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27/03/2025 | FRANCE | N°22PA02981

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2025, 22PA02981


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qu'ils ont acquittée au titre de l'année 2015 en sollicitant le bénéfice de l'abattement renforcé de 85 % applicable au montant des plus-values de cessions de titres, dans les conditions prévues par les dispositions du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.
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Par un jugement n° 1911476 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Paris a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qu'ils ont acquittée au titre de l'année 2015 en sollicitant le bénéfice de l'abattement renforcé de 85 % applicable au montant des plus-values de cessions de titres, dans les conditions prévues par les dispositions du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.

Par un jugement n° 1911476 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20PA02365 du 24 juin 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme A....

Par une décision n° 455925 du 24 juin 2022 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur un pourvoi formé par M. et Mme A..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés le 21 août 2020, le 22 décembre 2020, le 10 juin 2021 et le 6 décembre 2022, M. et Mme A..., représentés par Me Bornhauser, demandent à la cour :

1°) à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme à intervenir dans les instances n° 45443/21 et 45483/21 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement n° 1911476 du 12 mars 2020 du tribunal administratif de Paris ;

3°) de prononcer la réduction demandée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les requêtes n° 45443/21 et 45483/21 formées devant la Cour européenne des droits de l'Homme portent sur la discrimination à rebours résultant des dispositions du code général des impôts dont il a été fait application, et qu'une bonne administration de la justice impose de surseoir à statuer dès lors que la solution du présent litige dépend de la décision rendue dans ces instances ;

- l'opération d'échange de titres placée en sursis d'imposition doit être neutre fiscalement en application de l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009, de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe de non-discrimination protégé par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

- les conditions prévues par les dispositions du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts doivent en conséquence s'apprécier, pour assurer la neutralité de l'opération d'échange antérieure à la cession ayant entraîné la plus-value litigieuse, non pas au niveau de la société émettrice des titres cédés, dont il est constant qu'elle n'est pas une société holding animatrice ni une société qui exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, mais de la société ayant apporté les titres alors même que la loi ne le prévoit pas, cette société apporteuse satisfaisant l'ensemble des conditions pour ouvrir droit à l'abattement renforcé.

Par des mémoires en défense enregistrés le 2 novembre 2020 et le 29 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte européenne des droits fondamentaux ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mascarell pour M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a acquis en 1995 des parts d'une société Financière de Balard, devenue Planisware Management, qu'il a apportées en 2012 à la société à responsabilité limitée (SARL) DLM, apport en échange duquel il a reçu 13 548 parts, d'une valeur unitaire de 1 000 euros chacune, constituant la totalité du capital de la SARL DLM. Les conséquences financières de cet échange ont été placées sous le régime de sursis automatique d'imposition prévu par les dispositions du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts. En 2015, le capital de la SARL DLM a été réduit par cession, non motivée par des pertes, de 1 224 parts. A cette occasion, M. A... a réalisé une plus-value de 1 768 568 euros. Ayant détenu les parts depuis plus de 8 ans, il a déclaré cette plus-value en y appliquant l'abattement de 65 %. Par un jugement du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à obtenir la restitution de l'excédent d'impôt sur le revenu qu'ils estiment avoir acquitté à tort au titre de l'année 2015, correspondant à la différence entre l'application de l'abattement de 85 % qu'ils revendiquent et celui de 65 % qui a été appliqué. Par une décision du 24 juin 2022 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par M. et Mme A..., a annulé l'arrêt du 24 juin 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris avait rejeté leur appel formé contre ce jugement, et a renvoyé l'affaire devant la cour.

2. Aux termes du b) du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, l'abattement applicable aux gains nets résultant de la cession à titre onéreux ou retirés du rachat d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts est égal à : " 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution ". Le 1 quater du même article dispose que : " A.- Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à : (...) / 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. B. - L'abattement mentionné au A s'applique : 1° Lorsque la société émettrice des droits cédés respecte l'ensemble des conditions suivantes : a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n'est pas issue d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise d'activités préexistantes. Cette condition s'apprécie à la date de souscription ou d'acquisition des droits cédés ; b) Elle répond à la définition prévue au e du 2° du I de l'article 199 terdecies-0 A. Cette condition est appréciée à la date de clôture du dernier exercice précédant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ou, à défaut d'exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ; c) Elle respecte la condition prévue au f du même 2° ; d) Elle est passible de l'impôt sur les bénéfices ou d'un impôt équivalent ; e) Elle a son siège social dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ; f) Elle exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. Lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice, au sens du dernier alinéa du VI quater du même article 199 terdecies-0 A, le respect des conditions mentionnées au présent 1° s'apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations. Les conditions prévues aux quatrième à avant-dernier alinéas du présent 1° s'apprécient de manière continue depuis la date de création de la société (...) ".

3. Il est constant que l'opération de cession réalisée en 2015 par M. A... ne remplit pas les conditions posées par les dispositions précitées du code général des impôts pour le bénéfice de l'abattement renforcé de 85 %, et notamment celles du f) du B du 1 quater de l'article 150-0 D dès lors que la société émettrice des titres cédés en 2015, la SARL DLM, n'exerce pas une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et n'est pas une holding animatrice.

4. Pour soutenir que cette cession leur ouvre néanmoins droit au bénéfice de cet abattement renforcé, M. et Mme A... font valoir que l'opération d'échange doit être neutralisée et que la condition prévue par le f) du B du 1 quater de l'article 150-0 D doit être appréciée au niveau de la société qui a apporté les titres à l'échange, à savoir la société Planisware Management dont il est constant qu'elle remplit les conditions requises en sa qualité de holding animatrice.

5. A cet effet les requérants ne peuvent pas, en premier lieu, utilement revendiquer l'application du principe de neutralité fiscale des opérations d'échange énoncé par l'article 8 de la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 sur les fusions, dès lors que l'échange intervenu en 2012 a été réalisé entre deux sociétés françaises et n'entre donc pas dans le champ de cette directive concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents.

6. Aux termes de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne : " Toutes les personnes sont égales en droit ". Et aux termes du 1 de l'article 51 de cette charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. " Il résulte de ces stipulations combinées que les principes énoncés par cette charte ne s'appliquent aux Etats membres que lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union européenne et non aux situations seulement régies par le droit interne.

7. Si M. et Mme A... soutiennent que quand bien même elle a été réalisée entre deux sociétés françaises, l'opération d'échange en cause dans le présent litige caractérise une situation régie par le droit de l'Union, l'objet initial du régime de report d'imposition des plus-values d'apport en cas d'échange des titres dégageant plus-value a été introduit dans le code général des impôts dans le but d'inciter à la transformation d'entreprises individuelles en sociétés sans imposer immédiatement à l'entrepreneur d'acquitter l'impôt correspondant à la plus-value dégagée, au risque qu'il doive céder ces titres pour acquitter cet impôt. L'objectif de la législation de l'Union sur les fusions n'est pas de modifier cette incitation à la création de sociétés, mais d'assurer la neutralité de la taxation des plus-values résultant d'une opération intermédiaire transfrontière d'échanges par rapport à celle qui aurait frappé la plus-value sans cette opération intermédiaire. Si l'introduction, par la loi de finances pour 2014, de l'abattement pour durée de détention a eu une incidence sur le régime de report d'imposition ainsi applicable, cette incidence résulte d'une modification de la législation interne française qui n'a pas pour objet de mettre en œuvre le droit de l'Union. Par suite, M. et Mme A... ne peuvent utilement se prévaloir du principe d'égalité énoncé par l'article 20 précité de la charte des principes fondamentaux de l'Union européenne, et de son corollaire le principe de non-discrimination " à rebours ", pour revendiquer le bénéfice de l'abattement renforcé de 85 %.

8. Enfin, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". L'article 14 de cette convention stipule que : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

9. La soumission à des règles d'assiette plus favorables des plus-values relatives à des opérations mettant en cause des sociétés d'Etats membres différents trouve sa justification dans le nécessaire respect, pour ce qui concerne les situations entrant dans leur champ d'application, des dispositions de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, qui imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. Le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations par ailleurs comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles. Par ailleurs, si la loi fiscale, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, garantit par des modalités différentes, selon que sont en cause des opérations purement internes ou des opérations entrant dans le champ de la directive du 19 octobre 2009, la neutralité fiscale des opérations d'échange de titres, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans ces conditions, la différence de traitement entre les opérations purement nationales et les opérations transfrontalières répondant à une justification objective et raisonnable, M. et Mme A... ne sont pa s fondés à invoquer la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel précités.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans les affaires n° 45443/21 et 45483/21, que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme C... A... et à la ministre chargée des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.

La rapporteure,

P. HamonLa présidente,

V. Chevalier-Aubert

La greffière,

L. ChanaLa République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02981


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02981
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : SELARL CABINET BORNHAUSER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-27;22pa02981 ?
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