Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à l'attribution de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) et de condamner l'Etat à lui verser le montant de la NBI qu'elle estime lui être due depuis le 1er janvier 2020.
Par un jugement no 2103417/5-1 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 11 janvier et 20 novembre 2023, Mme A..., représentée par Me Chalon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 novembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet relatif à sa demande du bénéfice de la NBI ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de régulariser sa situation et de lui verser la NBI depuis le 1er janvier 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de l'appel et 2 000 euros au titre de la procédure de la première instance.
Elle soutient que :
- elle exerce son activité professionnelle de psychologue au sein de l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) Château d'eau située à Paris 10ème et elle a droit à la NBI du fait de sa situation professionnelle ;
- la décision de refus d'attribution méconnaît le principe d'égalité de traitement des agents publics.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 novembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;
- le décret n° 93-522 du 26 mars 1993 ;
- le décret n° 2001-1061 du 14 novembre 2001 ;
- le décret n° 2015-1221 du 1er octobre 2015 ;
- l'arrêté du 14 novembre 2001 fixant les conditions d'attribution de la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice ;
- l'arrêté ministériel du 4 décembre 2001 fixant par département les emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laforêt, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique ;
- les observations de Me Calot pour Mme A..., présente.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., psychologue, exerce ses missions depuis le 1er janvier 2016 au sein de l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) Château d'eau, située à Paris 10ème arrondissement, unité dépendant du service territorial éducatif de milieu ouvert dit C.... Par courrier transmis par la voie hiérarchique le 17 novembre 2020, elle a sollicité le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI). Elle relève appel du jugement du 10 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse, refusant de lui accorder le bénéfice de la NBI, et à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes correspondantes.
Sur la légalité de la décision attaquée :
2. D'une part, aux termes du I de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : " La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières dans des conditions fixées par décret ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 novembre 2001 relatif à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice : " Une nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville, prise en compte et soumise à cotisation pour le calcul de la pension de retraite, peut être versée mensuellement, dans la limite des crédits disponibles, aux fonctionnaires titulaires du ministère de la justice exerçant, dans le cadre de la politique de la ville, une des fonctions figurant en annexe au présent décret ". Figurent dans cette annexe au décret, dans sa version applicable à partir du 1er janvier 2015, les fonctions de catégories A, B ou C de la protection judiciaire de la jeunesse " (...) 3. Intervenant dans le ressort territorial d'un contrat local de sécurité ". En application de ces dispositions, un arrêté du 4 décembre 2001 a fixé, par département, les emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice. Le tableau III de l'arrêté du 4 décembre 2001 fixe à 20 le nombre de points indiciaires attribué aux fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse exerçant les fonctions de psychologue dans le département de Paris.
3. D'autre part, le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire instituée par les dispositions citées au point précédent ne constitue pas un avantage statutaire et n'est lié ni au cadre d'emplois, ni au grade, mais dépend seulement de l'exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit. Par ailleurs, la disposition précitée de l'article 1er du décret du 14 novembre 2001 selon laquelle la nouvelle bonification indiciaire " peut être versée mensuellement dans la limite des crédits disponibles " ne saurait avoir pour objet ni pour effet de dispenser l'administration du respect du principe d'égalité, lequel exige que les agents qui occupent effectivement des emplois correspondant aux fonctions ouvrant droit à cet avantage et qui comportent la même responsabilité ou la même technicité particulières bénéficient de la même bonification.
4. En outre, les contrats locaux de sécurité, définis par la circulaire interministérielle du 28 octobre 1997 (NOR : INTK9700174C), sont des outils d'une politique de sécurité s'appliquant en priorité aux quartiers sensibles, conclus sous l'impulsion du maire d'une ou plusieurs communes et du représentant de l'Etat dans le département, lorsque la délinquance est particulièrement sensible sur un territoire donné. En application des dispositions de l'article L. 132-11 du code de sécurité intérieure, le préfet de police et le maire de Paris, qui animent la politique de prévention de la délinquance et en coordonnent la mise en œuvre à Paris, président un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). La circonstance que les contrats locaux de sécurité sont conclus en priorité dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, présents notamment dans les 17ème et 18ème arrondissements de Paris, et sont animés, lorsqu'ils existent, par le CLSPD, n'a ni pour objet ni pour effet que tout quartier prioritaire politique de la ville serait couvert par un contrat local de sécurité.
5. Enfin, pour bénéficier de la NBI prévue par l'article 1er du décret du 14 novembre 2001, les fonctionnaires de catégories A, B ou C de la protection judiciaire de la jeunesse mentionnés en annexe à ce décret, qui entendent se prévaloir de la condition prévue au point 3 de cette annexe, doivent apporter la preuve, par tout moyen, qu'ils accomplissent la majeure partie de leur activité dans le ressort territorial d'un ou plusieurs contrats locaux de sécurité, quel que soit par ailleurs leur lieu d'affectation.
6. Afin d'établir qu'elle remplit les conditions pour bénéficier de la NBI au titre de ses fonctions au sein de l'UEMO Château d'eau, Mme A... soutient qu'elle exerce son activité de psychologue au sein même de cette unité, située dans le 10ème arrondissement, laquelle intervient auprès d'un public de mineurs placés sous-main de justice et de leurs familles qui résident dans un ressort territorial constitué des 8ème, 9ème, 10ème, 17ème et 18ème arrondissements de Paris. Ces éléments ne sont pas contestés par le garde des sceaux, ministre de la justice.
7. Mme A... produit sa fiche de poste qui précise son secteur d'intervention ainsi que les sommaires des " contrats de prévention et de sécurité 2016-2020 " des 10ème, 17ème et 18ème arrondissements. Ces contrats sont la déclinaison du " contrat parisien de prévention et de sécurité 2015-2020 " et doivent être regardés comme couvrant la même période que le contrat parisien, allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020. Il résulte en outre de l'instruction que si les 8ème et 9ème arrondissements n'étaient pas pourvus, au titre de cette période, d'un contrat de prévention et de sécurité propre, ces arrondissements doivent toutefois être regardés comme relevant directement du contrat parisien de prévention et de sécurité. Par ailleurs, tant le " contrat parisien de prévention et de sécurité 2015-2020 " que les " contrats de prévention et de sécurité 2016-2020 " des 10ème, 17ème et 18ème arrondissements doivent être assimilés, au regard de leur objet et des parties signataires, à des contrats locaux de sécurité au sens de l'annexe de l'article 1er du décret du 14 novembre 2001. Par suite, M. A... doit être regardée comme ayant accompli la majeure partie de son activité, pour l'année 2020, dans le ressort territorial d'un ou plusieurs contrats locaux de sécurité.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, sans qu'il ne soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, Mme A... est fondée à demander l'annulation de la décision implicite de rejet et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".
10. D'une part, au regard du débat contradictoire qui s'est limité à l'année 2020, l'exécution du présent arrêt implique uniquement que le garde des sceaux, ministre de la justice, attribue la nouvelle bonification indiciaire à Mme A... pour cette année 2020, à hauteur de 20 points, et lui verse les sommes correspondantes dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. D'autre part, en l'absence d'éléments contraires, il implique que le garde des sceaux, ministre de la justice, examine le droit de Mme A... à bénéficier de la NBI à compter du 1er janvier 2021, dans les mêmes conditions de délai.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. D'une part, Mme A... demande à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat des frais au titre de la première instance. Toutefois, Mme A... ne justifie pas que la première instance ait donné lieu à des frais au sens de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés devant la cour.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2103417/5-1 du tribunal administratif de Paris du 10 novembre 2022 et la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à Mme A... sont annulés en tant qu'ils rejettent sa demande tendant à l'attribution de la nouvelle bonification indiciaire à compter du 1er janvier 2020.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, d'une part, d'attribuer la nouvelle bonification indiciaire à Mme A... pour l'année 2020, à hauteur de 20 points, et de procéder au versement des sommes correspondantes et, d'autre part, d'examiner le droit de Mme A... à bénéficier de la NBI à compter du 1er janvier 2021.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Laforêt, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
Le rapporteur,
E. LAFORETLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00150