Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... et Mme A... E... ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la mise en demeure qui leur a été faite le 8 mars 2022 par la maire de Nouméa de raccorder leur maison au réseau public de collecte des eaux usées dans un délai de deux ans, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours tendant à être exonérés de l'obligation de raccorder leur propriété à ce réseau, formé le 19 mai 2022.
Par un jugement n° 2200325 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé la décision implicite par laquelle la maire de Nouméa a rejeté le recours gracieux de M. B... et Mme E... et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 août 2023 et 13 mai 2024, la commune de Nouméa, représentée par Me Charlier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200325 du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de mettre à la charge de M. B... et Mme E... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que la demande de première instance était irrecevable, aucune décision n'étant intervenue en l'absence de demande d'exonération présentée par les intéressés ;
- à la supposer existante, la décision contestée n'est pas entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que les difficultés excessives à réaliser le raccordement au réseau public de collecte des eaux usées ne sont pas établies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2024, M. B... et Mme E..., représentés par la SELARL Loïc Pieux, concluent au rejet de la requête, à la confirmation de l'annulation de la décision de rejet de leur recours gracieux et de la décision de raccordement au réseau public d'assainissement et à ce que la commune de Nouméa soit condamnée à leur verser la somme de 200 000 francs Pacifique, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- les lois organiques n° 99-209 et n° 99-210 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code des communes de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 19 juillet 1960 relatif aux raccordements des immeubles aux égouts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Irène Jasmin-Sverdlin,
- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de Me Kukuryka, substituant Me Charlier pour la commune de Nouméa.
Considérant ce qui suit :
1. Par lettre du 8 mars 2022, la maire de la commune de Nouméa a informé Mme C..., alors propriétaire de la parcelle située 31, rue du 5 Mai, section Haut-Magenta à Nouméa, qu'elle était tenue de procéder au raccordement de sa maison au réseau d'assainissement collectif, dans un délai de deux ans à compter de cette lettre. M. B... et Mme E..., acquéreurs de ce bien immobilier, ayant présenté, le 19 mai 2022, un recours gracieux à l'encontre de cette décision, en exposant les difficultés excessives d'un tel raccordement et en demandant à être exonérés de cette obligation, la maire de Nouméa leur a répondu, par courrier du 1er juillet 2022, que " la Ville ne pourra se prononcer sur le caractère excessif des contraintes techniques qu'après vous avoir rencontrés et étudié avec vous les possibilités et la faisabilité du raccordement de vos eaux usées sur le réseau en place rue du 5 mai ". La commune de Nouméa relève appel du jugement du
11 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé la décision de rejet de la demande d'exonération présentée par M B... et Mme E... et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Sur la régularité du jugement :
2. La commune de Nouméa soutient que la demande de première instance était irrecevable, aucune décision n'étant intervenue en l'absence de demande d'exonération présentée par les intéressés. Toutefois, le moyen tiré de ce que le tribunal n'a pas relevé l'irrecevabilité de la demande de première instance n'entache pas la régularité du jugement, mais doit être examiné dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de la lettre adressée le 19 mai 2022 par M. B... et Mme E... à la maire de Nouméa que ces derniers sollicitaient l'annulation de la décision les obligeant à procéder au raccordement de leur maison au réseau collectif d'assainissement et à être exonérés de cette obligation. Il ressort, en outre, des termes de la lettre de la maire de Nouméa en date du 1er juillet 2022 citées au point 1 du présent arrêt, qu'il n'a pas été fait droit aux demandes présentées par M. B... et Mme E.... Par suite, la commune de Nouméa n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance était irrecevable, en l'absence de décision de rejet du recours gracieux présenté par M. B... et
Mme E....
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 1331-1 du code de la santé publique : " Le raccordement des immeubles aux réseaux publics de collecte disposés pour recevoir les eaux usées domestiques et établis sous la voie publique à laquelle ces immeubles ont accès soit directement, soit par l'intermédiaire de voies privées ou de servitudes de passage, est obligatoire dans le délai de deux ans à compter de la mise en service du réseau public de collecte. / Un arrêté interministériel détermine les catégories d'immeubles pour lesquelles un arrêté du maire, approuvé par le représentant de l'Etat dans le département, peut accorder soit des prolongations de délais qui ne peuvent excéder une durée de dix ans, soit des exonérations de l'obligation prévue au premier alinéa. (...). ". Selon l'article 1er de l'arrêté du 19 juillet 1960 susvisé : " Peuvent être exonérés de l'obligation de raccordement aux égouts prévue au premier alinéa de l'article 33 [devenu L. 1331-3] du code de la santé publique : (...) 5° Les immeubles difficilement raccordables, dès lors qu'ils sont équipés d'une installation d'assainissement autonome recevant l'ensemble des eaux usées domestiques et conforme aux dispositions de l'arrêté du 3 mars 1982. ".
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que seuls peuvent être regardés comme étant soumis à l'obligation de raccordement, au sens de ces dispositions, les immeubles dont, compte tenu de leur implantation par rapport au réseau public des égouts, le raccordement ne comporte pas de difficultés excessives.
6. La commune de Nouméa soutient que M. B... et Mme E... ne justifient pas de difficultés excessives pour procéder au raccordement de leur maison au réseau public d'assainissement, dès lors que le coût de l'installation nécessaire est nettement inférieur à celui estimé par les intéressés sur la base d'un seul devis établi de manière non contradictoire, que le coût d'entretien d'une telle installation n'est pas supérieur à celui d'un dispositif autonome et que l'installation autonome de M. B... et Mme E... n'est pas conforme à l'arrêté du
7 septembre 2009 qui a abrogé et remplacé l'arrêté du 3 mars 1982.
7. Il ressort des pièces du dossier que la maison de M. B... et Mme E... étant située en contrebas du réseau communal d'assainissement, le raccordement à ce réseau nécessite un relevage des eaux usées.
8. D'une part, la commune de Nouméa soutient que M. B... et Mme E... ne justifient pas de difficultés excessives pour procéder au raccordement de leur parcelle au réseau public d'assainissement. Elle fait valoir que le coût de l'installation nécessaire est nettement inférieur à celui annoncé par les intéressés sur la base d'un seul devis établi de manière non contradictoire, le montant de 2 273 871 francs Pacifique (18 917 euros) figurant sur ce devis présentant un coût trop important, dès lors qu'il comprend la mise en place de deux pompes alors qu'une seule suffit, qu'il faut en déduire le coût du retrait de la fosse septique et qu'une autre société propose des postes de refoulement " tout équipés " (pour le refoulement jusqu'à 8 mètres en hauteur des eaux brutes d'une villa) pour un montant de 250 000 XPF, soit un montant équivalent à 2 100 euros ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la commune de Nouméa ne produit aucun devis à l'appui de ses affirmations, qu'elle fait principalement référence au coût d'une installation en métropole, sans prise en compte des frais de transport, de douane et d'installation et qu'elle n'a émis aucune préconisation technique sur la réalisation des installations nécessaires. Ainsi, il ressort de ces pièces que le coût estimé par M. B... et Mme E..., sur la base du devis susmentionné, pour un dispositif comprenant deux postes de relevage avec un groupe électrogène, nécessaire pour permettre le fonctionnement permanent de l'ouvrage de relevage des eaux usées, compte tenu, notamment, des fréquentes coupures d'électricité sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, n'est pas excessif. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le coût de vidange, nettoyage et comblement de la fosse septique ne doit pas être pris en compte, tandis que ce coût ne représente que 172 400 francs Pacifique HT, soit 8% du montant total du devis produit par les requérants pour le dispositif de relevage.
9. D'autre part, si la commune de Nouméa fait valoir que le coût d'entretien d'une telle installation n'est pas supérieur à celui d'un dispositif autonome, il ressort des pièces du dossier que ces frais sont estimés par la commune elle-même (page 7 de la requête), s'ils sont réalisés par un professionnel, entre 15 000 et 30 000 francs Pacifique par an. Il ressort des mêmes pièces que la pompe de relevage doit être changée tous les 8 à 10 ans.
10. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'installation autonome de M. B... et de Mme E... ne serait pas conforme à l'arrêté du 7 septembre 2009, qui a abrogé et remplacé l'arrêté du 3 mars 1982 et qu'elle rejetterait dans les eaux de surface, et par conséquent dans la mer, des eaux contenant des matières organiques.
11. Dans ces conditions, la commune de Nouméa n'est pas fondée à soutenir que le raccordement de la maison de M. B... et Mme E... au réseau public séparatif d'assainissement ne présente pas des difficultés excessives et que ces derniers ne peuvent pas être exonérés de l'obligation de procéder à ce raccordement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Nouméa n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé la décision de rejet du recours gracieux présenté par M. B... et
Mme E....
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B... et Mme E..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Nouméa demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette commune le versement à M. B... et Mme E... de la somme totale de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Nouméa est rejetée.
Article 2 : La commune de Nouméa versera à M. B... et Mme E... la somme totale de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Nouméa, à M. D... B... et à Mme A... E....
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.
La rapporteure,
I. JASMIN-SVERDLINLe président,
I. LUBEN
La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03600