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14/03/2025 | FRANCE | N°23PA01085

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 14 mars 2025, 23PA01085


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. E... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 19 mars 2020 par laquelle le président de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a exercé son droit de préemption sur une parcelle cadastrée section J n° 18 au 112 rue Defrance à Vincennes (Val-de-Marne).



Par un jugement n° 2007616 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision et enjoint à l'Etablisseme

nt public foncier d'Île-de-France de proposer à M. et Mme C... d'acquérir la parcelle.





Procédure de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 19 mars 2020 par laquelle le président de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a exercé son droit de préemption sur une parcelle cadastrée section J n° 18 au 112 rue Defrance à Vincennes (Val-de-Marne).

Par un jugement n° 2007616 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision et enjoint à l'Etablissement public foncier d'Île-de-France de proposer à M. et Mme C... d'acquérir la parcelle.

Procédure devant la Cour :

I- Par une requête n° 23PA01085 et des mémoires enregistrés le 15 mars 2023, le 7 mars 2024, le 17 avril 2024 et 30 octobre 2024, l'Etablissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF), représenté par Me Salaün, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2007616 du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la requête de M. et Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme C... le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'EPFIF soutient que :

- contrairement à ce que relève le jugement attaqué, la réalité du projet est établie ;

- les premiers juges ne pouvaient lui enjoindre de proposer le bien à M. et Mme C... dès lors que la décision de préemption est légale ; une telle injonction contrevient aux dispositions de l'article L. 213-11-1 dont les conditions ne sont pas réunies et que la rétrocession du bien préempté nuirait à l'objectif d'intérêt général ;

- les moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2024, M. et Mme C..., représentés par Me Genies, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'EPFIF, la somme de 4 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par l'EPFIF ne sont pas fondés et que la décision contestée est entachée d'incompétence.

La requête a été communiquée à l'établissement public territorial Paris-Est-Marne et Bois et à M. A... qui n'ont pas produit d'observations.

Par ordonnance du 19 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 octobre 2024 à 12 heures.

II- Par une requête n° 23PA01086 enregistrée le 15 mars 2023 et un mémoire enregistré le 7 mars 2024, l'Etablissement public foncier d'Île-de-France, représenté par Me Salaün, demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2007616 du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Melun.

L'EPFIF soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administratives sont réunies.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, M. et Mme C... représentés par Me Genies, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'EPFIF la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent qu'il ne peut être fait droit à la demande de sursis à exécution du jugement querellé dès lors que les moyens soulevés par l'EPFIF ne revêtent pas de caractère sérieux.

La requête a été communiquée à l'établissement public territorial Paris-Est-Marne et Bois et à M. A... qui n'ont pas produit d'observations.

Par ordonnance du 27 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 mars 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Claudine Briançon, présidente honoraire, pour exercer les fonctions de rapporteur au sein de la 1ère chambre en application de l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Claudine Briançon, rapporteure,

- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,

- les observations de Me Salaün, représentant l'Etablissement public foncier d'Île-de-France,

- et les observations de Me Genies, représentant M. et Mme C....

Une note en délibéré enregistrée le 6 février 2025 a été présentée dans chaque instance pour l'Etablissement public foncier d'Île-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 19 mars 2020, l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a décidé d'exercer son droit de préemption sur la parcelle cadastrée section J n° 18 au 112 rue Defrance à Vincennes (Val de Marne). L'Etablissement public foncier d'Île-de-France relève appel du jugement du 31 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun, saisi par M. et Mme C..., acquéreurs évincés, a annulé cette décision et lui a enjoint de leur proposer l'acquisition de la parcelle.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n°s 23PA01085 et 23PA01086 sont dirigées contre le même jugement du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Melun et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme dans leur version alors en vigueur : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 210-1 du même code dans leur version alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

5. Le bien préempté porte sur une maison de ville, encastrée entre deux immeubles, d'une surface habitable de 61 m² implantée sur une parcelle cadastrée J n° 18 d'une surface de 68 m².

6. La décision attaquée mentionne notamment, pour établir la réalité du projet d'action envisagé justifiant la préemption en litige, que l'acquisition du bien " permettra la création d'une opération de logements dont au minimum 30% de logements sociaux " et que cette acquisition " est stratégique pour la réalisation des objectifs assignés ", cet objectif étant repris dans une orientation du projet d'aménagement et de développement durables qui prévoit de déterminer des emplacements réservés pour la réalisation de logements sociaux. La décision de préemption querellée vise, notamment, le programme local de l'habitat pour 2012-2017 approuvé par délibération du conseil municipal de la ville de Vincennes le 26 septembre 2012 ainsi que la délibération de ce conseil municipal du 13 décembre 2006 instaurant le droit de préemption urbain renforcé sur l'ensemble du territoire de la ville et la convention d'intervention foncière, ainsi que ses avenants, conclue le 12 septembre 2009 entre la ville de Vincennes et l'EPFIF délimitant l'ensemble du territoire de la commune comme périmètre d'intervention selon laquelle les services de l'Etat ont demandé la réalisation de 2 964 logements sociaux supplémentaires à l'horizon 2020 (et 1 721 logements sur la période triennale 2020-2022). Si le périmètre d'intervention de l'EPFIF prévu à l'article 2 de la convention a été étendu, par l'avenant du 3 janvier 2017, à l'ensemble du territoire de la commune, il résulte de l'article 4 de cette même convention que la mission de l'établissement public " consiste d'une part à engager des démarches dans le cadre de négociations amiables et d'autre part à saisir des opportunités foncières au cas par cas, en fonction du diagnostic de mutabilité et des études de faisabilités qui seront conduites, afin de réaliser des programmes de logements (dont 50% locatifs sociaux minimum) ". En outre, selon l'article 4 de l'avenant du 3 janvier 2017 portant modification relative au droit de préemption, " la commune déléguera au cas par cas ses droits de préemption et de priorité sur les parcelles incluses dans le périmètre défini à l'article 2. / La commune transmettra à l'EPFIF toutes les déclarations d'intention d'aliéner ou demandes d'acquisition qui, après une pré-analyse par la commune, présentent une opportunité au regard des objectifs de la convention. (...) ".

7. Si les premiers juges ont relevé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que le bien préempté soit situé dans un secteur ou une zone de la commune identifiée comme à une action ou opération d'aménagement de ce programme faisant suite à un diagnostic de mutabilité et à des études de faisabilités ou à une pré-analyse effectuée par la commune, l'EPFIF a produit pour la première fois en appel une étude de faisabilité réalisée par les services de la commune de Vincennes en février 2020 portant sur la construction d'un immeuble en R+4 et R+3 comportant 52 logements sur un ilôt comportant 8 parcelles bâties indépendantes les unes des autres. La parcelle en cause d'une surface de 68 m² est incluse dans cet ilôt comprenant également les parcelles cadastrées J n° 17, 19, 20, 21, 22, 23 et 24, situées entre la rue Defrance et la rue Felix Faure et représentant une superficie totale de 995 m². Il ressort des pièces du dossier que, s'agissant des sept autres parcelles mentionnées par cette étude de faisabilité, seul le bien situé sur la parcelle J n° 23 a fait l'objet d'une acquisition par l'EPFIF le 18 mars 2022. Dans ces conditions, alors même que ce projet de création d'un immeuble en R+4 et R+3 comportant 52 logements dont 16 logements sociaux s'inscrit effectivement dans le cadre d'une stratégie foncière, l'EPFIF ne peut toutefois être regardé comme justifiant de la réalité du projet envisagé de manière certaine et dans un délai raisonnable. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision litigieuse avait été prise en méconnaissance des dispositions précitées du code de l'urbanisme et devait être annulée.

8. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme (...), la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation (...), en l'état du dossier ". Pour l'application des dispositions de cet article, aucun des autres moyens n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de la décision contestée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etablissement public foncier d'Île-de-France n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 19 mars 2020 par lequel l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a décidé d'exercer son droit de préemption sur la parcelle cadastrée section J n° 18 au 112 rue Defrance à Vincennes et lui a enjoint de proposer à M. et Mme C... d'acquérir la parcelle section J n° 18 à un prix conforme à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

10. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 23PA01085, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 23PA01086.

Sur les frais liés au litige :

11. M. et Mme C... n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les conclusions de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France le versement d'une somme globale de 2 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23PA01086.

Article 2 : Les conclusions de la requête n° 23PA01085 de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France sont rejetées.

Article 3 : L'Etablissement public foncier d'Île-de-France versera une somme globale de 2000 euros à M. et Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement public foncier d'Île-de-France, à l'établissement public territorial Paris-Est-Marne et Bois, à M. E... C..., à Mme D... C... et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 6 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Claudine Briançon, présidente honoraire désignée en application de l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2025.

La rapporteure,

C. BRIANÇON

Le président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23PA01085, 23PA01086


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01085
Date de la décision : 14/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Claudine BRIANÇON
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : GENIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-14;23pa01085 ?
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