Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 750 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Par un jugement nos 2108962 et 2119589/6-2 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 juillet 2023, et des mémoires enregistrés le 12 novembre 2023 et le 14 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Mazza, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 mai 2023 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser 750 000 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est insuffisamment motivé.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- la responsabilité de l'administration est engagée en raison des faits de harcèlement moral dont il a été victime ;
- elle est engagée en raison de la rupture du principe d'égalité en ce qui concerne ses demandes d'aménagements d'horaires de travail ;
- il a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé ;
- l'administration a manqué à son obligation de protection de son agent ;
- son préjudice moral doit être réparé à hauteur de 250 000 euros ;
- son préjudice matériel s'élève à 500 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de M. B....
M. B... a produit une pièce dans le cadre d'une note en délibéré, le 21 janvier 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., brigadier-chef au sein de la police nationale, était affecté à la brigade de réseaux franciliens (BRF) et a exercé ses fonctions sur le site de la gare de Lyon entre 2008 et 2017. Il a par la suite été placé en congé maladie. Estimant être victime de harcèlement moral, d'inégalité de traitement, et de discrimination, il a demandé l'indemnisation de ses préjudices au ministre de l'intérieur par une demande du 18 mai 2021. M. B... relève appel du jugement du 2 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 750 000 euros en réparation des préjudices consécutifs à ces agissements fautifs de l'Etat.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par le requérant à l'appui de ses conclusions et moyens, ont indiqué de manière suffisamment précise, aux points 15 à 22 de leur jugement, les motifs pour lesquels aucun agissement fautif de l'administration n'était susceptible d'ouvrir droit à indemnisation. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation du jugement en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. M. B... se prévaut de plusieurs manquements de l'administration, tenant à une situation de harcèlement moral, à une inégalité de traitement, à une discrimination à raison de son état de santé et à un manquement à l'obligation de sécurité et de protection de la santé des agents.
En ce qui concerne le harcèlement moral :
4. Aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. "
5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
6. M. B... se prévaut d'une situation de harcèlement moral subie depuis l'année 2012, en raison d'un refus systématique d'aménager ses horaires de travail entre 2012 et 2016, de pressions exercées lors de son hospitalisation en 2017, et de comportements irrespectueux de certains de ses collègues en 2016 et 2017.
7. Il résulte en premier lieu de l'instruction que M. B... a demandé à quatre reprises une modification de ses horaires de travail, afin de concilier ses difficultés personnelles et son service. Il a renoncé à sa première demande de passage à un régime hebdomadaire, formulée en mai 2012, après quelques semaines. Après avoir obtenu, à sa demande, son passage à temps partiel et en rythme hebdomadaire il a sollicité, en novembre 2014, un changement de ses horaires, incompatibles avec ses contraintes familiales une semaine sur deux et une année sur deux, sans succès. Après sa troisième demande, identique à la précédente, formulée en janvier 2016, ses supérieurs hiérarchiques lui ont proposé une mutation à Orléans, où il réside et partage la garde alternée de ses enfants, ce que l'intéressé a refusé. Enfin, sa dernière demande de novembre 2016 a donné lieu au changement désiré. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient le requérant, que des refus multiples et systématiques ont été opposés à ses demandes d'adaptation de son rythme de travail à ses contraintes personnelles entre 2012 et 2016.
8. En deuxième lieu, M. B... fait valoir qu'il a subi des pressions lors d'un entretien téléphonique du 4 octobre 2017, alors qu'il était hospitalisé, au cours duquel les conséquences de son absence à une visite médicale ont été évoquées, et qu'il en a été profondément affecté. Il résulte de l'instruction que cet incident, qui résulte d'une mauvaise communication au sein des services de santé au travail, certes regrettable, ne révèle pas une volonté de nuire au requérant, et n'a donné lieu à aucune sanction disciplinaire ou conséquence financière pour l'intéressé.
9. En dernier lieu, M. B... soutient qu'il est victime de dénigrement et d'ostracisme de la part de ses collègues, et évoque pour en justifier deux épisodes d'insubordination à son encontre datant d'août 2016 et janvier 2017. Il résulte toutefois de l'instruction que les auteurs de ces faits ont été convoqués et morigénés, ce qui témoigne d'une absence de tolérance de l'autorité administrative pour l'insubordination témoignée à l'égard du requérant.
10. Il résulte de ce qui précède que les faits énoncés par le requérant, pris ensemble ou séparément, ne peuvent être regardés comme soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre et d'ouvrir droit à indemnisation.
En ce qui concerne la rupture d'égalité :
11. M. B... soutient que les refus opposés à ses demandes d'aménagement de rythme de travail révèlent une inégalité de traitement, dès lors que d'autres agents ont bénéficié d'horaires plus favorables. Toutefois, en produisant une consigne de service de décembre 2012 sur la mise en place du cycle hebdomadaire, auquel il avait alors renoncé, ainsi qu'une attestation de collègue établie en 2022 indiquant ses propres horaires moins contraignants, le requérant n'apporte au soutien de ses allégations aucune pièce susceptible de démontrer qu'un traitement défavorable aurait été réservé à ses demandes.
En ce qui concerne la discrimination :
12. Aux termes de l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sous réserve des dispositions des articles L. 131-5, L. 131-6 et L. 131-7. "
13. M. B... se prévaut de propos qui lui auraient été tenus lors d'un entretien le 4 janvier 2021, au cours duquel son état de santé aurait été évoqué pour l'inciter à quitter ses fonctions et justifier que son arme de service lui soit retirée. Il se borne à produire à l'appui de ses allégations un message électronique dans lequel il relate cet entretien, sans toutefois que le retrait de son arme ne soit évoqué. Ces uniques éléments produits par le requérant ne sont pas de nature à faire présumer une situation de discrimination en lien avec son état de santé.
En ce qui concerne l'obligation de sécurité et de protection de la santé :
14. L'article L. 136-1 du code général de la fonction publique dispose que : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Au surplus, il résulte de l'article L. 811-1 de ce code que, sauf dérogation, les règles applicables en matière d'hygiène et de sécurité dans les services de l'Etat sont celles définies par les livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail, au sein desquels l'article L. 4121-1 prévoit que : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : (...) 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. (...) ".
15. En vertu de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives, qui ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d'assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet.
16. M. B... soutient qu'il a alerté à de nombreuses reprises ses supérieurs hiérarchiques sur les retentissements sur son état de santé de l'absence de prise en compte de sa situation personnelle. Il résulte toutefois de ce qui a été dit précédemment que les demandes de l'intéressé n'ont pas rencontré d'opposition systématique de la part de l'autorité administrative, qui, si elle n'y a pas immédiatement fait droit, a répondu positivement à certains de ses souhaits et proposé des solutions adaptées à sa situation de famille et à l'intérêt du service. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction qu'elle ait manqué à son obligation de protection de la santé du requérant.
17. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE:
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Vidal, présidente de chambre,
Mme Bories, présidente assesseure,
M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDALLe greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02928 2