Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 avril 2024 par lequel le préfet de police a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire sans délai et lui a interdit le retour pour une durée de cinq ans.
Par un jugement n° 2410667/8 du 10 juillet 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 18 avril 2024 en tant qu'il interdit le retour sur le territoire pour une durée de cinq ans à M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 août 2024, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1 et 2 de ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions de la requête de M. B... dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'interdiction de retour au motif qu'elle est disproportionnée, et que les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 6 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Berdugo, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) d'annuler le jugement du 10 juillet 2024 en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions du 18 avril 2024 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire ;
3°) d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'État, à verser à Me Berdugo au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de renouvellement d'un titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'un vice de procédure à défaut de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son comportement n'est pas constitutif d'une menace à l'ordre public, et est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de cet article ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de cet article ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
S'agissant de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
S'agissant de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de cinq ans :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de cet article ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La clôture de l'instruction a été fixée au 10 décembre 2024 par une ordonnance du 6 novembre 2024.
Vu la décision du 16 octobre 2024 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- et les observations de Me Berdugo, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant égyptien né le 11 juillet 1962, est entré en France en 1990 selon ses déclarations. Il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour le 27 juin 2023. Par un arrêté du 18 avril 2024, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de cinq ans. M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 2410667 du 10 juillet 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire, a enjoint au préfet de police de procéder à l'effacement du signalement de l'intéressé dans le système d'information Schengen et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le préfet de police relève appel du jugement en ce qu'il a annulé la décision d'interdiction de retour sur le territoire français et ordonner l'effacement du signalement de l'intéressé. M. B... demande l'annulation de l'arrêté du 18 avril 2024.
Sur l'appel du préfet de police :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
2. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. " Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) "
3. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen le conduisant à apprécier les conséquences de la mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de l'étranger et que sont invoquées des circonstances étrangères aux quatre critères posés par les dispositions précitées de l'article L. 612-10, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est le père de quatre enfants, dont un mineur, né en 2014, dont la mère réside en France et sur lequel il exerce conjointement l'autorité parentale, aux termes d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 avril 2024, qui a fixé le domicile de l'enfant chez sa mère, à Paris, a accordé à son père un droit de visite et a fixé le montant de sa contribution mensuelle pour l'entretien et l'éducation de ses deux plus jeunes enfants. Compte tenu de l'existence de ces liens familiaux, et alors même que le comportement de M. B..., condamné à deux reprises pour des faits de contrebande de tabac en 2021 et de violences conjugales de 2023, est constitutif d'une menace actuelle pour l'ordre public, la durée de l'interdiction de retour, prononcée par le préfet de police pour une durée de cinq ans, est disproportionnée.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 18 avril 2024 portant interdiction de retour sur le territoire pour une durée de cinq ans et lui a enjoint de procéder à l'effacement du signalement de M. B... dans le système d'information Schengen dans un délai d'un mois.
Sur les conclusions d'appel incident de M. B... :
En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire :
6. En premier lieu, M. B... reprend en appel les moyens tirés de l'insuffisante motivation des décisions litigieuses et de ce que le préfet de police ne se serait pas livré à un examen sérieux de sa situation. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris aux points 2, 3, 10 et 11 de son jugement.
7. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle (...). ".
8. Il résulte des termes de l'arrêté attaqué que pour refuser de renouveler la carte de séjour pluriannuelle de M. B..., le préfet de police s'est fondé sur le motif tiré de ce que sa présence sur le territoire français est constitutive d'une menace pour l'ordre public dès lors qu'il a été condamné, une première fois, le 25 octobre 2021 par le tribunal correctionnel de Paris à un an d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende douanière pour des faits d'importation de tabac en contrebande commis entre janvier et juin 2021 et, une seconde fois, le 10 juillet 2023, par le même tribunal à deux mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et interdiction de détenir ou porter une arme pendant cinq ans pour des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, commis le 21 décembre 2022. Compte tenu de la nature, du caractère récent et de la gravité de ces faits, et alors même qu'ils n'auraient donné lieu qu'à des peines d'emprisonnement assorties d'un sursis, le préfet de police n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant, à la date de son arrêté, que la présence de l'intéressé est constitutive d'une menace pour l'ordre public.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Et aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
10. M. B... fait valoir qu'il vit en France depuis 1990, qu'il y est bien intégré socialement et professionnellement, qu'il est père de quatre enfants résidant en France dont un mineur à l'entretien et à l'éducation duquel il contribue et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que, comme exposé au point 8, l'intéressé a fait l'objet de condamnations en 2021 et 2023 et qu'il représente ainsi une menace pour l'ordre public. D'autre part, le requérant ne justifie ni la durée de sa présence en France, ni son insertion professionnelle, ni la régularité du séjour de la mère de ses enfants sur le territoire, ni qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de son enfant mineur, les pièces qu'il produit pour justifier d'une telle contribution concernant en tout état de cause la période postérieure aux décisions attaquées. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les décisions attaquées auraient porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
11. En dernier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... ne remplissait pas les conditions posées par les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le préfet de police n'était dès lors pas tenu de saisir, pour avis, la commission du titre de séjour. Par suite, le moyen tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
12. En premier lieu, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision et du défaut d'examen sérieux de la situation de l'intéressé doivent être écartés par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris aux points 15 et 16 de son jugement.
13. En second lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ". Compte tenu de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de M. B... sur le territoire français, ainsi qu'il a été dit au point 8, le préfet de police était fondé à lui refuser un délai de départ volontaire.
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions du préfet de police du 18 avril 2024 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français sans délai. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent par voie de conséquence être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de M. B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Bories, présidente,
M. Magnard, premier conseiller,
M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2025.
La rapporteure,
C. BORIESL'assesseur le plus ancien,
F. MAGNARD
La greffière,
C. ABDI-OUAMRANE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA03610 2