Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société CGE Distribution à procéder à son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 2007642 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 novembre 2023, 12 avril et 12 juin 2024, et un mémoire récapitulatif enregistré le 30 août 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la société Sonepar France Distribution, qui vient aux droits de la société CGDE, représentée par Me Cormier Le Goff, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif :
1°) d'annuler le jugement n° 2007642 du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de Melun, auquel il appartenait de rechercher si la nécessité de préserver la compétitivité du secteur d'activité de la distribution de matériel électrique intégrant l'ensemble des filiales du Groupe Sonepar situées sur le territoire français était établie, a méconnu son office en limitant son contrôle au caractère erroné du périmètre du secteur d'activité retenu par l'administration ;
- la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, appréciée au niveau du secteur d'activité commun à CGE Distribution et aux autres entreprises du groupe Sonepar en France est établie ;
- l'opération dans le cadre de laquelle les licenciements ont été autorisés ne constituait pas un transfert d'entreprise, faute pour le site de Moissy-Cramayel de constituer une entité économique autonome poursuivant un objectif économique propre et dès lors qu'il n'y a eu ni transfert ni poursuite à l'identique de l'activité du site de Moissy-Cramayel, dont " l'identité " n'a pas été maintenue ;
- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal et devant la cour ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 13 février 2024, 17 mai et 17 juillet 2024, ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré le 8 août 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, M. A..., représenté par Me Rilov, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- l'inspectrice du travail a méconnu les dispositions du code du travail et fait une appréciation erronée des faits de l'espèce en contrôlant le motif économique invoqué, le respect de l'obligation de reclassement et l'absence de lien entre le licenciement et le mandat.
Par un mémoire, enregistré le 22 mai 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités indique qu'elle n'a pas d'autres observations à faire que celles déjà présentées en première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cornier Le Goff, pour la société Sonepar France Distribution, et de Me Ghosh, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. La société CGE Distribution, aux droits de laquelle vient la société Sonepar France Distribution, a sollicité, le 5 juin 2020, l'autorisation de licencier pour motif économique de M. A..., salarié protégé. Par une décision du 24 juillet 2020, l'inspectrice du travail a autorisé ce licenciement. La société Sonepar France Distribution relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) / Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché (...) ".
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.
4. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique ou a refusé de l'autoriser pour le motif tiré de ce que les difficultés économiques invoquées ne sont pas établies et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le motif économique, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent.
5. En premier lieu, il ressort des termes du jugement attaqué, en particulier de son point 6, qu'après avoir jugé que l'inspectrice du travail avait commis une erreur de droit en appréciant les difficultés économiques de la société CGE Distribution au regard d'un secteur d'activité n'incluant que celle-ci et sans tenir compte des filiales du groupe Sonepar exerçant en France, les premiers juges ont contrôlé le bien-fondé du motif économique invoqué par la société Sonepar France Distribution pour demander l'autorisation de licencier M. A... en examinant la situation de l'ensemble des filiales intervenant dans le même secteur d'activité que la société CGE Distribution, au regard de l'organigramme produit par la société CGE Distribution. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient méconnu leur office et que le jugement attaqué serait de ce fait entaché d'irrégularité manque en fait et doit être écarté.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la société Sonepar France est spécialisée dans la distribution de matériels, de solutions électriques et de services associés en France et à l'étranger. Avant la création, le 1er juin 2022, de la société Sonepar France Distribution, l'activité de distribution généraliste aux professionnels est opérée, au niveau national, par la société CGE Distribution, sous l'enseigne CGED et, au niveau régional, par les sociétés Sonepar Ile-de-France, Sonepar Nord-Est, Sonepar Ouest, Sonepar Sud-Ouest Sonepar Sud-Est et Sonepar Méditerranée, sous l'enseigne Connect, et par les sociétés sous enseigne propre AED et Bianchi. Le réseau national opéré par la société CGE Distribution possède 171 agences ainsi qu'un entrepôt logistique centralisé, implanté à Moissy-Cramayel. Participent également à l'activité du réseau de distribution généraliste les sociétés Sonepar France Interservices (services financiers), Sonelog (services logistiques) et Sonapro (centrale d'achat). Ce réseau généraliste destiné aux professionnels est complété par un réseau de distribution " grand public " destiné aux particuliers, avec la société Sonepar France Grand Public. En outre, la société Sonepar France possède plusieurs filiales spécialisées dans des marchés complémentaires à celui de la distribution de matériel électrique. Au regard de l'identité des services proposés et de la clientèle visée, le secteur d'activité pertinent pour l'appréciation de la menace sur la compétitivité de l'entreprise correspond à l'ensemble de l'activité du groupe Sonepar France, à l'exception des filiales spécialisées dans des secteurs complémentaires à la distribution de matériel électrique. Dans ces conditions, en appréciant les difficultés économiques de la société CGE Distribution au regard d'un secteur d'activité n'incluant que celle-ci, ainsi que cela ressort des termes de la décision attaquée et des écritures du ministre en défense, l'inspectrice du travail a commis une erreur de droit, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Melun.
7. Il appartient donc à la cour de contrôler le bien-fondé du motif économique invoqué par la société Sonepar France Distribution en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité.
8. La société CGE Distribution a sollicité l'autorisation de licencier M. A... en faisant valoir la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, mise en difficulté, selon elle, par les mutations du marché de la distribution de matériel électrique. A ce titre, la société fait valoir que le marché a été marqué par l'apparition de distributeurs indépendants présentant une organisation logistique d'échelle régionale ainsi que par le développement d'une offre de matériel électrique sur les sites de commerce en ligne, et que ces évolutions ont entraîné une réduction des délais de livraison. Dans ce cadre, il est apparu nécessaire, selon elle, de transformer son organisation logistique, pour la rendre plus performante tout en réduisant les coûts. A cette fin, le groupe Sonepar a décidé, sous l'appellation de " Projet Bridge ", de fermer le site de Moissy-Cramayel après le transfert, par étapes successives, entre 2017 et le début de l'année 2020, de l'ensemble de l'activité logistique de la société CGE Distribution vers les plateformes régionales, jugées mieux adaptées aux contraintes du marché eu égard notamment à leur plus grande degré d'automatisation et au fait qu'elles permettent une livraison en J+1 pour les commandes passées avant 20 heures, au lieu de 18 heures pour le site de Moissy-Cramayel. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la régionalisation de la logistique de la société CGE Distribution, outre la diminution des coûts induite par la mutualisation, aurait eu pour objet de réduire des délais de livraisons dont la " plaquette " de présentation de la logistique de la société CGE Distribution produite au dossier par la société Sonepar France Distribution indique qu'elle permet une livraison à " J+0 " grâce aux stocks en agence et, pour le reste, une livraison à " J+1 ", avant 8 heures 30 dans 75 % des cas. D'autre part, si la société invoque la diminution du chiffre d'affaires de la société CGE Distribution entre 2013 et 2016 (- 14,5 %) et produit des documents attestant de ces difficultés économiques, cet indicateur, qui a par la suite augmenté de 12,9 % entre 2016 et 2019 avant de subir une diminution en 2020 dans le contexte de crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid 19, ne concerne en tout état de cause pas le secteur d'activité défini au point précédent mais seulement une partie de ce dernier. Si la société fait valoir que le groupe Sonepar dans son ensemble a connu une sous-performance continue sur la période 2014-2018 par rapport à ses concurrents sur le marché de la distribution et une évolution de son chiffre d'affaires très inférieure à celle de ces mêmes concurrents sur plusieurs années consécutives, ces allégations concernant un groupe comprenant plusieurs sociétés régionalisés contredisent celles selon lesquelles les difficultés de la société CGE Distribution étaient liées à l'inadaptation de ses flux logistiques à partir d'une seule plateforme nationale. Par ailleurs, la société ne produit aucun élément relatif à ses parts de marchés et à celles de ses concurrents. Alors qu'il est constant que le groupe Sonepar France est le leader du marché dans le monde et numéro deux en France, après son principal concurrent, la société Rexel, les documents intitulés " résultats commerciaux " pour 2015 à 2017 et le tableau reprenant les résultats du groupe pour les années 2011, 2014 et 2018, ne permettent pas à eux seuls d'établir que la mutualisation des plateformes logistiques régionales et le fermeture du site de Moissy-Cramayel étaient nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité de la société et ne se bornaient pas à répondre à l'objectif, affiché pour l'ensemble du groupe, en France et à l'étranger, dans les rapports annuel pour 2019 et 2020, de défense des parts de marchés pour éviter une dégradation des conditions tarifaires d'achat, de poursuite des efforts de productivité et d'accélération de la " transformation digitale pour mieux servir les clients et renforcer la position de leader du groupe ". Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a jugé que le motif économique invoqué par l'entreprise n'était pas établi.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sonepar France Distribution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 24 juillet 2020 de l'inspectrice du travail autorisant le licenciement de M. A.... Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
10. L'Etat n'ayant pas fait appel du jugement du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun, il n'est pas partie au présent litige d'appel. Dès lors, les conclusions par lesquelles M. A... demande que soit mis à la charge de celui-ci une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Sonepar France Distribution est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sonepar France Distribution, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 3 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2025.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des failles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04963