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24/01/2025 | FRANCE | N°24PA01336

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 24 janvier 2025, 24PA01336


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Devon Storage France a demandé au tribunal administratif de Paris, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondante, ainsi que des majorations s'y rapportant, et la réduction des cotisa

tions supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt auxque...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Devon Storage France a demandé au tribunal administratif de Paris, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondante, ainsi que des majorations s'y rapportant, et la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 2114855 du 22 janvier 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la SAS Devon Storage France.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique non communiqué, enregistrés les 21 mars 2024 et 15 juillet 2024, la SAS Devon Storage France, représentée par Me Foissac, avocat, demande à la Cour :

1°) d' annuler le jugement n° 2114855 du tribunal administratif de Paris en date du 22 janvier 2024 ;

2°) de prononcer la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondante, ainsi que des majorations s'y rapportant, et la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016, ainsi que des majorations correspondantes ;

3°) de rétablir le déficit reportable d'un montant de 2 365 083 euros à la clôture de l'exercice 2016 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à la décharge des pénalités pour manquement délibéré infligées à raison de la remise en cause du déficit fiscal comptabilisé au 1er janvier 2014 ;

- les impositions relatives à l'exercice clos en 2014 ont été mises en recouvrement après l'expiration du délai de reprise, qui n'a pas été régulièrement interrompu, la proposition de rectification du 18 décembre 2017 ayant été annulée et remplacée par celle du 16 juillet 2018 ;

- la déduction fiscale de la perte sur titres de la société civile immobilière Foncière Eboué ne correspond pas à un mali technique de confusion, mais au simple résultat des opérations intervenues entre la date de prise d'effet au plan fiscal de l'opération de transmission universelle de patrimoine et la cession des titres de la société civile immobilière ; elle n'a pas été attributaire des résultats sociaux de cette société ; lors de la cession des titres de cette société en 2008, leur prix de revient comptable devait être majoré de sa quote-part du résultat fiscal de l'exercice clos en 2006 ; en revanche, le prix de revient comptable des parts sociales n'a pas été majoré de la quote-part de résultats sociaux puisqu'elle n'a pas été attributaire de ces résultats ; la cession des parts de cette société a généré une perte fiscale sur titres de participation d'une société à prépondérance financière, justifiée au regard de l'application du mécanisme issu de la jurisprudence Quemener dans le cadre particulier d'une opération de transmission universelle de patrimoine placée sous le régime de faveur des fusions avec effet rétroactif ;

- elle se réserve le droit de justifier de la déductibilité des charges comptabilisées au titre des exercices clos de 2009 à 2013 pour un montant total de 1 998 634 euros ;

- la charge exceptionnelle d'un montant de 403 956 euros comptabilisée au titre de l'exercice clos en 2016 correspond à la taxe prévue par l'article 990 D du code général des impôts, qu'elle a dû acquitter au titre de la solidarité de paiement ; ses actions pour obtenir le remboursement de cette créance auprès du redevable légal de la taxe sont restées vaines et, ce redevable ayant été liquidé, ladite créance est dès lors irrecouvrable ;

- les pénalités pour manquement délibéré infligées à raison de la remise en cause du déficit fiscal comptabilisé au 1er janvier 2014 ne sont pas fondées, le déficit fiscal imputable provenant d'une perte fiscale sur cession de parts sociales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Devon Storage France ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les éléments demandés en vue de compléter l'instruction par lettre du 26 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemaire,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Teixeira, représentant la SAS Devon Storage France.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Devon Storage France, qui a pour activité l'exploitation, la location, l'achat, la rénovation et la revente de biens immobiliers, ainsi que la réalisation de prestations à caractère administratif, financier, commercial, technique, informatique et de gestion, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016. A l'issue d'une procédure de rectification contradictoire, le service a notamment remis en cause le déficit reportable comptabilisé à l'ouverture du premier exercice vérifié, le 1er janvier 2014, pour un montant de 5 854 140 euros, et, par suite, son imputation sur les résultats des exercices vérifiés, ainsi que le déficit reportable comptabilisé à la clôture de l'exercice 2016 pour un montant de 2 365 083 euros. Le service a également remis en cause la déduction, au titre des charges de l'exercice 2016, d'une somme de 403 956 euros comptabilisée comme une créance irrécouvrable. Il a, en conséquence des rectifications proposées, assujetti la SAS Devon Storage France à une cotisation primitive d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016 et à une cotisation primitive de contribution sociale à cet impôt au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2016. Ces impositions ont été majorées des intérêts de retard et de pénalités pour manquement délibéré de 40 % sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts. Le service a également mis à la charge de la SAS Devon Storage France des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, notamment au titre de la période couvrant l'année 2014, majorés des intérêts de retard. La SAS Devon Storage France relève appel du jugement en date du 22 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés établie au titre de l'exercice clos en 2014, à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondante et à la réduction des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt établies au titre des exercices clos en 2015 et 2016, ainsi que des majorations correspondantes. La SAS Devon Storage France demande également à la Cour de rétablir le déficit reportable qu'elle avait comptabilisé à la clôture de l'exercice 2016 pour un montant de 2 365 083 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal a suffisamment répondu au point 14 du jugement au moyen de la SAS Devon Storage France tiré de ce que les pénalités pour manquement délibéré qui lui avaient été infligées sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts à raison de la remise en cause du déficit reportable comptabilisé à l'ouverture du premier exercice vérifié, le 1er janvier 2014, pour un montant de 5 854 140 euros, et, par suite, de son imputation sur les résultats des exercices vérifiés, étaient dépourvues de fondement. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour (...) l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) ". Aux termes de l'article L. 176 de ce livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible (...) ". Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification (...) ".

4. La SAS Devon Storage France soutient que la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2014 et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondante ont été mis en recouvrement après l'expiration du délai de reprise prévu par les dispositions précitées des articles L. 169 et L. 176 du livre des procédures fiscales. Il résulte toutefois de l'instruction que la proposition de rectification du 18 décembre 2017, qui était suffisamment motivée, a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai de reprise dont disposait le service vérificateur. Cette proposition a eu pour effet d'interrompre ce délai, en application de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le service ait adressé à la société requérante le 16 juillet 2018 une seconde proposition de rectification, ayant annulé et remplacé celle du 18 décembre 2017. Les impositions litigieuses ont été mises en recouvrement par un avis émis et rendu exécutoire le 15 septembre 2020, régulièrement notifié avant l'expiration du délai de reprise, la société requérante ayant présenté une réclamation pour contester ces impositions le 5 novembre 2020. Par suite, le moyen tiré de l'expiration du délai de prescription du droit de reprise doit être écarté.

5. En deuxième lieu, d'une part, en vertu du I de l'article 209 du code général des impôts, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants.

6. Lorsque l'administration procède au contrôle fiscal d'une entreprise au titre d'un exercice, elle est fondée à exercer son pouvoir de contrôle et de rectification sur l'existence et le montant du déficit reportable, issu d'exercices antérieurs, même prescrits, dont cette entreprise déclare disposer à la clôture de l'exercice vérifié, alors même que ce déficit, qui n'a pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, est seulement susceptible d'affecter le résultat d'exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire. Le contribuable peut, dans une telle hypothèse, contester par voie de réclamation contentieuse, en application du deuxième alinéa précité de l'article L. 190 des procédures fiscales, la réduction par l'administration du montant de son déficit reportable.

7. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Pour l'application des dispositions de l'article 209 du code général des impôts mentionnées au point 5, il appartient, dès lors, au contribuable de justifier l'existence d'un déficit reportable et son montant. Il s'acquitte de cette obligation par la production d'une comptabilité régulière et probante ou, à défaut, par toute autre preuve extracomptable suffisamment probante. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation en produisant une comptabilité, il incombe alors à l'administration, si elle s'y croit fondée, soit de critiquer les écritures ayant conduit à la constatation d'un déficit, soit de demander au contribuable de justifier de la régularité de ces écritures. Il appartient alors au juge de l'impôt d'apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

8. D'autre part, aux termes du troisième alinéa du 1. de l'article 210 A du code général des impôts : " L'inscription à l'actif de la société absorbante du mali technique de fusion consécutif à l'annulation des titres de la société absorbée ne peut donner lieu à aucune déduction ultérieure ".

9. Il résulte de l'instruction que, le 22 décembre 2006, la société civile immobilière Foncière Eboué, détenue à 90 % par la société en nom collectif Compagnie Immobilière et Financière (" CIF "), a cédé un actif immobilier d'une valeur comptable de 12 673 995 euros au prix de 25 000 000 euros, générant une plus-value. Le résultat fiscal de la société Foncière Eboué, imposable entre les mains de ses associés, s'est élevé en 2006 à 11 357 643 euros, la quote-part correspondant aux titres alors détenus par la société CIF s'élevant à 10 221 879 euros. Le 21 juin 2007, les titres de la société CIF ont été apportés à la SAS Devon Storage France, dans le cadre d'une augmentation de capital, pour une valeur de 10 000 000 euros. Par une décision du 27 juin 2007, la SAS Devon Storage France a procédé à la dissolution sans liquidation de la société CIF, avec transmission universelle de son patrimoine, cette opération ayant été placée sous le régime de l'article 210 A du code général des impôts, avec effet rétroactif au plan fiscal au 1er octobre 2006. Par une proposition de rectification du 18 novembre 2008, l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement des dispositions de l'article 210 A du code général des impôts citées au point précédent, la déduction par la SAS Devon Storage France, au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2007, du mali technique d'un montant de 9 926 951 euros résultant de cette opération, compte tenu de la valeur de l'actif net qu'elle avait reçu, constitué pour l'essentiel des titres de la société Foncière Eboué, et de la valeur nette comptable des titres de la société CIF qu'elle avait absorbée. Cette rectification a été acceptée par la SAS Devon Storage France par un courrier du 2 avril 2009.

10. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 16 juillet 2018 et de la réponse aux observations du contribuable du 9 octobre 2018, qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont la SAS Devon Storage France a fait l'objet au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, le service a considéré qu'elle avait compris, dans son déficit reportable comptabilisé le 30 septembre 2008, date de clôture de l'exercice, le mali technique mentionné au point 9, dont la déduction avait pourtant été remise en cause au titre de l'exercice précédent, pour un montant de 9 927 351 euros, correspondant à la somme de 9 926 951 euros majorée par erreur de 400 euros. Il a, par suite, remis en cause ce déficit reportable comptabilisé au 30 septembre 2008, ainsi que, par voie de conséquence, les déficits restant à reporter déclarés à la clôture des exercices clos les 31 décembre 2009 à 2013.

11. Pour contester cette rectification, la SAS Devon Storage France, qui ne remet pas en cause l'existence d'une erreur de 400 euros, soutient, pour le surplus, que le déficit reportable qu'elle a comptabilisé à l'ouverture du premier exercice vérifié, le 1er janvier 2014, résulte de l'application du correctif prévu par la décision " Société anonyme Etablissements Quemener " du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 16 février 2000, pour la détermination de la moins-value qu'elle a réalisée lors de la cession des parts de la société Foncière Eboué le 30 septembre 2008 à la société en nom collectif Financière de Patrimoine.

12. En effet, dans le cas où une société vient à retirer de l'actif de son bilan, à la suite d'une dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine, les parts qu'elle détenait jusqu'alors dans une société relevant du régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, pour assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu de la nature spécifique de ce régime, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part, de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, d'autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé.

13. Toutefois, l'administration fiscale, qui n'a pas contesté que le déficit en litige figurait dans les écritures comptables des exercices clos de 2008 à 2013, dont elle n'a pas remis en cause la régularité, fait valoir qu'à l'issue du premier contrôle dont la SAS Devon Storage France a fait l'objet, les déficits restant à reporter au 30 septembre 2007, date de clôture de l'exercice, avaient été ramenés de 10 784 243 euros à 337 870 euros, soit une différence de 10 446 373 euros, correspondant notamment au mali technique de 9 926 951 euros, mais que, pour tirer les conséquences de ces rectifications proposées le 18 novembre 2008 et acceptées le 2 avril 2009, cette société avait seulement corrigé le déficit restant à reporter à l'ouverture de l'exercice clos le 31 décembre 2009, soit le 1er octobre 2008, en le ramenant de 10 952 776 euros à 10 433 754 euros, la différence de 519 022 euros correspondant au montant des rectifications autres que la remise en cause de la déduction du mali technique, réduit par erreur d'une somme de 400 euros. L'administration fiscale fait également valoir que la SAS Devon Storage France a déclaré une moins-value de 440 000 euros à raison de la cession des titres de la société Foncière Eboué le 30 septembre 2008 et qu'elle a extra-comptablement ajouté aux déficits à reporter au titre de l'exercice précédent au tableau 2058-B de la liasse de l'exercice clos en 2009 un montant de 9 926 951 euros avec la mention : " Suite aux rehaussements de l'exercice 2007 (proposition de rectification du 18/11/2008) et corrections corrélatives sur les résultats de l'exercice 2009 ", sans faire état de l'application du correctif résultant de la décision " Société anonyme Etablissements Quemener " du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 16 février 2000 ou d'un retraitement extra-comptable de la perte réalisée lors de la cession des titres de la société Foncière Eboué, ni dans les liasses fiscales des exercices clos en 2008 et en 2009 au tableau 2058-B, ni dans le document relatif au suivi des déficits, lequel mentionne en revanche que le montant de 9 926 951 euros correspond au " mali de confusion réactivé sur titres SCI Foncière Eboué ".

14. La SAS Devon Storage France, qui évoque d'ailleurs un correctif d'un montant de 10 221 879 euros correspondant à sa quote-part des résultats de la société Foncière Eboué imposables au titre de l'exercice clos en 2006, n'apporte aucun élément de nature à établir que le déficit en litige, d'un montant de 9 926 951 euros, égal au mali technique dont la déduction avait été remise en cause par la proposition de rectification du 18 novembre 2008, ne correspond pas à une reprise de ce mali pourtant non déductible, mais résulte de l'application de la décision " Société anonyme Etablissements Quemener " du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 16 février 2000. A cet égard, si la quote-part des résultats de la société Foncière Eboué imposables au titre de l'exercice clos en 2006 correspondant aux titres alors détenus par la société CIF a été distribuée à cette société par une délibération de l'assemblée générale ordinaire des associés du 11 juin 2007, cette distribution est antérieure à l'acquisition des parts de la société Foncière Eboué par la société requérante et, dès lors qu'elle a nécessairement été prise en compte au titre de la valeur d'acquisition des titres de la société CIF, ne saurait donner lieu à une majoration du prix de revient des titres de la société Foncière Eboué qu'elle a reçus à l'occasion de la transmission universelle du patrimoine mentionnée.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 14 que la SAS Devon Storage France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le service a remis en cause le déficit reportable d'un montant de 9 927 351 euros qu'elle avait comptabilisé le 30 septembre 2008 et, par suite, les déficits restant à reporter déclarés à la clôture des exercices clos les 31 décembre 2009 à 2013 et leur imputation sur les résultats des exercices clos en 2014, 2015 et 2016.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 16 juillet 2018, que le service vérificateur a remis en cause la déduction des résultats des exercices clos de 2009 à 2013 de la société SAS Devon Storage France de charges pour un montant total de 1 998 634 euros, qu'il a considérées comme étant injustifiées. A supposer que la société requérante ait entendu contester cette rectification, elle s'est bornée à indiquer qu'elle se réservait la possibilité de justifier du principe même de la déductibilité de ces charges, sans verser au dossier aucune précision et aucun élément au soutien de sa contestation.

17. En quatrième lieu, la déductibilité, au titre d'un exercice, d'une perte résultant d'une créance n'est possible que si celle-ci présente un caractère certain et définitif à la clôture de cet exercice. Le caractère irrécouvrable d'une créance est subordonné à la preuve, qu'il incombe au contribuable de rapporter, d'une part, de l'accomplissement de diligences et de démarches conduites en vue de leur recouvrement et demeurées infructueuses et, d'autre part, de l'insolvabilité des débiteurs.

18. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 16 juillet 2018, que le service a remis en cause la déduction, au titre des charges de l'exercice clos en 2016 de la SAS Devon Storage France, d'une somme de 403 956 euros qu'elle avait comptabilisée comme une créance irrécouvrable. La société requérante, qui fait valoir que cette somme correspond à une taxe mise à la charge de la société de droit américain Devon Self Storage Llc sur le fondement de l'article 990 D du code général des impôts, qu'elle a elle-même réglée au titre d'une solidarité de paiement, soutient qu'en dépit de ses démarches, elle n'est pas parvenue à obtenir le remboursement de la créance correspondante détenue sur la société Devon Self Storage Llc, laquelle a été liquidée. Elle ne verse toutefois au dossier aucun élément de nature à établir la réalisation de diligences et de démarches en vue du recouvrement de cette créance auprès de la société de droit américain, dont il n'est pas davantage établi qu'elle aurait été liquidée. Dans ces conditions, la SAS Devon Storage France ne justifie pas du caractère certain et définitif de la perte en litige à la clôture de l'exercice 2016.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, (...) la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ".

20. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 14 que la SAS Devon Storage France a compris dans ses déficits reportables comptabilisés le 30 septembre 2008 et imputé sur ses résultats des exercices clos de 2009 à 2016 le mali technique d'un montant de 9 927 351 euros, résultant de la dissolution sans liquidation de la société CIF, mali dont la déduction au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2007 avait pourtant été remise en cause, sur le fondement des dispositions de l'article 210 A du code général des impôts citées au point 8, par une proposition de rectification du 18 novembre 2008, ce qu'elle avait expressément accepté par un courrier du 2 avril 2009. L'administration fiscale, qui se prévaut de cette circonstance, ainsi que de la nature, de l'importance et de la répétition des insuffisances déclaratives correspondantes, doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, conformément à l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, de l'intention délibérée de cette société de se soustraire à l'impôt dû. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant le bien-fondé des pénalités de 40 % pour manquement délibéré qui ont été infligées à la SAS Devon Storage France sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Devon Storage France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions à fins de décharge, de réduction et d'annulation doivent dès lors être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au rétablissement du déficit reportable qu'elle avait comptabilisé à la clôture de l'exercice 2016 pour un montant de 2 365 083 euros, en tout état de cause, et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Devon Storage France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Devon Storage France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 24 janvier 2025.

Le rapporteur,

O. LEMAIRE

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 24PA01336


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01336
Date de la décision : 24/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Olivier LEMAIRE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-24;24pa01336 ?
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