Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/22-0249 du 8 novembre 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros ou de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2300527/3-3 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 8 novembre 2022 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2023, le ministre de l'intérieur demande à
la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2023 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société Air France en première instance.
Il soutient que :
- l'article L. 821 -8 du code des transports, qui fait obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants
d'États non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides, instaure une présomption de manquement du transporteur à son obligation de contrôle des documents du passager, lorsque débarque en France un étranger démuni des documents requis ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la capture d'écran du logiciel ALTEA produite par la société Air France constituait une preuve que les documents de voyage du passager ne présentant pas d'irrégularité manifeste lui ont bien été présentés par le passager au moment de l'embarquement ;
- la société Air France n'apporte pas la preuve qu'elle a effectué un contrôle documentaire au moment de l'embarquement et que les documents présentés ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2024, la société Air France conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des transports ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rémy, représentant la société Air France.
Des notes en délibéré présentées pour la société Air France ont été enregistrées les 23 et 27 janvier 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 8 novembre 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement des articles L. 821-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 29 avril 2022, débarqué sur le territoire français un passager en provenance d'Atlanta, de nationalité indéterminée, dépourvu de document de voyage, son passeport étant altéré par l'absence de la page d'identité. Par un jugement du 10 octobre 2023 dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 8 novembre 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. " Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6... n'est pas infligée : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de
l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction que le passager se disant M. A... de nationalité indéterminée, était dépourvu de document de voyage valide au moment où il est entré sur le territoire français, son passeport étant altéré par l'absence de la page d'identité. La société Air France fait valoir que le passager était en possession d'un document de voyage au moment de l'embarquement et qu'il a pu altérer son passeport par la suite. A l'appui de ses allégations, elle produit un extrait de la base de données Altéa dans laquelle ont été enregistrées les informations concernant le nom du passager, son numéro de passeport et la date d'expiration de ce document et indique que ces informations n'ont pu être enregistrées qu'après la lecture de la zone de lecture optique du passeport au moment de l'embarquement. Toutefois, si ces informations permettent d'établir que le passager s'est présenté avec un passeport complet au moment de l'embarquement, elles ne suffisent cependant pas à établir, en l'absence de production d'une copie numérisée de ce document, que le document de voyage ne comportait pas d'élément d'irrégularité manifeste. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la société Air France une amende sur ce fondement. Dans les circonstances de l'espèce, aucune circonstance particulière ne justifie par ailleurs une minoration du montant de l'amende prévue par ces dispositions. Ainsi, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision du ministre de l'intérieur du
8 novembre 2022.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 8 novembre 2022.
Sur les frais de l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Air France au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris n°2300527/3-3 du 10 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Air France devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Air France.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente,
Mme Bruston, présidente assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. DOUMERGUE La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA04893 2