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07/03/2025 | FRANCE | N°24PA02091

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 07 mars 2025, 24PA02091


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

1er septembre 2023 en tant que le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 24 mois.



Par un jugement n° 2311267 du 9 avril 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision portant interdictio

n de retour de M. B... sur le territoire français pour une durée de 24 mois et a rejeté le surplus de sa de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

1er septembre 2023 en tant que le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 24 mois.

Par un jugement n° 2311267 du 9 avril 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision portant interdiction de retour de M. B... sur le territoire français pour une durée de 24 mois et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mai 2024, M. B..., représenté par Me Werba, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté en tant que le préfet l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation administrative et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans les délais de, respectivement, un mois et quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît le 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il encourt des risques en cas de retour en Russie, au regard notamment des conditions de recrutement et de mobilisation pour la guerre en Ukraine ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 27 août 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 27 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique : le rapport de M. Mantz, rapporteur, et les observations de Me Werba, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant russe né le 20 décembre 1990, entré en France le

12 octobre 2003 selon ses déclarations, s'est vu refuser le bénéfice de l'asile par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 8 juin 2023, notifiée le

6 juillet 2023. Cette décision étant devenue définitive, faute de recours de l'intéressé devant la cour nationale du droit d'asile (CNDA), le préfet de la Seine-Saint-Denis, par un arrêté du

1er septembre 2023, après avoir refusé l'admission au séjour au titre de l'asile de M. B..., a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, a fixé le pays de destination, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 9 avril 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté en tant qu'il prononce à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ".

3. M. B... se prévaut des dispositions qui précèdent en soutenant qu'il est entré en France le 12 octobre 2003, soit avant l'âge de treize ans, et qu'il y réside habituellement depuis lors. Toutefois, l'intéressé ne produit aucune pièce pour la période allant du 28 juin 2013, date de la lettre que lui a adressée le commandant C... étrangère, en réponse à sa demande d'obtention d'un état signalétique de ses services au sein de cette force combattante où il a servi entre 2010 et 2013, et le 3 décembre 2019, date d'effet du relevé de compte à son nom au sein de la banque BNP Paribas. Par suite, en l'absence de toute pièce afférente à cette période, de

6 ans et demi environ, M. B... n'établit pas une résidence habituelle en France à la date de la décision attaquée, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, par suite, être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. M. B... se prévaut de ses attaches personnelles en France, de ce qu'il a été placé en famille d'accueil dès son arrivée en 2003, de ce qu'il a effectué l'essentiel de sa scolarité dans ce pays, de son intégration dans la Légion étrangère entre 2010 et 2013 et de ce qu'il n'a plus d'attaches familiales en Russie. Toutefois, d'une part, s'il ne saurait être sérieusement contesté que l'intéressé a résidé en France entre 2003 et 2010, puis a servi l'Armée française entre 2010 et 2013, il ne produit aucune pièce pour les années 2013 à 2019, ainsi qu'il a été dit au point 3. Par suite, sa résidence continue sur le territoire français, à la supposer établie, ne saurait en tout état de cause avoir débuté, au plus tôt, qu'à compter de la fin 2019. En outre, M. B..., qui est célibataire, sans charge de famille, ne justifie ni d'une vie familiale, ni d'attaches amicales significatives en France, ni au demeurant d'une insertion particulière, notamment professionnelle, dans la société française. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, ainsi que celui, pour les mêmes motifs, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure sur la situation personnelle de M. B....

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

6. M. B... invoque les risques qu'il encourt en cas de retour en Russie au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Il doit ainsi être regardé comme demandant l'annulation de la décision fixant la Russie comme pays de destination de la mesure d'éloignement prise à son encontre.

7. Ainsi que l'a estimé la Cour nationale du droit d'asile dans sa décision n° 21068674 du 20 juillet 2023, lorsqu'il peut être tenu pour établi qu'un ressortissant russe est appelé dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes du décret présidentiel russe n° 647 du

21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé, il est probable qu'il soit amené à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre dans le cadre de son service, étant donné l'objet même de la mobilisation partielle, l'impossibilité de refuser un ordre de mobilisation et compte tenu des conditions de déroulement du conflit armé entre la Russie et l'Ukraine, marqué par la commission à grande échelle de crimes de guerre par les diverses unités des forces armées russes, que ce soit dans les territoires contrôlés par l'Ukraine ou dans les territoires actuellement placés sous contrôle des autorités russes. Dans ces conditions, les insoumis à cette mobilisation et les mobilisés ayant déserté sont exposés, à raison de leur refus de participer aux opérations militaires menées par l'armée russe en Ukraine, à des sanctions constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il appartient au requérant de fournir l'ensemble des éléments pertinents permettant d'établir qu'il est effectivement soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre. La seule appartenance à la réserve mobilisable ne permet pas d'établir qu'un ressortissant russe serait effectivement amené à commettre de tels crimes. Il lui incombe de fournir les éléments permettant d'établir qu'il est effectivement appelé à servir dans les forces armées dans le cadre de la mobilisation partielle du décret du 21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé.

9. Si M. B... invoque la décision de la CNDA mentionnée au point 7 ainsi qu'un article du journal Le Monde daté du 28 juillet 2023 et intitulé " La Russie repousse l'âge limite de la conscription de 27 ans à 30 ans ", il ne produit aucun document de nature à établir qu'à la date de la décision contestée, il était effectivement soumis à une obligation militaire et à sa mobilisation certaine dans le contexte de la guerre conduite par la Russie contre l'Ukraine et, par conséquent, qu'il serait exposé à des risques personnels et actuels de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Sa demande d'asile a d'ailleurs été rejetée, ainsi qu'il a été dit au point 1. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté ainsi que celui, pour les mêmes motifs, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. B....

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 14 février 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Doumergue, présidente,

- Mme Bruston, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2025.

Le rapporteur,

P. MANTZLa présidente,

M. DOUMERGUE

La greffière,

E. FERNANDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA02091 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02091
Date de la décision : 07/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : WERBA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-07;24pa02091 ?
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