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27/03/2025 | FRANCE | N°24PA02407

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2025, 24PA02407


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, qui a transmis cette requête au tribunal administratif de Melun, d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel, après son interpellation, la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.





Par un jugement n° 23139

93 du 2 mai 2024, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 23 octobre 2023, a enjoint à la pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, qui a transmis cette requête au tribunal administratif de Melun, d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel, après son interpellation, la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2313993 du 2 mai 2024, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 23 octobre 2023, a enjoint à la préfète du Val-de-Marne, ou à tout autre préfet territorialement compétent, d'une part, de réexaminer la situation de M. C... dans le délai de trois mois, de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. C... dans le système d'information Schengen, et enfin a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2024, la préfète du Val-de-Marne, représentée par Me Tremeau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2313993 du 2 mai 2024 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Melun.

Elle soutient que :

- M. C... n'a jamais apporté d'éléments établissant une vie privée et familiale en France, où il n'est pas socialement intégré ;

- les décisions attaquées sont fondées.

La requête a été régulièrement communiquée à M. C..., lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Hamon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant égyptien né le 9 juillet 1982, est entré en France en 2016 selon ses déclarations. Interpellé pour un contrôle d'identité, il a été placé en retenue pour vérification de son droit au séjour. Par un arrêté du 23 octobre 2023, la préfète du Val-de-Marne a obligé l'intéressé à quitter le territoire français sans délai en application du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays de destination pour son éventuel éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans. La préfète du Val-de-Marne relève appel du jugement n° 2313993 du 2 mai 2024, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal de Melun a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...). ".

3. Pour annuler l'arrêté attaqué de la préfète du Val-de-Marne, le tribunal a relevé que la décision contestée est entachée d'un défaut d'examen de la situation de M. C... en ce qu'il n'a pas tenu compte de sa vie familiale avec une ressortissante italienne depuis trois ans. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par les seules attestations qu'il a produites, dont une seule, établie par l'intéressée, mentionne de manière circonstanciée une vie commune, M. C... n'établit pas qu'il menait avec une ressortissante italienne et l'enfant de celle-ci une vie commune en France depuis trois ans à la date de la décision attaquée. Par suite la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler l'arrêté attaqué.

4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Melun.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, la décision mentionne les textes dont elle fait application ainsi que les éléments de fait relatifs à la situation personnelle de M. C.... Par suite elle est suffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre / (...) ".

7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que ces dispositions s'adressent non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions du procès-verbal d'audition de M. C... qui a été dressé avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français attaquée, que l'intéressé a été entendu par les services de police, sur son identité, sa situation personnelle et familiale, ses conditions d'entrée et de séjour en France, sa situation administrative ainsi que ses conditions de travail, et a été informé de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre. Ainsi, le requérant a été mis en mesure de présenter les observations qu'il estimait utiles et pertinentes sur les décisions susceptibles d'être prises par l'autorité administrative. Au surplus, M. C... ne justifie d'aucun élément propre à sa situation qu'il aurait été privé de faire valoir lors de son audition et qui, s'il avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision prise par la préfète. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu garanti par le droit de l'Union européenne doit être écarté, le moyen tiré du non-respect de l'obligation de loyauté dans la mise en œuvre de ce droit à être entendu n'étant assorti d'aucune précision susceptible d'en apprécier le bien-fondé.

9. Enfin, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans son arrêt C-249/13 du 11 décembre 2014, le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens que le ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier peut recourir, préalablement à l'adoption par l'autorité administrative nationale compétente d'une décision de retour le concernant, à un conseil juridique pour bénéficier de l'assistance de ce dernier lors de son audition par cette autorité. En l'espèce, il ressort des termes du procès-verbal du 23 octobre 2023 que M. C... y a été assisté d'un avocat.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., célibataire sans enfant qui ne produit aucune preuve de sa présence sur le territoire français avant 2020, n'établit pas, par les attestations et pièces produites, qu'il vivrait en concubinage depuis plusieurs années en France, où il n'établit pas non plus avoir exercé une activité professionnelle. Dans ces conditions la décision attaquée n'a pas porté à sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ni, par suite, méconnu les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :

12. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". L'article L. 612-3 du même code précise que : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;(...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...). ".

13. Aux termes de l'article 7 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " 1. La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. (...) 2. Si nécessaire, les États membres prolongent le délai de départ volontaire d'une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée de séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux (...) ".

14. M. C... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions précitées de la directive du 16 décembre 2008 dès lors que ces dispositions ont été régulièrement transposées en droit interne par la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. En particulier, l'hypothèse prévue au 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constitue la transposition exacte des dispositions du 4° de l'article 7 de la directive du 16 décembre 2008 dont se prévaut le requérant.

15. Pour refuser à M. C... l'octroi d'un délai de départ volontaire, la préfète s'est fondée sur les circonstances que l'intéressé s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, qu'il n'a jamais demandé de titre de séjour, qu'il a fait usage d'un alias et qu'il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes dans la mesure où il ne justifiait pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale.

16. Le requérant n'apportant aucune preuve d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale à la date de la décision attaquée, et ne contestant pas les autres faits mentionnés au point précédent, il n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire serait entachée d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne le risque de fuite.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

17. Si le requérant soutient que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à exciper, à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination pour son éloignement, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

19. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " (...) III. ' L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

20. La décision attaquée mentionne la durée et les conditions de la présence en France de M. C..., l'absence de toute circonstance humanitaire dans sa situation et l'absence de liens forts, anciens et caractérisés avec la France et la précédente mesure d'éloignement dont il a fait l'objet. Par suite elle est suffisamment motivée, aucune considération relative à l'ordre public n'étant en cause.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 23 octobre 2023 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2313993 du tribunal administratif de Melun du 2 mai 2024 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Melun est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Val de Marne.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Laforêt, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.

La rapporteure,

P. HamonLa présidente,

V. Chevalier-Aubert

La greffière,

L. Chana

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA02407 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02407
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : ACTIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-27;24pa02407 ?
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