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27/03/2025 | FRANCE | N°23PA03576

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2025, 23PA03576


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Hitiaa O Te Ra à lui verser une indemnité de 2 509 568 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son éviction illégale du service.



Par un jugement n° 2200957 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par u

ne requête et un mémoire, enregistrés les 5 août 2023 et 7 septembre 2024, M. A..., représenté par Me Dumas, demande à la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Hitiaa O Te Ra à lui verser une indemnité de 2 509 568 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son éviction illégale du service.

Par un jugement n° 2200957 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août 2023 et 7 septembre 2024, M. A..., représenté par Me Dumas, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 juin 2023 ;

2°) de condamner la commune de Hitiaa O Te Ra à lui verser une indemnité de 2 509 568 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 150 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- rien ne justifiait qu'il soit mis un terme à ses fonctions ;

- son éviction était purement et simplement une sanction politique et n'était fondée sur aucun grief sérieux et existant ;

- cette éviction, qui a été jugée illégale par un jugement du 5 octobre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française, lui a causé un préjudice moral évalué à 1 000 000 francs CFP ainsi qu'un préjudice financier estimé à 1 509 568 francs CFP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2024, la commune de Hitiaa O Te Ra, représentée par Me Bourion, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 150 000 francs CFP soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 ;

- l'arrêté n° 1119 DIPAC du 5 juillet 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,

- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 74/2020 du 1er juillet 2020, le maire de la commune de Hitiaa O Te Ra (Polynésie française) a nommé M. A... en qualité de fonctionnaire titulaire relevant du cadre d'emplois " exécution " de la fonction publique communale de la Polynésie française. Le maire a procédé au retrait de cet arrêté en tant qu'il concerne M. A... par un arrêté n° 112/2020 du 23 juillet 2020, a refusé de le titulariser par une décision du 9 août 2020 et a prononcé sa radiation des effectifs de la commune et de la fonction publique communale de la Polynésie française par un arrêté n° 119/2020 du 25 août 2020. Par un jugement n°s 2000592, 2100119, 2100120 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'arrêté du 23 juillet 2020 en tant qu'il retire l'arrêté de titularisation de M. A... du 1er juillet 2020, la décision du 9 août 2020 ainsi que l'arrêté du 25 août 2020 portant radiation de l'intéressé des effectifs de la commune et de la fonction publique communale de la Polynésie française, puis a enjoint au maire de la commune de Hitiaa O Te Ra de procéder à la réintégration de M. A... dans ses fonctions dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement. Par un courrier du 29 juillet 2022, reçu en mairie le 4 août suivant, l'intéressé, qui avait été réintégré dans les effectifs de la commune à compter du 6 décembre 2021, a présenté au maire une demande indemnitaire préalable afin d'obtenir réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son éviction illégale du service entre les mois d'août 2020 et de novembre 2021. Une décision implicite de rejet est née le 4 octobre 2022 du silence gardé pendant plus de deux mois par le maire sur cette demande. M. A... fait appel du jugement du 6 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Hitiaa O Te Ra lui verse une indemnité de 2 509 568 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu des fautes commises par l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la sanction, la même sanction, ou une sanction emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration. Le juge n'est, en revanche, jamais tenu, pour apprécier l'existence ou l'étendue des préjudices qui présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité de la sanction, de rechercher la sanction qui aurait pu être légalement prise par l'administration.

3. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.

En ce qui concerne la faute commise par la commune de Hitiaa O Te Ra :

4. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 23 juillet 2020, en tant qu'il retire l'arrêté de titularisation de M. A... du 1er juillet 2020, a été annulé par un jugement n°s 2000592, 2100119, 2100120 du 5 octobre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française, devenu définitif, au motif que cet arrêté était insuffisamment motivé, le tribunal ayant également annulé, par voie de conséquence, la décision du 9 août 2020 ainsi que l'arrêté du 25 août 2020 portant radiation de l'intéressé des effectifs de la commune et de la fonction publique communale de la Polynésie française. L'illégalité de l'arrêté du 23 juillet 2020, en tant qu'il concerne M. A..., est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Hitiaa O Te Ra.

En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute commise par la commune de Hitiaa O Te Ra et les préjudices invoqués par M. A... :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de la décision du 9 août 2020, que le refus du maire de titulariser M. A... était justifié par la circonstance que du matériel dont l'intéressé était responsable avait disparu au cours de son stage. Le requérant, qui fait valoir, pour la première fois en appel, que son éviction " était purement et simplement une sanction politique et n'était [fondée] sur aucun grief sérieux et existant ", doit être regardé comme contestant la matérialité des faits qui lui ont été ainsi reprochés et, par suite, comme soutenant que l'arrêté du 23 juillet 2020 n'était pas justifié au fond. Or, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de la commune de Hitiaa O Te Ra aurait pu légalement prendre la même mesure après l'avoir suffisamment motivée, dès lors que la commune n'apporte aucun élément faisant apparaître que l'arrêté du 23 juillet 2020 aurait été justifié au fond au vu des circonstances de droit et de fait existant à la date de cet arrêté. Dans ces conditions, et dès lors que le requérant établit que les préjudices qu'il invoque ne seraient pas survenus si son éviction illégale du service n'était pas intervenue, celui-ci est fondé à demander réparation des préjudices en lien direct avec l'illégalité de l'arrêté du 23 juillet 2020.

En ce qui concerne les préjudices invoqués par M. A... :

6. Il résulte de l'instruction que la période d'éviction illégale du service de M. A... s'étend du 25 août 2020, date de sa radiation des effectifs de la commune et de la fonction publique communale de la Polynésie française, jusqu'au 5 décembre 2021, veille de sa réintégration dans les effectifs de la commune. Dès lors que le requérant demande la réparation des préjudices qu'il invoque pour la période comprise entre les mois d'août 2020 et de novembre 2021, la période de responsabilité de la commune de Hitiaa O Te Ra s'étend du 25 août 2020 au 30 novembre 2021.

7. En premier lieu, le requérant n'établit pas le préjudice moral qu'il invoque, en se bornant à l'évaluer à la somme de 1 000 000 francs CFP.

8. En second lieu, le requérant soutient qu'il a subi un préjudice financier de 1 509 568 francs CFP correspondant à la perte des rémunérations auxquelles il aurait eu droit entre les mois d'août 2020 et de novembre 2021. Il résulte de l'instruction qu'au cours de la période d'éviction illégale du service, M. A... n'a pas perçu son traitement ni, d'ailleurs, aucun revenu de remplacement ni aucune allocation pour perte d'emploi, et qu'avant son éviction irrégulière, il percevait un traitement mensuel de 94 348 francs CFP. Ainsi, le préjudice financier subi par le requérant du fait de son éviction illégale du service doit être intégralement réparé au titre de la période de responsabilité de la commune telle qu'elle a été déterminée au point 6. Il sera fait une exacte appréciation de l'indemnité représentative de perte de traitement en condamnant la commune de Hitiaa O Te Ra à lui verser la somme de 1 436 524, 39 francs CFP.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander que la commune de Hitiaa O Te Ra soit condamnée à lui verser une indemnité de 1 436 524, 39 francs CFP. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Hitiaa O Te Ra demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Hitiaa O Te Ra une somme de 150 000 francs CFP au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200957 du 6 juin 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : La commune de Hitiaa O Te Ra est condamnée à verser à M. A... une indemnité de 1 436 524, 39 francs CFP (un million quatre cent trente-six mille cinq cent vingt-quatre francs CFP et trente-neuf centimes).

Article 3 : La commune de Hitiaa O Te Ra versera à M. A... la somme de 150 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Hitiaa O Te Ra présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune de Hitiaa O Te Ra.

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.

Le rapporteur,

M. Desvigne-RepusseauLa présidente,

V. Chevalier-Aubert

La greffière,

L. Chana

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03576


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03576
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : DUMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-27;23pa03576 ?
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