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13/02/2025 | FRANCE | N°23PA01660

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 13 février 2025, 23PA01660


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société H..., la société C..., M. E... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser, pour la société H..., la somme de 87 000 000 euros, pour la société C... et M. D..., chacun, la somme de 3 000 000 euros et pour Mme D..., la somme de 2 000 000 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis et qu'ils imputent à des fautes commises par les services fiscaux dans le cadre d'opérations d'établ

issement et de recouvrement de l'impôt. Ils ont également demandé au tribunal d'assortir ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société H..., la société C..., M. E... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser, pour la société H..., la somme de 87 000 000 euros, pour la société C... et M. D..., chacun, la somme de 3 000 000 euros et pour Mme D..., la somme de 2 000 000 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis et qu'ils imputent à des fautes commises par les services fiscaux dans le cadre d'opérations d'établissement et de recouvrement de l'impôt. Ils ont également demandé au tribunal d'assortir les indemnités allouées des intérêts capitalisés à compter de leur réclamation préalable.

Par un jugement nos 2014667, 2014670, 2014672 et 2014674 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à la société H... la somme de 175 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis et a assorti cette indemnité des intérêts à compter du 20 décembre 2019, et de la capitalisation des intérêts. Le tribunal a, en revanche, rejeté le surplus de la demande de la société H..., ainsi que les requêtes présentées par la société C..., M. D... et Mme D....

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, sous le n° 23PA01660, et un mémoire enregistré le 22 décembre 2023, la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., représentée par Me Gardette et Me Goron, avocats, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant que celui-ci a limité à la somme de 175 000 euros l'indemnité alloué à la société H... et a rejeté le surplus de ses demandes ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise en vue de déterminer les préjudices résultant de la faute commise par l'administration fiscale et, à cette fin, de désigner un expert compétent au regard notamment du secteur d'activité dans lequel elle intervient, en le chargeant de prendre connaissance de l'expertise réalisée par la société " Agone audit et conseil ", de l'ensemble des pièces sur lesquelles l'expertise s'est basée et d'entrer en contact, le cas échéant, avec l'auteur de ce rapport ;

3°) de mettre à la charge provisoire de l'Etat les frais de cette expertise ;

4°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., des indemnités d'un montant respectif de 70 millions d'euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi, et de 17 millions d'euros au titre du préjudice d'image, et d'assortir ces indemnités des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société C..., une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique et d'image qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de condamner l'Etat à verser à M. E... D... une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'il estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

7°) de condamner l'Etat à verser à Mme F... D... une indemnité de 2 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ainsi que l'a constaté à bon droit le jugement attaqué, la cour administrative d'appel de Versailles ayant prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société H..., et le tribunal administratif de Montreuil ayant prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de cette première faute commise par les services fiscaux ;

- la responsabilité de l'Etat est en outre engagée du fait du comportement particulièrement préjudiciable adopté par le service à l'égard de la société H..., lequel a notamment procédé à une inscription du privilège du Trésor, en dépit des observations émises par la société et alors notamment qu'un nantissement du fonds de commerce avait été proposé ; elle n'a pas fait l'objet d'un traitement objectif ;

- ces fautes sont à l'origine de préjudices directs correspondant, d'abord, à des pertes économiques, dès lors que la notification, en 2012 et 2013, des propositions de rectification et l'établissement, en 2014 et 2015, des avis de mise de recouvrement, ont fait naître, sur la société H..., un risque financier à l'origine de refus d'investissements ; d'autre part, l'inscription, le 30 octobre 2015, du privilège du Trésor, pour un montant de 1 571 392 euros, a conduit, le 27 novembre 2015, à la suppression brutale de la ligne de crédit qui lui avait été accordée au titre des cessions " Dailly " par la banque Thémis, pour un montant de 500 000 euros, paralysant le développement de son activité et conduisant à son placement en redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce du 11 septembre 2019 ; ces pertes économiques correspondent aux pertes de résultats, qui peuvent être évaluées à 27 032 000 euros, et à la perte de valeur de la société, liée à son impossibilité de lever des fonds, laquelle peut être évaluée à 80 600 000 euros ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la circonstance que la société ait connu des difficultés financières avant même l'inscription du privilège du Trésor ne fait pas obstacle à la reconnaissance du préjudice résultant de sa perte de valeur, alors notamment qu'elle aurait pu profiter d'un essor économique important ; en appliquant une perte de chance de 2/3, le préjudice économique subi peut donc être évalué à 70 000 000 euros ; une expertise peut toutefois être ordonnée afin de déterminer ce préjudice économique ;

- la société H... a en outre subi un préjudice d'image et de réputation, lequel a été insuffisamment indemnisé par le tribunal, qui l'a évalué à 5 000 euros, alors que la société familiale existe depuis plus de trente ans, qu'elle jouit d'une notoriété au niveau national et qu'elle a d'ailleurs obtenu de la société Microsoft une indemnité de préjudice d'image ; son innovation majeure, le " XLR4 Blade ", lui a permis d'être reconnue comme constructeur " OEM " par la société Nvidia dans le domaine du " Cloud Gaming " ; elle a été écartée du plan de souveraineté numérique européen du fait des agissements de l'administration fiscale, alors même qu'au travers de sa marque " Carri Systems ", elle était positionnée dès l'origine en leader sur le marché du numérique " haute performance ", ainsi qu'en témoigne son appartenance au réseau " TERATEC " ; ce préjudice doit donc être indemnisé à hauteur de 17 000 000 euros ;

- par ailleurs, les rehaussements fautifs opérés à l'encontre de la société H... sont à l'origine d'un préjudice économique pour M. D..., qui n'a pu percevoir un salaire adapté à son travail, et d'un préjudice moral lié à la situation économique induite par l'administration, qui a nécessité une forte implication de sa part afin d'assurer la pérennité de la société, dont il a hérité de ses parents, et l'a contraint à gérer des procédures collectives ; ces fautes sont également à l'origine d'un préjudice de réputation et d'atteinte à l'honneur du fait de l'impossibilité de la société d'honorer des marchés qu'il avait personnellement développés, du fait du départ subi de certains collaborateurs vers la concurrence, et du fait de l'impossibilité de déployer son équipe managériale, contrairement à ses concurrents ;

- ces rehaussements sont à l'origine d'un préjudice pour Mme D..., qui a été contrainte d'apporter des fonds personnels afin de soutenir la société H... qui était privée de tout financement ;

- enfin, ces rehaussements sont à l'origine d'un préjudice pour la société C..., qui, en tant qu'associée de la société H..., a été privée de ressources auxquelles elle aurait normalement pu prétendre, notamment les " management fees ", et elle a également subi un préjudice d'image l'affectant directement.

Par des mémoires enregistrés les 13 septembre 2023 et 28 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

II. Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, sous le n° 23PA01665, et un mémoire enregistré le 22 décembre 2023, la société Carri, qui vient aux droits de la société C..., représentée par Me Gardette et Me Goron, avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant que celui-ci a limité à 175 000 euros le montant de l'indemnité allouée à la société H... et a rejeté sa requête ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise permettant de déterminer les préjudices résultant de la faute commise par l'administration fiscale et, à cette fin, de désigner un expert compétent au regard notamment du secteur d'activité dans lequel elle intervient, en le chargeant de prendre connaissance de l'expertise réalisée par la société " Agone audit et conseil ", de l'ensemble des pièces sur lesquelles l'expertise s'est basée et d'entrer en contact, le cas échéant, avec l'auteur de ce rapport ;

3°) de mettre à la charge provisoire de l'Etat les frais de cette expertise ;

4°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., des indemnités d'un montant respectif de 70 millions d'euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi, et de 17 millions d'euros au titre du préjudice d'image, et d'assortir ces indemnités des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société C..., une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique et d'image qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de condamner l'Etat à verser à M. E... D... une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'il estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

7°) de condamner l'Etat à verser à Mme F... D... une indemnité de 2 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève des moyens identiques à ceux développés dans l'instance n° 23PA01660, lesquels sont visés ci-dessus.

Par des mémoires enregistrés les 13 septembre 2023 et 28 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens ne sont pas fondés.

III. Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, sous le n° 23PA01667, et un mémoire enregistré le 22 décembre 2023, M. D..., représenté par Me Gardette et Me Goron, avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant que celui-ci a limité à 175 000 euros le montant de l'indemnité allouée à la société H... et a rejeté sa requête ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise permettant de déterminer les préjudices résultant de la faute commise par l'administration fiscale et, à cette fin, de désigner un expert compétent au regard notamment du secteur d'activité dans lequel elle intervient, en le chargeant de prendre connaissance de l'expertise réalisée par la société " Agone audit et conseil ", de l'ensemble des pièces sur lesquelles l'expertise s'est basée et d'entrer en contact, le cas échéant, avec l'auteur de ce rapport ;

3°) de mettre à la charge provisoire de l'Etat les frais de cette expertise ;

4°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., des indemnités d'un montant respectif de 70 millions d'euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi, et de 17 millions d'euros au titre du préjudice d'image, et d'assortir ces indemnités des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société C..., une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique et d'image qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de condamner l'Etat à verser à M. E... D... une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'il estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

7°) de condamner l'Etat à verser à Mme F... D... une indemnité de 2 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soulève des moyens identiques à ceux développés dans l'instance n° 23PA01660, lesquels sont visés ci-dessus.

Par des mémoires enregistrés les 13 septembre 2023 et 28 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens ne sont pas fondés.

IV. Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, sous le n° 23PA01671, et un mémoire enregistré le 22 décembre 2023, Mme D..., représentée par Me Gardette et Me Goron, avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant que celui-ci a limité à 175 000 euros le montant de l'indemnité allouée à la société H... et a rejeté sa requête ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise permettant de déterminer les préjudices résultant de la faute commise par l'administration fiscale et, à cette fin, de désigner un expert compétent au regard notamment du secteur d'activité dans lequel elle intervient, en le chargeant de prendre connaissance de l'expertise réalisée par la société " Agone audit et conseil ", de l'ensemble des pièces sur lesquelles l'expertise s'est basée et d'entrer en contact, le cas échéant, avec l'auteur de ce rapport ;

3°) de mettre à la charge provisoire de l'Etat les frais de cette expertise ;

4°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., des indemnités d'un montant respectif de 70 millions d'euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi, et de 17 millions d'euros au titre du préjudice d'image, et d'assortir ces indemnités des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de condamner l'Etat à verser à la société Carri, qui vient aux droits de la société C..., une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique et d'image qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de condamner l'Etat à verser à M. E... D... une indemnité de 3 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'il estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

7 de condamner l'Etat à verser à Mme F... D... une indemnité de 2 millions d'euros réparant le préjudice économique, moral et de réputation qu'elle estime avoir subi, et d'assortir cette somme des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève des moyens identiques à ceux développés dans l'instance n° 23PA01660, lesquels sont visés ci-dessus.

Par des mémoires enregistrés les 13 septembre 2023 et 28 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Milon,

- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;

- les observations de Me Gardette et Me Goron pour la société Carri venant aux droits des sociétés H... et C..., et pour M. et Mme D..., ainsi que celles de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. La société H... a perçu, au cours de l'année 2009, la somme de 4 000 000 euros correspondant, aux termes d'une transaction conclue entre cette société et la société Microsoft dans le but de mettre fin à un litige opposant ces deux sociétés, à une indemnité destinée à réparer un préjudice d'image. Au terme d'une vérification de comptabilité engagée en 2012, portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011, l'administration a remis en cause la déduction de cette somme de 4 000 000 euros et l'a réintégrée au bénéfice imposable de la société H.... Elle a en conséquence assujetti la société H... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2009, d'un montant s'élevant, en droits, à 1 333 333 euros et à 170 667 euros au titre des intérêts de retard, et a mis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, pour des montants de 2 112 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et de 50 818 euros au titre de l'exercice clos en 2011. La cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été respectivement mis en recouvrement les 26 novembre 2015 et 15 septembre 2014.

2. Par un arrêt n° 16VE01577 du 6 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé la société H... des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 et, par un jugement n° 1605808 du 27 décembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009. Par des courriers datés du 20 décembre 2019, la société H..., la société C..., présentée dans la réclamation préalable comme l'actionnaire dirigeant de la société H..., M. E... D..., présenté dans les écritures comme le dirigeant de cette société, ainsi que Mme F... D..., sa mère, présentée comme " salarié et investisseur ", ont adressé au ministre de l'économie et des finances une demande tendant au versement d'indemnités destinées à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par les services fiscaux. Le ministre ayant rejeté ces demandes préalables, la société H..., la société C..., M. D... et sa mère, Mme D..., ont saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser les indemnités auxquelles ils estiment pouvoir prétendre. Par un jugement n°s 2014667, 2014670, 2014672 et 2014674 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à la société H..., au titre des préjudices subis par celle-ci en raison de la faute commise par les services fiscaux, la somme de 175 000 euros, assortie des intérêts à compter du 20 décembre 2019, ainsi que de la capitalisation des intérêts, et a rejeté le surplus des demandes indemnitaires. Par les quatre requêtes visées ci-dessus, la société Carri, qui vient aux droits de la société H... et de la société C..., M. D... et Mme D... demandent à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant que celui-ci a limité à la somme de 175 000 euros l'indemnité allouée à la société H... et a rejeté le surplus des demandes indemnitaires. Ils demandent à la cour, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise en vue de déterminer les préjudices résultant de la faute commise par l'administration fiscale.

Sur la jonction :

3. Les requêtes enregistrées sous les numéros 23PA01660, 23PA01665, 23PA01667 et 23PA01671 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.

En ce qui concerne les fautes invoquées :

S'agissant des suppléments d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

5. Il ressort, d'une part, des motifs de l'arrêt n° 16VE01577 du 6 juillet 2017, devenu irrévocable, de la cour administrative d'appel de Versailles que, pour prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société H... au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, celle-ci a considéré que l'administration fiscale n'a pas justifié du montant de la taxe sur la valeur ajoutée fondant les rappels sur la période considérée. Il ressort, d'autre part, des motifs du jugement n° 1605808 du 27 décembre 2017, devenu définitif, du tribunal administratif de Montreuil que, pour prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009, celui-ci a considéré que l'indemnité de 4 000 000 euros perçue par la société H... n'entrait pas dans la détermination de son bénéfice imposable. Par suite, il résulte de l'instruction que les suppléments d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée illégalement mis à la charge de la société H... au terme de la vérification de comptabilité engagée à son encontre au cours de l'année 2012, et pour lesquels des avis de mise en recouvrement ont été établis en 2014 et 2015, sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sous réserve que cette faute soit à l'origine d'un préjudice direct et certain.

S'agissant des autres manquements invoqués :

6. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment d'un extrait du registre du commerce et des sociétés concernant la société H... portant, d'après les indications figurant sur ce document, sur son état d'endettement à la date du 8 octobre 2019, que les services fiscaux ont fait procéder à l'inscription du privilège du Trésor public, pour une créance de 1 333 333 euros, et il est constant que cette inscription a été enregistrée le 30 octobre 2015. Il ressort également des indications figurant sur cet extrait du registre du commerce et des sociétés que cette inscription à titre conservatoire a été partiellement radiée, à concurrence de la somme de 999 266,07 euros le 27 août 2018. Il est constant que l'inscription du privilège du Trésor public, dont le montant correspond exactement aux droits de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle a été assujettie la société H..., a été décidée pour garantir le paiement de cette imposition, dont la décharge a été prononcée par le tribunal administratif de Montreuil, pour le motif indiqué au point précédent. Toutefois, cette inscription du privilège du Trésor public au registre du commerce et des sociétés ne constitue pas une faute distincte de celle tenant à l'établissement illégal de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle a été assujettie la société H....

7. D'autre part, les requérants font valoir que les services fiscaux auraient adopté un comportement particulièrement préjudiciable à l'égard de la société H... et que ceux-ci auraient refusé de procéder à un traitement objectif de sa situation, notamment en écartant, sans les examiner, les propositions que celle-ci a émises dans le cadre des procédures contradictoires, d'interlocution et de réclamation. Toutefois, ils n'apportent, à l'appui de ces allégations, aucun commencement de justification. Par ailleurs, s'ils font valoir que l'équipe dirigeante de la société, et son personnel, ont été contraints de consacrer une part essentielle de leur temps de travail à la gestion de ces procédures, il ne résulte pas de l'instruction que le temps et les efforts ainsi consacrés auraient excédé les charges normales supportées par un contribuable faisant le choix de porter une réclamation devant l'administration fiscale. Les requérants ne démontrent donc pas l'existence d'un comportement fautif de l'administration à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des préjudices subis par la société H..., aux droits de laquelle vient la société Carri :

Quant au préjudice économique résultant des contrats de vente non conclus :

8. Les requérants font valoir que les fautes commises par l'administration ont d'abord causé à la société H... des pertes de résultats liées aux contrats non conclus, dont ils évaluent à 27 032 000 euros le montant global. Ces pertes de résultats trouveraient leur origine, d'une part, dans le risque financier pesant sur la société en raison du possible recouvrement de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, lequel aurait conduit des partenaires à renoncer à certaines commandes. Ces pertes de résultats procèderaient, d'autre part, de l'inscription au registre du commerce et des sociétés du privilège du Trésor, pour la somme équivalente à ce supplément d'impôt, laquelle aurait empêché la société de maintenir son activité.

9. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, au regard notamment des écrits produits dans le cadre de l'instance devant le tribunal et devant la Cour, que le risque financier lié au recouvrement de l'impôt mis à sa charge aurait, en lui-même, provoqué de potentielles pertes de contrats pour la société H....

10. D'autre part, il résulte de l'instruction que la banque Thémis a dénoncé, à compter du 31 janvier 2016, une ligne de crédit, d'un montant de 500 000 euros, accordée, jusqu'alors, à la société H... au titre de cessions de créances dites " Dailly ". A supposer que l'inscription du privilège du Trésor au registre du commerce et des sociétés puisse être regardée comme étant à l'origine de cette dénonciation, il n'est pas établi que le maintien de l'activité de la société H... aurait nécessité impérativement un tel dispositif de financement, ni, par suite, que la suppression de cette ligne de crédit aurait mécaniquement conduit à des pertes de commandes, faute pour la société de disposer d'un fonds de roulement suffisant. Il résulte d'ailleurs, au contraire, des indications figurant dans l'expertise d'évaluation du préjudice, réalisée à la demande de la société et jointe au dossier, que le chiffre d'affaires réalisé par la société H... a régulièrement progressé, y compris après l'inscription, en 2015, du privilège du Trésor public.

11. A cet égard, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Montreuil, il ressort des pièces versées au dossier que la société H... a échangé au cours du mois de décembre 2015 avec un interlocuteur du groupe industriel DCNS, devenu Naval Group, à propos d'une commande de matériel et que celle-ci n'a pu être finalisée en raison de difficultés de trésorerie rencontrées par la société H.... Il peut donc être regardé comme établi que la non-finalisation de cette commande, concomitante à la dénonciation de la ligne de crédit ouverte auprès de l'établissement bancaire de la société H..., est imputable aux difficultés de trésorerie engendrées par l'inscription du privilège du Trésor public, et donc à la faute commise par l'administration. Cette perte de résultats peut être évaluée à une somme, d'ailleurs non contestée en appel par l'une ou l'autre des parties, de 5 000 euros.

12. Par ailleurs, il ressort certes d'échanges par mails en date du 9 avril 2018 que la société H... a engagé des discussions commerciales avec la société Gamestream, qui a finalement décidé d'acquérir 26 serveurs auprès de l'une des entreprises concurrentes de la société H... au motif que ce concurrent proposait des conditions plus intéressantes, notamment en termes de délai de règlement du prix d'acquisition du matériel. Toutefois, il n'est pas établi que la société H... aurait disposé d'une chance sérieuse d'emporter le contrat si elle avait disposé de la ligne de crédit qui lui était ouverte avant l'inscription, en octobre 2015, du privilège du Trésor public. De même, si le rapport d'expertise produit par les requérants fait état de prévisions de vente, à la société Gamestream, de 362 serveurs XLR4, ce qui aurait permis la réalisation d'un chiffre d'affaires supplémentaire de 1,1 million d'euros en 2017, de 7 millions d'euros en 2018 et de 1,3 million d'euros en 2019, aucun élément ne vient conforter ces estimations. Enfin, les assertions du rapport selon lesquelles la société H... aurait été contrainte de renoncer " à plusieurs reprises à des affaires par manque de financement et de trésorerie ", ne sont assorties d'aucun commencement de justification. Il n'est donc pas établi que l'établissement de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés, et l'inscription illégale du privilège du Trésor qui en a découlé, auraient privé la société H... de résultats liés à la conclusion, espérée, de contrats avec la société Gamestream. Ce chef de préjudice, non établi, doit donc être écarté.

13. Enfin, si les requérants évoquent des pertes de commandes espérées avec d'autres sociétés, telles que Soogreen, Blade, la Société générale, Zajil, PSA, en Afrique, notamment au Mali, ils ne justifient aucunement que la société H... aurait eu la possibilité de conclure avec ces sociétés des contrats de vente ou de mise à disposition de matériels. A cet égard, il ressort de l'expertise déjà mentionnée que, pour estimer à 30, 45 et 70 millions d'euros les chiffres d'affaires qu'aurait pu réaliser la société H... au titre des exercices clos en mars 2017, mars 2018 et mars 2019, et les comparer à ceux effectivement réalisés, de l'ordre de 2 millions d'euros pour chacun de ces exercices, l'expert a pris en compte des prestations qui auraient pu être réalisées avec la société Blade, pour des montants respectifs annuels de l'ordre de 16 millions, 33 millions et 26 millions d'euros. Toutefois, ces prévisions, qui, d'après le rapport d'expertise, et les pièces qui y sont annexées, reposent sur des propositions adressées par la société H..., ne sont étayées d'aucune pièce permettant d'établir que celle-ci aurait disposé d'une chance de conclure de tels contrats si sa situation fiscale avait été plus favorable. Il n'est donc pas établi que la faute commise par l'administration fiscale aurait privé la société H... d'une chance de conclure des contrats avec l'une ou l'autre de ces sociétés.

Quant au préjudice économique tenant aux pertes d'investissements :

14. Les requérants font valoir que le risque fiscal pesant sur la société H... aurait dissuadé certaines entreprises avec lesquelles des discussions auraient été engagées de procéder à des investissements au sein de l'entreprise. Toutefois, en se bornant à faire état, dans l'expertise établie à leur demande, des déclarations de M. D..., selon lesquelles des fonds et industriels l'auraient approché à cette fin, au moment où le marché attendu du " cloud gaming " était en plein essor, les requérants ne peuvent être regardés comme justifiant de l'existence de démarches concrètes d'investisseurs intéressés par la société H.... Par ailleurs, s'ils produisent un courrier électronique adressé le 26 novembre 2015 à M. D... par le directeur du développement de la société XLR Capital indiquant écarter l'éventualité d'un investissement au sein de la société H..., en dépit de son outil de production, de la marque historique et de sa notoriété ainsi que de l'expertise de ses équipes, compte tenu du risque fiscal important planant sur l'entreprise, les requérants n'apportent aucune précision concernant l'avancement des discussions antérieures à cette prise de décision. Il n'est donc pas établi que la faute commise par l'administration fiscale aurait privé la société H... d'une chance de bénéficier d'investissements, dont le montant n'est, en outre, pas précisé. Ce chef de préjudice, non établi, doit donc être écarté.

Quant au préjudice économique tenant à la perte de valeur de la société H... et à l'impossibilité de bénéficier de l'essor des marchés du " cloud gaming " et du " cloud computing " :

15. Les requérants font valoir que les fautes commises par l'administration fiscale ont induit une perte de valeur de la société H..., qu'ils évaluent à 80 600 000 euros, laquelle résulterait de son impossibilité de bénéficier des fonds nécessaires à son développement, notamment en se positionnant sur des marchés en plein essor.

16. Pour établir la chance, dont la société Digitechnics aurait été privée, de se développer sur ces marchés, effectivement porteurs, les requérants font valoir, d'abord, que celle-ci a conçu et développé, dès 2014, sous son enseigne " Carri System ", le serveur XLR4 Blade, reconnu comme une innovation majeure, par la presse spécialisée et les sociétés du secteur. Ils précisent que cette innovation a permis à la société H... d'être reconnue comme constructeur " OEM " par la société Nvidia, entreprise spécialisée dans la conception de processus, cartes et puces graphiques pour ordinateurs et consoles de jeux vidéo. Toutefois les requérants n'établissent pas que cette reconnaissance, dont elle serait seule à bénéficier parmi les entreprises européennes, lui aurait permis, en l'absence d'intervention fautive de l'administration fiscale, de " s'imposer en France et en Europe sur le marché du cloud gaming et du cloud computing ", ainsi qu'il est allégué, ou même, plus simplement, de se développer dans ce domaine, notamment au niveau international, comme l'affirme l'expert diligenté par les requérants.

17. Par ailleurs, pour tenter d'établir la perte de chance de bénéficier d'un développement économique important, les requérants évoquent la situation d'autres sociétés, porteuses de projets qu'ils présentent comme similaires à ceux de la société H.... Ils évoquent ainsi la situation de la sociétéB..., qui a été créée en 2015 et qui a bénéficié, pour reprendre les écritures, de " levées de fond massives ". Toutefois, à supposer même que ces sociétés aient développé des projets similaires, les requérants ne fournissent aucune précision permettant de considérer que les situations de ces deux entreprises auraient pu être comparables. De même, il n'est pas établi que la société H... pouvait espérer bénéficier d'une trajectoire de développement comparable à celle des sociétés A... ou G..., lesquelles, au demeurant, et à supposer même qu'elles puissent être considérées comme des concurrents directs, présentent des montants de chiffres d'affaires non comparables à ceux réalisés par la société H..., y compris avant 2015.

18. Enfin, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Montreuil, de même, d'ailleurs, que l'ancien employé de la société dont le témoignage a été versé au dossier, la société H... a connu des difficultés financières avant même l'intervention fautive de l'administration fiscale, ces difficultés ayant notamment conduit à la mise en place, en 2006, d'un plan de continuation qui est arrivé à son terme en juillet 2016 et dont la charge a pu affecter les capacités de développement de l'entreprise. Par ailleurs, il ressort des éléments figurant au rapport d'expertise que le chiffre d'affaires de la société H... s'est maintenu entre 2015 et 2018, après avoir même nettement progressé en 2016. Dès lors, les requérants ne peuvent sérieusement imputer à la faute commise par l'administration fiscale la mise en redressement judiciaire de la société, décidée par le tribunal de commerce le 11 septembre 2019, alors, en outre, qu'il ressort notamment de l'extrait du registre du commerce et des sociétés que plusieurs inscriptions de privilège ont été enregistrées, entre 2017 et 2019, pour des créances de cotisations sociales et de régime complémentaire.

19. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont fondés à prétendre, au titre de l'indemnisation du préjudice économique subi par la société H..., qu'à la somme de 5 000 euros correspondant aux commandes auxquelles a renoncé le groupe DCNS, à la fin de l'année 2015.

Quant au préjudice d'image et de réputation subi par la société H... :

20. D'une part, la circonstance que la société H... a bénéficié d'une indemnité réparant un préjudice d'image, au terme d'un accord transactionnel conclu avec la société Microsoft dans le cadre d'un litige distinct de celui fondant la présente action indemnitaire, n'est pas de nature à établir le préjudice d'image et d'atteinte à la réputation subi par cette société du fait de la faute commise par l'administration fiscale.

21. D'autre part, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, la ligne de crédit dont bénéficiait la société H... auprès de la banque Thémis a été supprimée à compter du 31 janvier 2016. Il ressort, en outre, des pièces du dossier qu'un autre établissement de financement a rejeté la demande de concours, présentée par la société H..., en raison de l'inscription du privilège du Trésor. Il est donc établi que l'image de la société H... auprès de ses partenaires financiers a été affectée par la faute commise par l'administration fiscale.

22. En revanche, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que les partenaires commerciaux de la société, qu'il s'agisse de ses clients ou de ses fournisseurs, auraient eu connaissance de l'inscription du privilège du Trésor au registre du commerce et des sociétés ou, plus généralement, des impositions supplémentaires mises à sa charge et du risque financier en résultant, ni que les relations avec ces partenaires se seraient dégradées suite à la dénonciation de la ligne de crédit dont bénéficiait la société auprès de la banque Thémis.

23. Il résulte de ce qui a été dit aux points 20 à 22 que le préjudice d'image et d'atteinte à la réputation subi par la société H... en raison de l'action fautive de l'administration peut être justement évalué, ainsi que l'a fait le tribunal, à la somme de 5 000 euros.

S'agissant des préjudices subis par les autres requérants :

Quant au préjudice de réputation invoqué par M. D... et Mme D... :

24. Les requérants font valoir que l'imposition supplémentaire à laquelle a été assujettie la société H..., ainsi que l'inscription du privilège du Trésor qui en a découlé, auraient entaché la réputation personnelle de la famille D..., notamment vis-à-vis des banques. Toutefois, la pièce produite à l'appui de ces allégations, qui consiste en un refus opposé par l'établissement bancaire de M. D... à une demande de prêt personnel présenté par ce dernier, en raison d'un solde débiteur, ne permet pas d'établir que ce refus serait imputable à la situation fiscale de la société H.... Par ailleurs, s'il est soutenu, en appel, que M. D... aurait subi un préjudice de réputation et d'atteinte à l'honneur du fait de l'impossibilité, pour la société, d'honorer des marchés qu'il aurait personnellement développés, il n'en est pas justifié. De même, il n'est pas davantage établi que le départ de collaborateurs de la société H... et l'impossibilité, alléguée, de " déployer " une équipe managériale, seraient imputables à la situation fiscale de la société. Il n'est donc pas établi que l'action fautive de l'administration fiscale aurait causé à M. D..., ou à sa mère, Mme D..., un préjudice d'image et de réputation distinct de celui subi par la société H.... Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation d'un tel préjudice.

Quant au préjudice économique invoqué par M. D... :

25. Il est soutenu que l'action fautive de l'administration fiscale aurait privé M. D... d'une rémunération adaptée au travail qu'il a fourni et au succès qu'aurait dû connaître la société H.... Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les pertes de résultats prétendument subies par la société, en raison de la faute reconnue, ne sont pas établies. Dès lors, il n'est pas davantage établi que cette faute serait à l'origine, pour M. D..., d'une perte de revenus corrélée au chiffre d'affaires non réalisé par la société. Le préjudice économique invoqué par M. D..., non établi, ne peut donc être indemnisé.

Quant au préjudice moral invoqué par M. D... :

26. Pour tenter d'établir le préjudice moral prétendument subi par M. D... du fait de l'action fautive de l'administration fiscale, les requérants invoquent la forte implication dont celui-ci a dû faire preuve afin d'assurer la pérennité de la société H..., soulignant que celle-ci lui a été transmise par ses parents. Toutefois, la gestion des procédures collectives engagées au sein de la société ne peut, pour les raisons déjà indiquées, être regardée comme imputable à l'action de l'administration fiscale, le plan de continuation, décidé en 2006, étant d'ailleurs très antérieur à l'intervention des services fiscaux. Par ailleurs, ainsi qu'il a déjà été dit, il n'est pas établi que le dirigeant de la société H..., qui a fait le choix de porter une réclamation devant l'administration fiscale, a été amené à faire preuve d'une implication particulière. M. D... n'établit donc pas, par les arguments qu'il invoque, avoir subi un préjudice moral en raison de la faute commise.

Quant au préjudice financier invoqué par Mme D... :

27. Il n'est établi, par aucune pièce, que Mme D... aurait été contrainte d'engager des fonds personnels afin de remédier aux difficultés financières rencontrées par la société H.... S'il est soutenu, en appel, que Mme D... aurait consenti un prêt important à la société et que ce prêt se serait trouvé " bloqué puis converti en capital moyennant l'émission d'actions de la société " à son profit par décision du tribunal de commerce, il n'en est justifié par aucune pièce. A supposer même avérée l'existence de ce prêt, il n'est pas établi que celui-ci aurait été rendu nécessaire par l'action fautive de l'administration fiscale. Le prétendu préjudice subi par Mme D... doit donc être écarté.

Quant au prétendu préjudice subi par la société C... :

28. Les requérants soutiennent que la société C... a été privée de la possibilité de mettre en place une convention de " management fees " avec la société H..., qui était alors sa fille, ce qui lui aurait permis de mettre en place des prestations de services afin de soutenir son développement. Toutefois, aucune pièce ne vient étayer l'existence d'un tel projet. Par ailleurs, le préjudice d'atteinte à l'image prétendument subi par la société C..., laquelle aurait perdu la confiance de clients et fournisseurs, n'est pas davantage établi.

29. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin, d'une part, d'ordonner une expertise avant dire-droit, laquelle ne présente pas d'utilité, d'autre part, d'examiner la recevabilité des conclusions présentées en appel, que la somme totale à laquelle la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., peut prétendre, selon le présent arrêt, en réparation des différents chefs de préjudices dont elle se prévaut est de 10 000 euros. La somme de 175 000 euros allouée à la société H... par le jugement, dont il est fait appel, excède donc celle à laquelle la société Carri peut prétendre au terme du présent arrêt. Toutefois, le ministre en charge des finances s'est borné à conclure au rejet de la requête et n'a pas lui-même fait appel du jugement. En l'absence d'appel incident du ministre, la condamnation prononcée en faveur de la société H... par les premiers juges ne saurait être remise en cause. Il résulte donc de tout ce qui précède que la société Carri, qui vient aux droits de la société H..., et les autres requérants, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de leurs requêtes d'appel, ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a limité à la somme de 175 000 euros l'indemnité qu'il a accordée à la société H....

Sur les frais liés à l'instance :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par les requérants au titre des frais liés à l'instance soient mises à la charge de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes d'appel de la société Carri, de M. D... et de Mme D... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Carri, qui vient aux droits de la société H... et de la société C..., à M. E... D..., à Mme F... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 13 février 2025.

La rapporteure,

A. MILONLe président,

A. BARTHEZ

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

15

2

N° 23PA01660 et s.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01660
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Audrey MILON
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : CAP CODE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;23pa01660 ?
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