Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Driveaway Holidays a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 188 765 euros dont elle disposait au titre de la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2018, assorti d'intérêts moratoires.
Par un jugement n° 2003481 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une ordonnance n° 23VE01272 du 30 juin 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a renvoyé devant la Cour de céans la requête en appel déposée par la société Driveaway Holidays.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin 2023 et 1er février 2024, la société Driveaway Holidays, représentée par Me Vogel, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 188 765 euros dont elle disposait au titre de l'année 2018, assorti d'intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la motivation retenue par les juges de première instance pour rejeter leur demande, n'a pas fait l'objet d'un débat contradictoire ;
- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'une erreur de droit en retenant qu'elle ne s'était pas prévalue du fait que le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée était impossible ou excessivement difficile ;
- en application du principe d'effectivité, l'Etat doit lui permettre de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est acquittée à tort, compte tenu de l'extrême difficulté, voire l'impossibilité d'en obtenir la restitution auprès des fournisseurs Avis et Europcar en raison de l'ancienneté et du nombre des factures concernées ; à ce titre, seul un remboursement accordé par la Cour permettra d'atteindre ce principe, compte tenu de l'ancienneté et du nombre des factures concernées ;
- la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort par les prestataires français a pu faire l'objet d'une procédure de régularisation uniquement pour les années 2020 et suivantes et seulement pour l'un d'eux, alors même qu'elle est en droit d'obtenir le remboursement par l'Etat français de l'intégralité de cette taxe mise indûment à sa charge.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 août 2023 et 19 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Driveaway Holidays ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- l'arrêt n° C-35/05 du 15 mars 2007 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du Conseil d'Etat n° 469111 du 29 novembre 2023.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Carrère,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Driveaway Holidays, établie en Australie, dont la clientèle est composée d'agences de voyages australiennes, émet des bons en échange desquels les clients de ces agences bénéficient de prestations de location de véhicules de tourisme en France, préalablement réservées auprès de sociétés françaises de location de véhicules. La société Driveaway Holidays a demandé à l'administration, dans le cadre des dispositions de la 13ème directive du 17 novembre 1986 relatives aux modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté européenne, le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est acquittée au titre des prestations qui lui ont été facturées par des sociétés françaises de location de véhicules au cours de la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2018. Cette réclamation a été rejetée par une décision du 19 novembre 2019. Par la présente requête, la société Driveaway Holidays relève régulièrement appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée mise à sa charge à hauteur de 188 765 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, si la société Driveaway Holidays soutient que la motivation retenue par les juges de première instance pour rejeter sa demande n'a fait l'objet d'aucun débat contradictoire, il ressort toutefois du jugement contesté et du dossier de première instance, que les motifs retenus par les juges avaient été exposés à l'appui des mémoires en défense enregistrés devant le tribunal administratif de Montreuil le 4 juin 2020 et le 12 avril 2022 et communiqués à la société requérante. Par suite, si la société n'a pas répliqué à ces mémoires, elle a toutefois été mise en mesure de discuter dans le cadre de cette instance, des motifs et arguments exposés par l'administration en défense et qui ont été repris par les juges de première instance. Le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction doit dès lors être écarté.
3. En second lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, si la société Driveaway Holidays soutient que les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit, un tel moyen, qui ne critique pas la régularité du jugement, est inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
4. D'une part, aux termes de l'article 259 du code général des impôts : " Le lieu des prestations de services est situé en France : / 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...) ". Aux termes de l'article 259 A du même code : " Par dérogation à l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : / 1° Les locations de moyens de transport : / a) Lorsqu'elles sont de courte durée et que le moyen de transport est effectivement mis à la disposition du preneur en France (...) ". Et aux termes de l'article 256 du même code dans sa version alors applicable : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / (...) IV. 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels (...) sont considérées comme des prestations de services (...) / V. L'assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui, qui s'entremet dans une livraison de bien ou une prestation de services, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien, ou reçu et fourni les services considérés ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) d) Les opérations non imposables en France réalisées par des assujettis dans la mesure où elles ouvriraient droit à déduction si leur lieu d'imposition se situait en France. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités et les limites du remboursement de la taxe déductible au titre de ces opérations ; ce décret peut instituer des règles différentes suivant que les assujettis sont domiciliés ou établis dans les Etats membres de la Communauté européenne ou dans d'autres pays ". Aux termes de l'article 242-0 Z quinquies de l'annexe II à ce code : " Est remboursée aux assujettis établis hors de l'Union européenne la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les services qui leur ont été rendus et les biens meubles qu'ils ont acquis ou importés en France au cours de l'année ou du trimestre prévu à l'article 242-0 Z quater dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour la réalisation ou pour les besoins d'opérations visées à l'article 242-0 N ". Enfin, aux termes de l'article 242-0 N de la même annexe : " Un assujetti non établi en France peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis ou ayant grevé l'importation de biens en France, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : / 1° Les opérations dont le lieu d'imposition se situe hors de France mais qui ouvriraient droit à déduction si ce lieu d'imposition était situé en France. (...) ". Aux termes de l'article 242-0 P de la même annexe : " La demande de remboursement présentée ne peut pas porter sur : 1° les montants de taxe sur la valeur ajoutée facturés par erreur ; (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un assujetti établi hors de l'Union européenne peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'opérations qui auraient été imposables si elles avaient eu lieu en France pour des biens qu'il a acquis ou des services qui lui ont été rendus, dans la mesure où les biens et les services en cause sont utilisés pour les besoins de ces opérations et que les prestations de services et les livraisons de biens correspondantes sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée.
6. Il résulte de l'instruction que la société Driveaway Holidays réserve, pour le compte d'agences de voyages australiennes, des locations de véhicules de tourisme destinées aux clients de ces dernières, auprès de loueurs établis en France, après avoir préalablement négocié avec ceux-ci des prix de gros. Il est constant qu'elle règle d'avance les loyers afférents à ces locations, grevés de la taxe sur la valeur ajoutée, qu'elle refacture à sa clientèle d'agences de voyages, en y appliquant une marge correspondant à sa prestation d'intermédiaire, après avoir émis des bons de réservation. Dès lors, les opérations réalisées par la société Driveaway Holidays ne constituent pas des prestations d'agence de voyage ou des prestations de location de véhicules automobiles de courte durée passibles de la taxe sur la valeur ajoutée en France en vertu de l'article 259 A du code général des impôts, mais des prestations de service, au sens du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, dont le prix acquitté par les agences de voyages constitue la
contre-valeur.
7. Dès lors que la société n'acquiert pas de prestations de locations automobiles auprès des loueurs établis en France, les prestations prises auprès de ces derniers doivent être regardées comme des prestations de service qui sont, en application de l'article 259 du code général des impôts imposables dans le pays du preneur. Dans la mesure où la société Driveaway Holidays n'a en France ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable, les prestations de services qu'elle a prises sont réputées être situées en Australie où elle a établi son siège. Dans ces conditions, les fournisseurs français de la société requérante ne pouvaient appliquer la taxe sur la valeur ajoutée au prix des prestations servies à cette dernière.
Sur la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort :
8. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1302 du code civil : " (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ". Aux termes de l'article 1302-1 du même code : " Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ".
9. D'autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que, lorsque l'acquéreur d'un bien a versé au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d'un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment supportée. Si la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
10. Conformément à ce qui a été dit au point 9, pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l'acquéreur doit prioritairement s'adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n'a pas pris l'initiative de lui rembourser l'indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l'administration fiscale si l'obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.
11. La société Driveaway Holidays fait valoir l'extrême difficulté, voire l'impossibilité d'obtenir auprès de ses fournisseurs Avis et Europcar la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est indûment acquittée au titre de l'année 2018. A l'appui de ses allégations, elle produit pour la première fois en appel des courriers du 2 mars 2021 adressées à ces deux sociétés aux termes desquels elle sollicite le remboursement de cette taxe. Elle précise qu'une procédure de régularisation a été acceptée par la seule société Avis et uniquement pour les années 2020 et suivantes. Toutefois, il résulte des principes énoncés ci-dessus au point 9 du présent arrêt, qu'elle n'établit pas, ni même n'allègue avoir tenté d'obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui est due au titre de l'année 2018 par la voie juridictionnelle de l'action en répétition de l'indue. Dans ces conditions, faute d'avoir prioritairement mené à son terme une telle action, il ne résulte pas de l'instruction que la récupération auprès de ses fournisseurs de la taxe sur la valeur ajoutée payée à tort serait, en l'état, impossible ou excessivement difficile pour la société Driveaway Holidays. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a rejeté la demande de restitution de la taxe en litige.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Driveaway Holidays n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée acquittée à tort au titre de la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2018. Sa requête doit par suite être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tenant aux frais liés à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Driveaway Holidays est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Driveaway Holidays et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction des impôts des non-résidents.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 13 décembre 2024.
Le président-rapporteure,
S. CARRERE
Le président-assesseur,
O. LEMAIRE La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02948