondée à soutenir que les stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales faisaient obstacle à ce que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi puisse à la fois prendre l'initiative des enquêtes et des poursuites et exercer le pouvoir de sanction. 6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : " I.- Une convention écrite conclue entre le fournisseur, à l'exception des fournisseurs de produits mentionnés à l'article L. 443-2, et le distributeur ou le prestataire de services mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l'issue de la négociation commerciale, dans le respect des articles L. 442-1 à L. 442-3. Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application ". Aux termes de l'article L. 441-7 de ce code dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, en vigueur à l'époque des faits reprochés, et codifié à l'article L. 441-3 IV du même code à la date de la décision attaquée : " La convention mentionnée au I est conclue pour une durée d'un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier (...) ". Aux termes de l'article L. 441-6 du même code dans sa version alors en vigueur : " Tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 à L. 441-5 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l'amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ". Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " (...) Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement (...) ". 7. Pour contester l'amende qui lui a été infligée, la société Coopérative U Enseigne soutient que la Direccte a entaché sa décision d'une erreur de droit en lui appliquant une présomption de responsabilité en sa qualité de distributeur, en lui imputant l'entière responsabilité du retard des signatures de convention sans rechercher la part incombant aux fournisseurs dans ce retard, une telle interprétation contrevient à l'article 6§2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnait le principe de la liberté contractuelle entre les parties. Elle estime que l'obligation de conclure une convention écrite au plus tard le 1er mars en application des dispositions précitées s'impose tant au fournisseur qu'au distributeur et considère que le risque de sanction administrative concerne les deux parties dans la mesure où ils sont tous deux co-responsables du non-respect du délai légal de conclusion de la convention annuelle dans les exigences requises. Elle relève notamment que les fournisseurs concernés sont tous de grands groupes internationaux qui disposent d'un fort pouvoir de marché, la signature tardive d'un contrat de fourniture ne pouvant, en conséquence, être regardée comme étant à l'avantage exclusif du distributeur. 8. L'obligation de conclusion des conventions, qui consiste à imposer une date-butoir à la négociation commerciale, a été instituée pour garantir la loyauté des transactions commerciales et pour préserver un équilibre dans la relation entre les fournisseurs et les distributeurs. La formalisation des engagements des parties dans un document unique permet à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants. En application des dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce précité, la société Coopérative U Enseigne était donc tenue de conclure les conventions uniques avant le 1er mars et de les signer avant cette date sous peine d'être sanctionnée même si le fournisseur n'est pas sanctionné pour les mêmes faits. La sanction concomitante du vendeur et de l'acheteur n'est pas une condition à l'application de la sanction prévue à l'article L. 441-6 du code de commerce précité. Le prononcé de l'amende est subordonné au seul fait pour la société requérante de ne pas respecter l'obligation de conclure une convention unique avec ses fournisseurs avant la date du 1er mars de l'année en cause. Contrairement à ce que soutient, la société Coopérative U Enseigne, les dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce n'ont pas pour objectif de sanctionner le cocontractant le moins diligent ou qui aurait entravé le bon déroulement des négociations mais de sanctionner l'absence de conclusion formelle d'une convention dans les délais impartis par le code de commerce, en tenant compte des circonstances ayant conduit au non-respect de ces délais. Conditionner la sanction à la démonstration ou à la preuve, par l'administration, que l'un ou l'autre des cocontractants serait exclusivement responsable de la signature de la convention après la date butoir du 1er mars de l'année en cause, reviendrait à ajouter une condition à la loi qui n'est pas prévue. De même, la société appelante ne saurait se prévaloir des prescriptions du Guide des relations commerciales d'octobre de 2019 de l'Association Nationale des Industries Alimentaires qui est dépourvu de toute force juridique. 9. En l'espèce, il résulte des termes du procès-verbal établi, le 26 août 2019, par la Direccte que l'administration a constaté que 140 conventions n'avaient pas été conclues dans le délai légal par la société Coopérative U Enseigne en violation des dispositions de l'article 447-1 du code de commerce. Tout d'abord, au regard des principes mentionnés au point 6, la société requérante ne saurait se prévaloir de ce que le retard pris pour la signature des conventions est dû aux délais importants pris par les fournisseurs pour adresser à son mandataire, la société Envergure, les conventions générales de ventes dans le délai prescrit par la réglementation applicable en la matière, soit trois mois avant la date butoir de conclusions des conventions ce qui a retardé de manière significative le début des négociations, alors qu'il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal en date du 26 août 2019 que les manquements des fournisseurs au respect de ce délai a été expressément écartée par l'administration après vérification de la date d'envoi, par les différents fournisseurs, de leurs conditions générales de vente à la société Envergure, mandataire de la société requérante, ou à cette dernière, avant le 1er décembre 2018, ou avec un retard n'excédant pas trois jours, ce qui n'a pu n'a pu retarder de manière significative le début des négociations. En outre, la société Coopérative U Enseigne ne démontre pas qu'elle aurait sollicité en vain auprès de ces fournisseurs la signature d'une convention unique dans les délais, comme lui en font obligation les dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce. 10. De même, il résulte des termes de l'article 7 du contrat de mandat liant la société Coopérative U Enseigne à la société Envergure qu'il appartenait au mandant de s'assurer que son mandataire disposait bien des éléments nécessaires à la conduite des négociations. Or, la société requérante n'établit pas qu'elle aurait sollicité ses fournisseurs afin qu'ils lui communiquent leurs conditions générales de vente au plus tard trois mois avant le 1er mars. L'administration a également relevé que le retard pris dans le déroulement des négociations résultait du choix de la société Coopérative U Enseigne de déléguer la gestion des négociations à une entité tierce ce qui a complexifié le circuit de décision en multipliant les allers et retours entre la société Envergure et la société requérante, nonobstant la circonstance que les fournisseurs aient été informés dès le mois d'octobre de la création de ladite centrale d'achat et des changements à intervenir dans le circuit des négociations pour les nouveaux accords et, d'autre part, que les niveaux de baisse tarifaires exigées des fournisseurs par les négociateurs mandatés ont également participé au blocage des négociations, sur les 140 conventions en manquement, 110 présentent une " améliorateur " déflationniste " ". 11. Par ailleurs, si la société requérante fait valoir que sept de ses fournisseurs, lui ont également adressé tardivement leurs lettres de réserves, et même, dans cinq cas, postérieurement à la conclusion de l'accord, cette seule circonstance ne permet pas d'expliquer ou de justifier le retard pris dans la signature des conventions, dès lors que celui-ci peut tenir à la difficulté du contexte de la négociation en amont entre le distributeur et son fournisseur, sans qu'il soit établi que ces réserves auraient constitué un obstacle à la conclusion d'un accord entre les parties, et ce malgré le poids économique de ces fournisseurs ou la part que représente, dans leur chiffre d'affaires, de la centrale Envergue, mandatée par la société requérante. De même, si, s'agissant des conventions conclues avec quatre fournisseurs, les fournisseurs ont très tardivement (22 février, 28 février ou 1er mars) soumis leur accord à la réserve d'un avenant, les accords ayant été signés après la date limite (2, 14 ou 15 mars), il ne résulte pas de l'instruction que l'existence de ces avenants aurait constitué, en raison de la tardiveté de la proposition d'avenant ou de l'opposition du mandataire Envergure, un obstacle à la signature de l'accord dans les délais. En outre, s'agissant d'un fournisseur, si la société requérante soutient qu'il n'a pas fait part de sa position en réponse aux propositions de prix faites par le mandataire, il résulte de l'instruction que ce n'est que le 28 février 2019 que la requérante l'a mis en demeure de justifier sa position, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce précité. Par ailleurs, s'agissant du seul fournisseur pour lequel aucun accord n'a été conclu, l'absence de signature n'apparaît pas imputable au fournisseur dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'Envergure ait pris en considération les réserves formalisées, tenant à la signature d'un avenant. De même, aucun manquement ne saurait être imputé à onze fournisseurs au motif qu'ils n'auraient pas, avant le 1er mars 2019, communiqué de commentaires sur les accords en cours de négociation. 12. Enfin, la société Coopérative U Enseigne ne saurait à cet égard se prévaloir de la signature d'accords de synthèse ou de principe passés entre certains fournisseurs et la centrale Envergure, mandatée par elle, qui ne constituent que des préalables à la conclusion de la convention écrite passée entre le distributeur et les fournisseurs visée par l'article L. 441-7 du code de commerce et qui, en tout état de cause, ne contiennent pas les mentions obligatoires requises par la réglementation applicable contrairement aux accords conclus entre la société requérante et ses fournisseurs ainsi que des échanges de courriers électroniques, qui ne peuvent pas être regardés comme des conventions écrites au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce. 13. Il résulte de ce qui précède que la société Coopérative U Enseigne, qui n'est pas davantage fondée à se prévaloir des principes de la liberté contractuelle et tarifaire, qui n'ont pas été remis en cause par la procédure administrative en litige et qui doivent s'exercer dans le cadre des dispositions légales en vigueur, n'est pas fondée à soutenir que la Direccte a entaché sa décision d'une erreur de droit en lui appliquant une présomption de responsabilité du distributeur, et qu'elle ainsi méconnu le principe de légalité des peines ou la présomption d'innocence. 14. En troisième lieu, si la société Coopérative U Enseigne soutient que la sanction en litige a été prise en méconnaissance des accords de synthèse signés entre la Coopérative U Enseigne, représentée par son mandataire Envergure, et les fournisseurs, et que son montant a été établi sans prendre en compte la conclusion d'accords entre les fournisseurs et le mandataire Envergure, ces accords ne constituent que des préalables à la conclusion de la convention écrite passée entre le distributeur et les fournisseurs visée par l'article L. 441-7 du code de commerce, l'article 3.5 du contrat de mandat, versé au dossier, stipulant que le mandataire n'est pas responsable de la conclusion d'un contrat avec le fournisseur et notamment d'une convention prévue par l'article L. 441-7 du code de commerce. Au demeurant, l'exemple d'un accord de synthèse versé au dossier fait apparaître que la date d'application de l'accord de synthèse se situe au 1er mars 2019. En tout état de cause, de tels accords ne contiennent pas les mentions obligatoires requises par la réglementation applicable et ne peuvent pas être regardés comme des conventions écrites au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce. 15. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Le respect du principe de proportionnalité d'une sanction financière s'apprécie au regard de la gravité des manquements commis, de la durée de la période durant laquelle ces manquements ont perduré, du comportement de la société et de sa situation financière. 16. La société requérante soutient que le montant de la sanction a été fixé de manière arbitraire sans que soit pris en compte le plafond qui devait s'appliquer par fournisseur, rapporté au montant de sanction par jour de retard, et non par convention, le caractère intentionnel et l'absence de gravité des faits reprochés n'ayant pas davantage été recherchés. Toutefois, d'une part, il résulte des dispositions applicables du code de commerce que l'auteur du manquement s'expose à une sanction pour chaque convention non signée avant l'échéance du 1er mars 2019, les sanctions étant cumulatives pour l'auteur des manquements en application des dispositions de l'article L. 470-2 précité de ce code et la constitutionnalité de ce cumul ayant été déclarée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-984 du 25 mars 2022. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 12, la société requérante ne saurait se prévaloir " d'accords de synthèse " passés entre certains fournisseurs et la centrale Envergure, mandatée par la société Coopérative U Enseigne qui ne constituent que des préalables à la conclusion de la convention écrite passée entre le distributeur et les fournisseurs visée par l'article L. 441-7 du code de commerce. En l'espèce, il ressort des termes de la décision attaquée que pour fixer le montant de l'amende contestée, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a pris en compte la gravité et l'ampleur des manquements constatés, le nombre de jours de retard pour chacune des 140 conventions signées postérieurement au 1er mars 2019 et le chiffre d'affaires prévisionnel stipulé dans les conventions en cause. Il résulte également de l'instruction que l'administration a procédé à une modulation de chacune des amendes, en fonction du fournisseur concerné, allant de 1 000 à 178 000 euros, soit pour chacun en-deçà du maximum prévu. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'amende administrative qui lui a été infligée serait disproportionnée. 17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 16 du présent arrêt que la société Coopérative U Enseigne France n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France en date du 26 décembre 2019. Les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Coopérative U Enseigne doivent dès lors être rejetées, ainsi que, pour les mêmes motifs et en tout état de cause, ses conclusions tendant à la réduction du montant total des sanctions qui lui ont été infligées. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : 18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Coopérative U Enseigne en lien avec la présente instance et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : La requête de la société Coopérative U Enseigne est rejetée.Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Coopérative U Enseigne et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.Délibéré après l'audience du 14 mars 2025, à laquelle siégeaient :- M. Carrère, président,- M. Lemaire, président assesseur,- Mme Boizot, première conseillère.Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 28 mars 2025. La rapporteure,S. BOIZOTLe président,S. CARRERELa greffière,C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.N° 23PA05054 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05054
Date de la décision : 28/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Sabine BOIZOT
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : AARPI SCHMITT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-28;23pa05054 ?
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