Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis, lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 29 décembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis, lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2300002-2301346 du 14 novembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé les arrêtés des 28 novembre 2022 et 29 décembre 2022, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout autre préfet territorialement compétent de délivrer à
M. et à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023 sous le n° 23PA04949, le préfet de la Seine-Saint-Denis, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. et Mme D... présentées devant le tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premiers juges ont retenu que les traitements que nécessitent l'état de santé de M. D... n'étaient pas disponibles en Algérie, alors qu'il ressort des fiches " MedCOI " que lesdits traitements sont disponibles même si ces fiches ne peuvent être communiquées, sauf à violer le secret médical, les informations contenues dans ces fiches étant fondées sur des exemples individuels permettant d'identifier les tiers ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'arrêté du 29 décembre 2022 pris à l'encontre de Mme D... méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la cellule familiale peut se reconstituer en Algérie ;
- les moyens soulevés en première instance, et tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen particulier, du vice de procédure, de la violation des stipulations des articles 6-5 et 6-7 de l'accord franco-algérien et de l'erreur manifeste d'appréciation, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2024, M. C... D... et Mme B... A... épouse D..., représentés par Me Charles, concluent au rejet de la requête, et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à a charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le préfet ne démontre pas qu'il existerait en Algérie des structures en mesure de prendre en charge M. D..., alors que cette démonstration lui incombe ; le préfet n'est pas tenu de ne se fonder que sur les fiches " MedCOI ", qu'en tout état de cause, il peut anonymiser pour respecter le secret médical ainsi que le principe du contradictoire ;
- les moyens qu'ils ont soulevés en première instance sont fondés.
II. Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023 sous le n° 23PA04950 le préfet de la Seine-Saint-Denis, demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement
n° 2300002-2301346 du 14 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont satisfaites.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2023, M. et Mme D... concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les conditions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne sont pas réunies.
Par une ordonnance du 21 novembre 2024, la clôture de l'instruction de l'instance n°23PA04949 a été fixée au 23 décembre 2024 à 12 heures.
Par une ordonnance du 6 juin 2024, la clôture de l'instruction de l'instance
n° 23PA04950 a été fixée au 8 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n°1049/2001 du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 425-11 à R. 425-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston, rapporteure,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Charles, représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D... et Mme B... A... épouse D..., ressortissants algériens nés respectivement les 7 avril 1951 et 13 février 1956, sont entrés en France le 18 novembre 2017. M. D... a bénéficié de titres de séjour délivrés en qualité d'étranger malade à compter de 2019, régulièrement renouvelés jusqu'au 15 juillet 2022. Le 3 juin 2022, M. D... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour, sur le fondement du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par un arrêté du 28 novembre 2022, le préfet de la
Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance du titre sollicité et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination. Le 6 août 2021,
Mme A... épouse D... a sollicité un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale et en qualité d'ascendant à charge de son fils de nationalité française, sur le fondement des stipulations des articles 6-5 et 7 bis b) de l'accord franco-algérien. Par un arrêté du
29 décembre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance des titres sollicités, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par la requête n° 23PA04949, le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du 14 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé les arrêtés des 28 novembre 2022 et 29 décembre 2022, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout autre préfet territorialement compétent de délivrer à M. et à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la requête n°23PA04950, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande le sursis à exécution de ce jugement. Les requêtes n° 23PA04949 et n° 23PA04950 présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 23PA04949 :
En ce qui concerne l'arrêté du 28 novembre 2022 :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dont il peut effectivement bénéficier dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour refuser à M. D... la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est notamment fondé sur l'avis du 3 octobre 2022 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui mentionnait que si l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Algérie, il pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé.
5. Pour annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 28 novembre 2022, les premiers juges se sont fondés sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet de la Seine-Saint-Denis quant à la disponibilité d'un traitement approprié à l'état de santé de M. D... dans son pays d'origine.
6. M. D..., qui a levé le secret médical, fait valoir qu'il souffre d'une sclérose en plaques depuis 1984 avec déficit progressif des membres inférieurs et perte de la marche en 1992, qu'il a été victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) en 2016, qu'il est atteint également de plusieurs pathologies, à savoir, une chlolécystite lithiasique, une pneumonie d'inhalation, un diabète et une vessie neurologique, ce qui a donné lieu à de très nombreuses hospitalisations de 2018 à 2021. L'intéressé, qui bénéficie en France d'une prise en charge multi-disciplinaire au centre hospitalier de Gonesse pour le traitement de sa sclérose en plaques compliquée du fait de son AVC et en hôpital de jour, au sein du Centre de médecine physique et de réadaptation (CMPR) de Bobigny, pour prévenir une dégradation de son état fonctionnel, a produit devant le tribunal administratif de nombreux documents probants de nature à établir que son traitement est indisponible dans son pays d'origine, notamment des certificats médicaux établis par des praticiens français, faisant état de l'indisponibilité en Algérie de son traitement médicamenteux à base de Kesimpta, Ocrevus, Tysabri et Gilental, un certificat émanant d'un praticien urologue algérien, attestant de l'absence en Algérie de certains composants essentiels du traitement de la vessie neurologique du patient, en particulier les injections de toxines botuliques, un courriel du laboratoire pharmaceutique produisant l'Ocrevus attestant de sa non commercialisation en Algérie et le résultat de recherches tendant à établir l'indisponibilité en Algérie des autres médicaments cités. A cet égard, si certains certificats médicaux produits par M. D..., en date des 16, 17, 18 et 23 décembre 2022 sont postérieurs à la décision en litige, cette seule circonstance n'est pas de nature à devoir les écarter des débats par principe, dès lors qu'ils révèlent une situation prévalant antérieurement à l'édiction de l'arrêté contesté.
7. Pour justifier de la disponibilité du traitement nécessaire à M. D..., le préfet se borne, ainsi que l'ont relevé les premier juges, à mentionner des références aux fiches MedCOI sur lesquelles s'est fondé l'OFII pour rendre son avis, sans toutefois les produire, alors même que, contrairement à ce qu'il soutient, si la consultation de la section restreinte de la base de données " MedCOI " est règlementée à l'article 4, paragraphe 1, point a) du Règlement (CE) n° 1049/2001, en raison notamment, de la nécessité d'assurer le respect du secret médical, aucune disposition législative ou réglementaire ne pose, par principe, une interdiction de communication ces fiches, le cas échéant anonymisées, ou de tout extrait pertinent, expurgé de toute donnée personnelle, de nature à établir la disponibilité des médicaments en cause, en Algérie. Les autres sources documentaires sur lesquelles s'est fondé l'OFII, à savoir le site " pharmnet.dz ", dont au demeurant le préfet ne produit pas les pages auxquelles il se réfère, font apparaître, contrairement à ce qui est soutenu, que les médicaments prescrits à M. D..., à savoir l'Ocrevus, le Gylenia et le Peristeen, ne sont pas disponibles en Algérie, seul le Tysabri étant commercialisé dans ce pays. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les injections de toxine botulique prescrites à M. D... par les praticiens hospitaliers ne seraient pas utiles au traitement de sa pathologie ou seraient substituables par un traitement médicamenteux administrable par voie orale qui serait disponible en Algérie. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... pourrait bénéficier en Algérie d'un traitement approprié à son état de santé.
En ce qui concerne l'arrêté du 29 décembre 2022 :
8. Pour annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 29 décembre 2022, les premiers juges se sont fondés sur le fait que le préfet de la Seine-Saint-Denis avait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'admettre au séjour Mme D....
9. Si le préfet de la Seine-Saint-Denis soutient que Mme D... dispose d'attaches familiales dans son pays d'origine, l'Algérie, où résident encore plusieurs de ses fils majeurs, il ressort toutefois des pièces du dossier, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que la présence de Mme D... est indispensable à son époux, M. D..., atteint d'une sclérose en plaques et tétraplégique, dont elle assure l'aide principale dans tous les actes du quotidien, et que le couple est hébergé par l'un de leur fils, médecin, qui les prend en charge. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé ses arrêtés des 28 novembre 2022 et 29 décembre 2022 pris à l'encontre de
M. et Mme D..., lui a enjoint de délivrer à M. et à Mme D... des titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", et a mis à la charge de l'Etat une somme de
2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme D..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête n° 23PA04950 :
12. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement
n° 2300002-2301346 du 14 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil, les conclusions de la requête n° 23PA04950 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23PA04950 du préfet de la
Seine-Saint-Denis.
Article 2 : La requête n° 23PA04949 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... D... et à Mme B... A... épouse D....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 31 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseur,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA04949, 23PA04950 2