Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL SNEHA a demandé au tribunal administratif de Paris :
1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que de l'amende à laquelle elle a été soumise en application des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts ;
2°) de mettre en œuvre la procédure d'inscription en faux prévue par l'article R. 633-1 du code de justice administrative s'agissant de l'état des constations matérielles établi le 13 janvier 2017.
Par un jugement nos 2005213, 2214912/1-3 du 4 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 14 novembre 2023, 15 février 2024 et 19 février 2024, la SARL SNEHA, représentée par Me Planchat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il a été constaté le 20 janvier 2017 que l'enveloppe contenant la clef USB emportée au moment du contrôle inopiné du 13 janvier 2017 n'était pas signée ;
- les fichiers contenus dans cette clé USB ont pu être consultés ou exportés pendant la période du 13 janvier au 16 janvier 2017 ;
- la circonstance que la clé USB remise au vérificateur le 3 février 2017 n'était pas directement exploitable ne saurait être opposée dès lors qu'elle est différente des clés USB établies lors du contrôle inopiné ;
- les fichiers contenus dans la clé USB remise au vérificateur le 3 février 2017 n'étaient pas nécessairement tous directement inexploitables ;
- le délai nécessaire entre l'avis de vérification et le début du contrôle n'a pas été respecté ;
- les dispositions prévues par l'article A 47 A-3 du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;
- des traitements informatiques ont été réalisés lors du contrôle inopiné ;
- le service n'apporte pas la preuve d'un achat de bières ayant eu lieu le 31 décembre 2015 et correspondant à des achats et ventes occultes en se référant à des informations communiquées par les autorités belges, dès lors que celles-ci ne sont corroborées par aucun élément interne à l'entreprise ;
- l'absence de toute critique des stocks implique que l'intégralité des produits vendus a bien été enregistrée ; dès lors, l'administration ne peut pas ajouter au montant des recettes issu du logiciel de caisse le montant des factures établies pour certains clients professionnels ;
- le service vérificateur n'a pas invité, avant l'envoi de la proposition de rectification, la société requérante à présenter ses observations quant à l'application de la majoration de 40 % et a ainsi méconnu les dispositions prévues par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le taux de 100 % retenu dans l'application de l'amende fiscale prévue à l'article 1759 du code général des impôts n'a pas été motivé ;
- dès lors que les impositions en litige ont été établies à partir de documents d'origine illicite, c'est à tort que la société a été soumise à l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts ;
- c'est à tort qu'ont été incluses dans l'assiette des pénalités mises à sa charge, au titre des années 2014 et 2015, les sommes de 145 068 euros et 180 096 euros, correspondant au profit sur le trésor, dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un flux sortant de la société et qu'elles ne peuvent être regardées comme une rémunération ou un avantage occulte au sens de l'article 111-c du code général des impôts ;
- l'article L. 80 CA étant contraire à l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la majoration prévue par l'article 1729 du code général des impôts au taux de 40 % et l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts ne peuvent être maintenues.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 janvier et 14 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 11 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 mars 2024.
Vu l'ordonnance du 4 mars 2024 par laquelle la présidente de la 2ème chambre a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société SNEHA.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de Me Planchat, représentant la SARL SNEHA.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL SNEHA, ayant notamment pour objet social le commerce de gros alimentaire, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, prolongée au 30 novembre 2016 en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que de l'amende à laquelle elle a été soumise en application des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité et la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sont remis au contribuable au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil ". Aux termes du IV de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements ". Le a. du III. de l'article L. 47 A du même livre dispose que : " Dans le cadre du contrôle inopiné mentionné au dernier alinéa de l'article L. 47, lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration peuvent réaliser deux copies des fichiers relatifs aux informations, données et traitements informatiques ainsi que de la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements mentionnés au IV de l'article L. 13 ". Il résulte de ces dispositions qu'il est loisible à l'administration, dans le cadre d'un contrôle inopiné, de réaliser des copies des documents comptables figurant sur des fichiers informatiques, sous réserve de ne se livrer à aucun traitement ni examen au fond de ces données.
3. D'autre part, aux termes de l'article A. 47 A-3 du même livre : " " I. - Les copies des fichiers réalisées en application du III de l'article L. 47 A, sur lesquelles une empreinte numérique est calculée afin d'en garantir l'intégrité, sont effectuées sur support physique. / Chacune des copies est mise dans une enveloppe. Après fermeture, chacune des enveloppes est signée par le contribuable ou son représentant et par les agents de l'administration fiscale. / Une enveloppe est remise au contribuable et conservée par ses soins. L'autre enveloppe est conservée par l'administration fiscale. / Un procès-verbal, mentionnant notamment l'empreinte numérique de chacune des copies, est dressé par les agents de l'administration en double exemplaire. Il est signé par les agents de l'administration et par le contribuable ou son représentant. En cas de refus de signer, mention en est faite sur le procès-verbal. / II. - A l'issue du délai mentionné à la seconde phrase du dernier alinéa de l'article L. 47, les deux enveloppes sont ouvertes en présence du contribuable ou de son représentant. / L'empreinte numérique de chacune des copies est recalculée par les agents de l'administration. / Toute atteinte ou tentative d'atteinte à l'intégrité des enveloppes ou de leur contenu ainsi que la conformité ou non de l'empreinte numérique de chaque copie de fichiers sont constatées par écrit. / Un procès-verbal consignant ces constatations est dressé par les agents de l'administration en double exemplaire. Il est signé par les agents de l'administration et par le contribuable ou son représentant. En cas de refus de signer, mention en est faite sur le procès-verbal ".
4. Il résulte de l'instruction qu'au cours de l'intervention du service en date du 13 janvier 2017, qui constituait un contrôle inopiné au sens de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, le service a réalisé une copie sur deux clefs USB des données de gestion de la SARL SNEHA, qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables de la société, et que ces clefs ont été placées dans deux enveloppes scellées. Il résulte également de l'instruction qu'au cours de l'intervention du 20 janvier 2017, deux enveloppes contenant les mêmes clefs USB ont été ouvertes, sans que l'enveloppe du service ne comporte de signature du contribuable et des agents de l'administration fiscale. Dans ces conditions, le vérificateur a entaché d'irrégularité la procédure d'imposition mise en œuvre à l'égard de la SARL SNEHA.
5. Le ministre fait toutefois valoir que l'irrégularité ainsi commise n'a pas eu pour effet de priver la contribuable d'une garantie attachée à la procédure d'imposition et n'a pu en conséquence exercer une influence sur la décision d'imposition, au motif d'une part qu'il ressort du procès-verbal du 20 janvier 2017 établi lors de la première intervention que les enveloppes n'ont fait l'objet d'aucune tentative d'ouverture et que les empreintes numériques des deux clefs USB consultées le 20 janvier étaient identiques, et d'autre part que les fichiers transmis le 3 février 2017 sur une autre clé USB, laquelle aurait comporté les copies de fichiers figés lors du contrôle inopiné, étaient protégés par un mot de passe à compter du mois d'octobre 2015 et de ce que les intitulés de champs ne permettaient pas une identification claire des données, et que par suite les fichiers figurant sur la clé USB emportée le 13 janvier 2017 étaient en tout état de cause inexploitables.
6. Il ne résulte pas de l'examen du procès-verbal établi le 20 janvier 2017 que la gérante de la société aurait reconnu, ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, que les enveloppes ouvertes le 20 janvier 2017 étaient identiques aux enveloppes scellées le 13 janvier. Dans ces conditions, la circonstance que les enveloppes ouvertes le 20 janvier 2017 n'auraient fait l'objet d'aucune tentative d'ouverture ne saurait établir que l'administration n'a pas eu accès au contenu de la clé dans l'intervalle. La circonstance que les empreintes numériques des deux clefs USB consultées le 20 janvier étaient identiques, si elle est de nature à établir que l'administration fiscale n'a pas modifié les fichiers contenus sur la clé en sa possession, ne saurait suffire à garantir qu'elle ne les a pas consultés ni exportés sur un autre support. Enfin et en absence du moindre document permettant de s'assurer que les fichiers portés le 13 janvier sur la clé USB étaient identiques à ceux contenus sur la clé transmise le 3 février dans le cadre de la demande de traitements informatiques prévue par les dispositions de l'article L. 47 A-II du livre des procédures fiscales, la circonstance que ces derniers fichiers étaient protégés par un mot de passe et difficilement interprétables n'est pas de nature à établir que la contribuable a pu bénéficier de la garantie liée à la non consultation par l'administration des documents avant l'expiration du délai raisonnable prévu à l'article L. 47 du livre des procédures fiscales et le début effectif des opérations de contrôle sur place. Il ne résulte d'ailleurs pas de l'instruction que la totalité des fichiers présents sur la clé transmise le 3 février aurait été inaccessible. Par suite, et alors même que la société requérante a pu bénéficier de l'assistance d'un conseil, l'irrégularité de la procédure de contrôle a privé la société d'une garantie et a ainsi eu une influence sur la décision d'imposition.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a par suite lieu de prononcer la décharge des impositions en litige et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement nos 2005213, 2214912/1-3 du 4 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La SARL SNEHA est déchargée, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que de l'amende à laquelle elle a été soumise en application des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL SNEHA la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL SNEHA et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- M. Segretain, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLa présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04688 2