Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Atina a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de la période du 29 mai au 31 décembre 2015.
Par un jugement n° 1908670 du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 juin et 5 décembre 2023, et les 7 et 16 octobre 2024, la société Atina, représentée par Me Michelet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le tribunal a omis de répondre aux moyens, tirés de ce que :
- l'administration a méconnu la règle selon laquelle des redressements ne peuvent être assis sur des éléments recueillis auprès de tiers sans les corroborer par des données propres au contribuable ;
- l'administration n'a pas révélé l'origine exacte du rapport établi par le cabinet ODP Conseils, sur lequel elle s'est appuyée ;
- l'irrégularité entachant la vérification de la comptabilité de la société Urban Roof, auprès de laquelle l'administration a obtenu le rapport du cabinet ODP Conseils, vicie le contrôle sur pièces dont elle a fait ultérieurement l'objet ;
- ni la loi, ni la jurisprudence n'autorisent l'administration à utiliser des éléments recueillis de manière illicite ;
- le rapport utilisé par l'administration fiscale se réfère exclusivement, et donc illégalement, au guide de l'évaluation des entreprises, qui ne peut être utilisé pour asseoir des redressements ;
- l'administration ne peut mettre en œuvre une évaluation directe des titres de la société Thermosani sans avoir démontré au préalable, dès la proposition de rectification, l'impossibilité d'identifier des opérations portant sur des biens similaires, et donc de procéder à une évaluation par comparaison ;
- la motivation de la proposition de rectification par référence au rapport établi par le cabinet ODP Conseils est irrégulière, ce rapport n'ayant pas été joint ;
- l'administration n'a pas pris en compte les conditions dans lesquelles la société Thermosani exerçait son activité ;
- sa position est confirmée par l'arrêt du Conseil d'État du 20 octobre 2021, n° 445685, Coureau ;
- aucune jurisprudence n'a jamais été rendue dans l'hypothèse où l'auteur d'une libéralité est une personne physique, et le bénéficiaire, une personne morale dont elle détient la totalité des parts ;
- le tribunal a en outre omis de statuer sur deux branches du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, et sur l'argument tiré de ce que la valeur de la société devait être estimée sur la base de la moyenne des résultats nets des exercices clos de 2011 à 2014 ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- l'administration a méconnu l'esprit du contrôle sur pièces, tel qu'il résulte, notamment, des directives internes et mis en œuvre une vérification de sa comptabilité, sans lui accorder les garanties attachées à une telle procédure ;
- le tribunal a écarté, à tort, le principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques ;
- l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales a été méconnu ;
- la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable ne sont pas suffisamment motivées, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- le principe de loyauté a été méconnu ;
- aucune disposition n'autorisait le vérificateur à demander à la société Urban Roof le rapport établi par le cabinet ODP Conseils, lequel est en outre couvert par le secret professionnel et a été exploité au-delà du délai de trois mois fixé à l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ;
- la charge de la preuve incombe à l'administration ; or celle-ci n'apporte pas la preuve que le critère matériel et le critère intentionnel de la libéralité seraient satisfaits ;
- l'évaluation des titres retenue par l'administration ne peut être confirmée dès lors qu'elle repose sur un rapport, utilisé " à charge ", qui ne lui est pas opposable, ne présente aucune garantie d'exactitude, n'est pas justifié et n'est assorti d'aucune pièce comptable ; ce rapport, en outre, est entaché d'erreurs matérielles et d'imprécisions ;
- la méthode retenue par l'administration pour évaluer la valeur des titres apportés ne peut être confirmée dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une recherche d'éléments éventuels de comparaison, en particulier de cessions similaires, alors que le recours à une telle méthode est prioritaire ;
- l'évaluation de la valeur mathématique est erronée dès lors, d'une part, que l'évaluation de l'actif net comptable repose sur le bilan comptable de la société Thermosani, qui est lui-même erroné, dès lors qu'il ne fait pas mention des échéances à régler de la dette résiduelle du plan de continuation établi par le tribunal de commerce à l'égard de cette société, des dividendes à verser aux actionnaires et des provisions constatées ; d'autre part, la prise en compte d'une plus-value latente sur la valeur du fonds de commerce n'est pas justifiée, dans son principe et dans son montant, le coefficient multiplicateur, fixé à 10, n'étant pas étayé ;
- l'application de la méthode dite de la survaleur n'est pas justifiée, en l'absence d'opération d'acquisition effective ; en outre, la valeur estimée de la société au terme de cette méthode est inférieure à celle résultant de la valeur mathématique ; enfin, aucune donnée factuelle propre à la société Thermosani n'est évoquée pour justifier l'application de cette survaleur ;
- la valeur de productivité est erronée dès lors qu'elle aurait dû reposer sur la moyenne des bénéfices nets réalisés sur les exercices clos entre 2011 et 2014 et non seulement entre 2012 et 2014 ;
- la pondération retenue entre les trois méthodes utilisées n'est pas justifiée ;
- l'administration lui a refusé, à tort, la déduction des échéances du plan de continuation demeurant à régler, et l'application d'abattements pour non-liquidité, clause d'agrément et perte d'un " homme clé " ;
- l'intention de consentir et de recevoir une libéralité n'est pas démontrée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 septembre 2023 et les 3 et 18 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Atina ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Milon,
- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Atina a fait l'objet d'un contrôle à la suite des vérifications de comptabilité engagées à l'encontre des sociétés Thermosani et Urban Roof au cours desquelles l'administration a constaté que M. A..., ancien président et associé de la société par actions simplifiée Thermosani, avait cédé, le 28 mai 2015, 900 actions de cette société à la société Urban Roof pour un prix global de 476 100 euros, correspondant à un prix unitaire, par action, de 529 euros. L'administration fiscale a, au terme des opérations de vérification de ces deux sociétés, évalué à 979,50 euros la valeur vénale unitaire des actions de la société Thermosani et conclu à l'existence d'un écart significatif entre le prix de cession de ces actions et leur valeur, ainsi qu'à l'octroi d'une libéralité volontairement consentie par M. A... à la société Urban Roof. Constatant que Mme A..., également associée de la société Thermosani, avait apporté, le 29 mai 2015, 1 000 actions de cette même société à la société Atina, dont elle est associée unique, pour un montant global de 529 000 euros, l'administration a adressé à la société Atina, le 11 juillet 2018, une proposition de rectification afin de tirer les conséquences de son évaluation, à 979,50 euros, de la valeur vénale unitaire des actions de la société Thermosani et de réintégrer dans le bénéfice imposable de la société Atina l'insuffisance d'actif résultant de cet apport. La société Atina a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés ayant résulté de cette réintégration, au titre de l'exercice clos en 2015. Elle fait appel du jugement du 20 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) / Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit être également motivée ".
3. Il résulte de l'instruction que, pour évaluer à 979,50 euros la valeur vénale unitaire des actions de la société Thermosani et conclure à une minoration, par la société Atina, de la valeur d'apport déclarée, de 529 000 euros, pour 1 000 actions de cette société, soit une valeur unitaire de 529 euros, l'administration fiscale s'est fondée sur les éléments contenus dans un rapport établi le 5 mars 2015 par le cabinet d'expertise comptable " ODP Conseils ", consulté par l'ancien président de la société Thermosani, dont l'administration a pris connaissance dans le cadre des opérations de vérification de comptabilité de la société Urban Roof. Il ressort des indications figurant dans la proposition de rectification du 11 juillet 2018 adressée à la société Atina, que, se fondant sur le rapport du 5 mars 2015, dont elle a précisé ne pas remettre en cause les éléments sur ce point, l'administration fiscale a procédé à une évaluation des titres de la société Thermosani en combinant des méthodes fondées sur la valeur mathématique, la survaleur et la valeur de productivité. Il ressort par ailleurs de la proposition de rectification que l'administration a, en revanche, remis en cause les éléments du rapport portant sur les décotes et abattements à appliquer sur la valeur résultant de la mise en œuvre de ces trois méthodes.
4. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'à la suite de la notification de la proposition de rectification du 11 juillet 2018, la société Atina, qui a obtenu de l'administration la prorogation du délai qui lui était accordé pour répondre, a contesté, dans le délai imparti, les rectifications envisagées. Dans les observations qu'elle a ainsi présentées le 10 septembre 2018, la société Atina a sollicité, en particulier, des précisions concernant la détermination de la valeur de l'actif net corrigé de la société Thermosani, et celle de la valeur du fonds de commerce, soulignant que cette dernière représentait un montant équivalent à dix fois le résultat net comptable moyen de la société au cours des trois exercices précédents. La société Atina a également demandé à l'administration de préciser les raisons qui l'ont conduite à caractériser l'existence d'une plus-value latente sur le fonds de commerce et celle d'une survaleur, soulignant le caractère " aberrant ", selon elle, de l'estimation de cette survaleur, représentant plus de 95 % du bénéfice net moyen, laissant entendre, toujours d'après la société, que la quasi-totalité de son résultat proviendrait d'actifs incorporels qui, au demeurant, n'auraient pas été décrits par l'administration. La société Atina a, enfin, sollicité des précisions sur la durée et le taux d'actualisation retenu, ainsi que sur les coefficients de pondération appliqués entre les trois méthodes employées, demandant en particulier que ceux-ci soient justifiés au regard des caractéristiques spécifiques de la société Thermosani.
5. Dans sa réponse aux observations du contribuable en date du 13 novembre 2018, après avoir souligné que l'ensemble de ces interrogations concernaient l'évaluation des titres de la société Thermosani inscrits à l'actif du bilan de la société Atina, et indiqué que les " choix opérés par le cabinet ODP Conseils pour évaluer en 2015 la société Thermosani à partir de la valeur mathématique, la méthode de la survaleur et la valeur de productivité n'ont pas été remis en cause par le service vérificateur ", l'administration a invité la société Atina à se " rapprocher " de la société Thermosani, concernant chacune de ces interrogations, précisant qu'elle en aurait été la présidente depuis le 6 janvier 2015. En s'abstenant ainsi de toute réponse aux observations formulées par la société Atina concernant la détermination de la valeur des titres apportés, ce qui correspond à un élément essentiel de la rectification en litige, et en se bornant à renvoyer la société Atina vers une société tierce, dont elle n'est d'ailleurs pas la présidente, l'administration n'a pas satisfait à l'exigence de motivation de la réponse aux observations du contribuable, fixée par les dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales. Par suite, la procédure d'imposition est irrégulière.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société Atina est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'imposition contestée.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun n° 1908670 du 20 avril 2023 est annulé.
Article 2 : La société Atina est déchargée, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, ainsi que des intérêts de retard.
Article 3 : L'Etat versera à la société Atina la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle Atina et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur général chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France (pôle juridique).
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente-assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2025.
La rapporteure,
A. MILONLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02734