Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA Crédit Industriel et Commercial a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.
Par un jugement n° 2102655-1 du 26 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 décembre 2023 et 14 juin 2024, la SA Crédit Industriel et Commercial, représentée par Me Bussac, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses et des majorations et pénalités dont elles ont été assorties ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les subventions en cause n'ont pas de caractère exceptionnel ;
- elles ont un caractère normal et courant et relèvent du modèle économique de l'entreprise ;
- les subventions récurrentes ont le caractère de charges d'exploitation ;
- la rupture du parallélisme des produits et des charges est contraire à l'instruction référencée 6 E-11-05 du 21 octobre 2005 et au rescrit fiscal n° 2005/47 IDL ;
- la doctrine administrative précise que le caractère normal et courant résulte de l'appréciation de chaque situation de fait (BOI-CVAE-BASE-20 n° 50) ;
- il convient de mettre en œuvre les principes communautaires de neutralité fiscale et de non-discrimination ;
- le règlement relatif à la modernisation des états financiers approuvé en 2021 entérine les tendances jurisprudentielles en la matière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement n° 91-01 du 16 janvier 1991 du comité de la réglementation bancaire ;
- le règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du comité de la réglementation comptable ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Une note en délibéré a été présentée le 7 février 2025 par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Crédit Industriel et Commercial (CIC), qui est une entreprise du secteur bancaire développant une activité de banque de détail en Île-de-France et actionnaire de banques régionales ayant la même activité, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur la période courant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. Par des propositions de rectification des 24 décembre 2014 et 30 juin 2015, l'administration fiscale a remis en cause, pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la déduction de la valeur ajoutée de subventions que la société a accordées à ses filiales. Ces rappels ont été mis en recouvrement le 29 janvier 2016 pour des montants, en droits et intérêts de retard, de 678 775 euros au titre de l'année 2011 et de 704 674 euros au titre de l'année 2012. La société requérante relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations supplémentaires à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
2. Aux termes de l'article 1586 sexies du code général des impôts : " (...) III.- Pour les établissements de crédit et, lorsqu'elles sont agréées par l'Autorité de contrôle prudentiel, les entreprises mentionnées à l'article L. 531-4 du code monétaire et financier : / (...) 2. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1, majoré des reprises de provisions spéciales et des récupérations sur créances amorties lorsqu'elles se rapportent aux produits d'exploitation bancaire ; / b) Et, d'autre part : / - les charges d'exploitation bancaires autres que les dotations aux provisions sur immobilisations données en crédit-bail ou en location simple ; / - les services extérieurs, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location ; / - les charges diverses d'exploitation, à l'exception des moins-values de cession sur immobilisations autres que celles portant sur les autres titres détenus à long terme et des quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; / - les pertes sur créances irrécouvrables lorsqu'elles se rapportent aux produits d'exploitation bancaire. / (...) ".
3. Les dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause. La norme applicable est, pour un établissement de crédit, le règlement du comité de la réglementation bancaire du 16 janvier 1991 relatif à l'établissement et à la publication des comptes des établissements de crédit. Lorsqu'un poste comptable applicable aux établissements de crédit n'est pas spécifique aux activités de ces établissements, il y a lieu de l'interpréter à la lumière des dispositions équivalentes du plan comptable général, tel qu'il est défini par le règlement du comité de la réglementation comptable du 29 avril 1999.
4. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre d'une convention de financement du plan de développement du groupe CIC sur cinq ans (2007 à 2012) prolongé jusqu'en 2014, la société Crédit Industriel et Commercial a versé une contribution financière à ses filiales en vue d'assurer le développement commercial du réseau CIC dans les zones géographiques où le groupe est insuffisamment implanté. Cette subvention avait pour objet, d'une part, de prendre dégressivement en charge les frais de personnel dans les agences bancaires créées, et d'autre part, de valoriser sous la forme d'une bonification les nouvelles agences atteignant certains objectifs d'activité en matière d'épargne, de crédit et d'assurance, dans la limite maximale du résultat déficitaire de l'agence. La contribution financière versée aux nouvelles agences a ainsi pour finalité de leur permettre de faire face à certaines charges d'exploitation ou de développer certains de leurs produits d'exploitation.
5. En l'absence de dispositions spécifiques pour la comptabilisation des subventions en cause dans le règlement du 16 janvier 1991 mentionné au point 3. ci-dessus, il y a lieu de rattacher ces subventions aux charges, lesquelles doivent être enregistrées, selon le cas, dans un compte de " services extérieurs " rattaché au compte de classe 15 " charges générales d'exploitation " ou au compte de classe 22 " charges exceptionnelles ", comme le prévoit le règlement du 29 avril 1999 également mentionné au point 3., qui prescrit un enregistrement des subventions, selon le cas, dans les charges d'exploitation mentionnées au compte 628 " Autres services extérieurs divers " ou dans les charges exceptionnelles mentionnées au compte 6715 " subventions ", sous-compte du compte 671 " charges exceptionnelles sur opérations de gestion ". Les dépenses de subventions réalisées par une entreprise doivent, ainsi, être comptabilisées en charges exceptionnelles lorsqu'elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise et en charges d'exploitation dans le cas contraire.
6. Il est constant que les subventions litigieuses ont été versées par la société requérante aux banques régionales dont elle détient la quasi-totalité du capital dans le cadre d'un plan pluriannuel de développement du réseau élaboré afin de combler un retard concurrentiel, et plus précisément pour permettre à leur réseau d'atteindre une taille critique et de préserver ainsi la notoriété du groupe et sa position sur le marché de la banque de détail. Ces subventions, qui revêtent la forme d'une prise en charge dégressive des frais de personnel pour chaque salarié employé dans les nouvelles agences ou de bonifications " Epargne ", " Crédits " et " assurance ", réparties selon l'atteinte d'objectifs de production dont le montant global maximum est fixé à 45 000 euros pour chacun des trois critères " Epargne ", " Crédits " et " assurance ", sont versées pour chaque agence dans la limite du résultat déficitaire de l'agence en valeur absolue. Une telle opération qui s'étend sur plusieurs années, ne saurait être regardée, compte tenu des responsabilités incombant à la société requérante dans le développement du réseau, comme ne relevant pas de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise. Contrairement à ce que soutient le ministre, la seule circonstance que ces subventions aient atteint des montants significatifs et aient pour objet de couvrir des résultats déficitaires ne saurait suffire à leur conférer un caractère exceptionnel. Il s'ensuit que de telles dépenses, qui doivent être regardées comme des charges d'exploitation bancaires au sens des dispositions précitées de l'article 1586 sexies du code général des impôts, doivent être retenues en déduction pour le calcul de la valeur ajoutée de l'entreprise qui les alloue. Enfin, en faisant valoir devant la cour que les subventions en cause présentaient un caractère inhabituel et anormal au regard de l'activité ordinaire de la société requérante, le ministre, qui se borne pour l'essentiel à soutenir que ces subventions ont un caractère exceptionnel, ne saurait être regardé comme soulevant le moyen tiré de ce que l'octroi de ces subventions serait constitutif d'un acte anormal de gestion. En tout état de cause, ce moyen, dont la preuve du bien-fondé incombe à l'administration, ne saurait être regardé comme assorti d'une argumentation de nature à justifier de ce bien-fondé.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Crédit Industriel et Commercial est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et à obtenir la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2102655-1 du 26 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La SA Crédit Industriel et Commercial est déchargée en droits et pénalités des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.
Article 3 : L'Etat versera à la SA Crédit Industriel et Commercial la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Crédit Industriel et Commercial et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 5 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLa présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05375 2