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13/12/2024 | FRANCE | N°23PA01130

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 13 décembre 2024, 23PA01130


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Roger Vivier Paris a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de retenues à la source et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2012 à 2014, ainsi que des majorations correspondantes.



Par un jugement n° 1904469 du 17 janvier 2023, le tribunal administ

ratif de Paris a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Roger Vivier Paris a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de retenues à la source et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2012 à 2014, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1904469 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la décharge des cotisations de retenue à la source mises à la charge de la société Roger Vivier Paris au titre des années 2012 à 2014 à concurrence d'un montant de 287 179 euros en droits et pénalités, d'autre part, mis à la charge de l'Etat le versement à la société Roger Vivier Paris d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Roger Vivier Paris.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars 2023 et 11 avril 2024, la société Roger Vivier Paris, représentée par Me de Saint-Bauzel, avocat, demande à la Cour :

1°) d' annuler le jugement n° 1904469 du tribunal administratif de Paris en date du 17 janvier 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de retenues à la source et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2012 à 2014 et demeurant en litige, ainsi que des majorations correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration fiscale ne saurait rectifier le montant de déficits d'exercices antérieurs aux exercices vérifiés si ces déficits n'ont eu aucune influence sur les résultats servant de base aux impositions à établir ; elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe n° 260 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-IS-DEF-10-20 ;

- elle n'a démarré son activité que le 8 mars 2004, aucune recette ou vente n'ayant été réalisée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2003, avant l'ouverture de sa boutique ; elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe n° 120 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-DEF-20-10 ;

- elle était en situation de pénétration du marché du luxe jusqu'en 2006, année comprise dans la période de démarrage de l'activité, le déficit correspondant ne pouvant dès lors pas être pris en compte ;

- l'administration ne démontre pas l'existence de liens de dépendance avec la société Tod's ;

- ses relations commerciales avec les sociétés Tod's et Gousson n'ont pas présenté un déséquilibre à son détriment ;

- les prestations régies par le contrat conclu le 27 décembre 2004 avec la société Gousson n'ont plus été réalisées à compter de 2008 ;

- la remise de 4 % sur les achats réalisés auprès de la société Tod's constitue une rémunération suffisante, en adéquation avec le prix de marché ;

- la décote moyenne de 65 % sur les invendus pratiquée par la société Tod's est justifiée par l'obsolescence très rapide des produits distribués ;

- l'application de la méthode transactionnelle de la marge nette n'est pas appropriée, ses coûts d'exploitation n'étant pas comparables à ceux des sociétés retenues comme termes de comparaison par le service vérificateur et la moyenne de ses marges brutes résultant de causes étrangères aux achats réalisés auprès de la société Tod's ; la méthode du prix de revente est plus appropriée dès lors qu'elle est moins sensible à l'exécution de fonctions auxiliaires à l'activité de distribution ; aucune anormalité n'a été relevée dans ses prix de revente ;

- la méthode mise en œuvre par l'administration est erronée dès lors qu'elle repose sur l'utilisation d'une moyenne des marges brutes dégagées sur onze années, alors qu'il est commun de procéder à une analyse sur trois ou cinq années, que cette période comprend des années de crise économique ayant produit des impacts non homogènes et qu'elle n'utilise pas des outils statistiques tels que l'intervalle interquartile ; elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe n° 260 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-BASE-80-10-10 ;

- les entreprises retenues par le service comme termes de comparaison ne sont pas comparables, certaines étant de taille modeste ou pouvant être gérées par une personne physique qui en est le propriétaire unique ou principal, ce qui a une incidence sur les coûts supportés et la rentabilité ; certaines sont des revendeurs multimarques ;

- les pénalités pour manquement délibéré de 40 % qui lui ont été infligées ne sont pas fondées, en l'absence d'insuffisance déclarative et, en tout état de cause, d'intention délibérée d'échapper à l'impôt ;

- le service ne pouvait pas remettre en cause la décote sur les invendus pratiquée par la société Tod's, laquelle se borne à fabriquer des produits et n'a pas à supporter les dépenses de marketing et de promotion engagées pour développer la marque Roger Vivier, en se fondant sur la rémunération prétendument insuffisante accordée par la société Gousson, propriétaire de la marque ;

- la remise en cause de la décote sur les invendus engendre à elle seule des taux de marge opérationnelle pour 2013 et 2014 manifestement excessifs et supérieurs à celui retenu comme référence par le service vérificateur ;

- cette remise en cause a été réalisée en méconnaissance du principe de non-immixtion dans sa gestion, alors que la politique de retour des produits invendus correspond à un avantage qui lui a été spécifiquement accordé par son fournisseur ;

- l'application de la méthode transactionnelle de la marge nette revient à corriger à la baisse les prix des produits vendus par le fournisseur, qui n'est pourtant pas propriétaire de la marque et n'a pas la charge de son développement ;

- la déduction des coûts de promotion et de marketing n'a pas été remise en cause par le vérificateur ;

- alors que les coûts relatifs à la promotion de la marque auraient dû être refacturés à la société propriétaire de la marque, et non au fournisseur, le service n'a caractérisé aucune renonciation à recettes consentie à la société Gousson ;

- sa stratégie lui a permis de dégager des marges opérationnelles importantes dès 2013 ;

- les taux de marge nette des exercices 2013 et 2014 excèdent le taux de 6,76 % retenu par le service, qui ne pouvait pas ajuster à la hausse les résultats de l'exercice clos en 2012 sans ajuster à la baisse ceux de ces deux exercices ;

- pour la détermination du taux de marge nette, le service aurait dû retenir le taux médian de 4,12 %, et non le taux moyen de 6,76 % ; elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-BASE-80-10-10 ;

- le service n'a fourni aucun détail sur le rejet de quatorze comparables potentiels ;

- le raisonnement du service méconnaît la réalité économique du marché sur lequel elle opère.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Roger Vivier Paris ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemaire,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Darcq, substituant Me de Saint-Bauzel, représentant la SAS Roger Vivier Paris.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Roger Vivier Paris (" RVP ") exerce, dans une boutique sise 29, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris, une activité de distribution de chaussures et d'articles de luxe de la marque Roger Vivier, dont elle n'est pas propriétaire. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période couvrant les années 2012 à 2014, à l'issue de laquelle le service a considéré qu'elle avait, dès l'année 2003, année de sa création, indirectement transféré des bénéfices à des sociétés situées hors de France et avec lesquelles elle avait un lien de dépendance, au sens de l'article 57 du code général des impôts.

2. Au terme d'une procédure de rectification contradictoire, le service vérificateur a, d'une part, corrigé les déficits reportables initialement déclarés par la société RVP au titre des charges de l'exercice clos en 2012, ces déficits ayant été déclarés au titre des exercices clos de 2006 à 2011, dernier exercice prescrit, corrigé le résultat déficitaire déclaré au titre de l'exercice clos en 2012 et imputé sur le résultat bénéficiaire ainsi dégagé une partie des déficits reportables corrigés. Le service a, d'autre part, rehaussé les résultats bénéficiaires déclarés au titre des exercices clos en 2013 et en 2014 et imputé sur ces résultats le surplus des déficits reportables corrigés. A l'issue de cette procédure, la société RVP a ainsi été assujettie à une cotisation primitive d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2014, ainsi qu'à des cotisations primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle au titre des trois années vérifiées, ces impositions ayant été majorées des intérêts de retard et de pénalités pour manquement délibéré de 40 % sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts. En outre, le service a regardé les rehaussements apportés aux résultats déclarés par la société RVP au titre des exercices clos de 2012 à 2014 sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts comme des distributions donnant lieu à l'application de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis de ce code et il a en conséquence mis à la charge de cette société des cotisations primitives de retenue à la source, majorées des intérêts de retard et de pénalités de 10 % sur le fondement de l'article 1728 du même code.

3. La société RVP relève appel du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 17 janvier 2023 en tant que, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la décharge des cotisations litigieuses de retenue à la source, ainsi que des majorations s'y rapportant, à concurrence d'un dégrèvement partiel accordé en cours d'instance, il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des impositions mentionnées au point 2.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. A supposer que la société RVP ait entendu contester la régularité de la procédure d'imposition, la circonstance, dont elle se prévaut, que le service vérificateur, qui a eu recours à un panel de sociétés qu'il a regardées comme étant comparables pour procéder aux rectifications en litige, n'ait fourni aucun détail sur les sociétés qu'il n'a pas retenues comme termes de comparaison, est par elle-même dépourvue de toute incidence, aucune disposition et aucun principe n'imposant à l'administration fiscale, au cours des opérations de contrôle ou lors de la procédure de rectification, de transmettre au contribuable l'ensemble des éléments qu'il a consultés et qu'il n'a pas retenus.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

5. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 de ce code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Peut constituer une telle pratique l'insuffisante rémunération perçue par une entreprise établie en France qui expose des charges contribuant au développement de la valeur d'une marque appartenant à sa société mère établie hors de France. Pour établir une telle insuffisance, l'administration peut, ainsi d'ailleurs que le préconisent les Principes de l'OCDE applicables aux prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations publiques, se fonder sur la comparaison d'un ratio financier pertinent de l'une ou l'autre entreprise, tel que le taux de marge nette sur ces transactions, avec celui d'entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de lien de dépendance.

S'agissant de l'existence de liens de dépendance :

6. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015 qui lui a été adressée, que les parts de la société RVP, qui a été créée en 2003, ont été intégralement détenues par la société portugaise Gousson Consultadoria E Marketing, puis, à compter de 2008, par la société de droit luxembourgeois Dorint Holding, puis, à compter de 2012, par la société de droit italien Gousson, ces trois sociétés étant intégralement détenues par la société de droit italien C... A... B... et Co, dont M. C... A... B..., qui en était l'administrateur unique, détenait 70 % des parts.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015 qui a été adressée à la société RVP, que M. C... A... B... était l'actionnaire majoritaire et administrateur unique de la société de droit italien DI. VI. Finanziara, cette société étant l'actionnaire majoritaire de la société de droit italien Tod's, dont M. A... B... détenait par ailleurs directement une partie des parts et dont il présidait le conseil d'administration.

8. Enfin, il résulte de l'instruction que la société RVP commercialise les produits de la marque Roger Vivier, dont la société Gousson est propriétaire, et que ces produits sont intégralement achetés à la société Tod's, dont le directeur administratif et financier, membre de son conseil d'administration, est le gérant de la société requérante. Il n'est pas contesté que la société RVP ne dispose d'aucun choix quant aux produits à distribuer.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que la société RVP était, dès son premier exercice et jusqu'aux exercices vérifiés, sous la dépendance des sociétés Dorint Holding, Gousson et Tod's, qui étaient situées hors de France et contrôlées par M. C... A... B..., ainsi qu'elle l'a d'ailleurs elle-même indiqué dans un document annexé à un mémoire adressé le 3 janvier 2018 à la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de Paris, sans qu'y fassent obstacle les circonstances que la société Tod's soit cotée en bourse, soumise au contrôle d'une commission bancaire et que ses " décisions structurantes " ne puissent pas être prises sans l'accord de ses actionnaires minoritaires.

S'agissant de l'existence de transferts indirects de bénéfices :

10. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, que le service vérificateur a considéré que, si la société RVP assurait une fonction de distribution dans des conditions normales pour le secteur du prêt-à-porter haut de gamme, avec un coefficient de revente de 2,5, elle assurait également une fonction de promotion et de valorisation de la marque Roger Vivier, dont les charges étaient insuffisamment réparties et qui était insuffisamment rémunérée. Il a considéré que correspondaient à des bénéfices indirectement transférés, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, l'insuffisance de refacturation par la société RVP des dépenses de promotion et de valorisation de la marque Roger Vivier qu'elle avait supportées, l'absence de marge sur les services de promotion et de valorisation de cette marque qu'elle avait refacturés, ainsi que la décote de 65 % appliquée sur les produits invendus qu'elle avait retournés à la société Tod's. Il a, en conséquence, appliqué une marge de 5 % sur les refacturations effectuées par la société RVP jusqu'en 2011. Il a également réintégré les provisions pour dépréciation des stocks qui avaient été déduites par la société RVP à raison de la décote, en tenant compte de la correction symétrique des bilans et du principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, et corrélativement réintégré les produits qui auraient dû être refacturés à la société Tod's au titre des invendus retournés. Il a toutefois limité l'application de ces rectifications aux exercices 2006 et suivants, après avoir considéré que la société RVP était en situation de démarrage et de pénétration du marché de 2003 à 2005. Enfin, alors que les résultats ainsi rectifiés des exercices clos de 2006 à 2010 compris de la société RVP demeuraient déficitaires et que ses taux de marge nette des exercices clos de 2006 à 2012 compris, déterminés en tenant compte de ces rectifications, demeuraient très inférieurs au taux de marge nette moyen d'un panel de quarante-trois sociétés retenues comme termes de comparaison, le service a évalué les résultats d'exploitation de pleine concurrence de la société en appliquant à ses chiffres d'affaires déclarés ce taux de marge nette moyen, puis il a rehaussé de la différence les résultats rectifiés des exercices clos de 2006 à 2012. Il n'a en revanche pas rehaussé les résultats rectifiés des exercices clos en 2013 et en 2014, qui étaient supérieurs aux résultats d'exploitation de pleine concurrence évalués par application du taux de marge nette moyen du panel.

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, qu'en application d'un contrat de prestation de services conclu avec la société Gousson et modifié par avenant le 27 décembre 2004 pour déplafonner les refacturations, la société RVP a été chargée du développement produit, de la publicité et de la promotion de la marque et des produits Roger Vivier, et ce, sur l'ensemble des marchés de vente de ces produits. En conséquence, elle a pris en charge, pour des montants importants, des dépenses de promotion et de valorisation, telles que les loyers et charges d'un local situé à une adresse prestigieuse et aménagé en conséquence, les charges d'un personnel hautement qualifié, ainsi que des dépenses de cadeaux, des frais de représentation, de déplacements, de réception ou d'organisation d'événements de promotion, et les honoraires de l'ambassadrice de la marque.

12. Si la société RVP soutient qu'elle a cessé d'assurer des prestations de promotion de la marque à compter de l'année 2008, il résulte de l'instruction qu'elle a continué à procéder à des refacturations à ce titre aux sociétés propriétaires de la marque jusqu'en 2011, la société Tod's, qui détenait la licence d'exploitation, ayant alors été chargée de la promotion de cette marque. La société RVP a d'ailleurs indiqué au vérificateur, en réponse à une demande qu'il lui avait adressée au cours des opérations de contrôle, qu'elle était seule chargée de la stratégie commerciale et de la publicité. Elle a, en particulier, continué à prendre en charge les dépenses de valorisation liées à la boutique située rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris.

13. Toutefois, il est constant que la société RVP n'a refacturé aux sociétés Dorint Holding et Gousson, propriétaires successifs de la marque, qu'une partie de ces dépenses (30 % à 75 %), déterminée par application d'un taux forfaitaire non justifié, et elle n'a appliqué aucune marge au titre des dépenses refacturées. Alors que les résultats de la société RVP des exercices clos de 2006 à 2012 compris ont tous été déficitaires, le déficit reportable au 1er janvier 2012 s'élevant à 11 207 183 euros, ces déficits résultent essentiellement de postes en lien avec l'activité de promotion, tels que les postes " autres achats et charges externes " et " amortissements ".

14. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, que la société RVP a appliqué une décote moyenne de 65 % du prix d'achat initial aux produits invendus des collections sortantes retournés à la société Tod's. Si elle soutient que cette décote était justifiée par l'obsolescence rapide des produits de la marque, elle n'apporte aucun élément de nature à l'établir. En tout état de cause, il est constant qu'elle ne dispose pas du choix des produits à distribuer et de la possibilité d'adapter son offre à son marché, les invendus résultant ainsi, dans une certaine mesure, de l'inadéquation des produits aux attentes de la clientèle de la société RVP.

15. S'il est vrai qu'ainsi qu'elle le fait valoir, la société RVP bénéficiait d'une remise de 4 % sur les prix d'achat facturés par la société Tod's, c'est à bon droit que le service vérificateur a considéré que cette remise, dont le taux est resté inchangé après 2011, était insuffisante, eu égard à la moyenne des taux de marge brute de la société RVP sur la période 2003-2014, qui s'élevait à 28,77 %, en comparaison avec les taux de marge brute de quarante-trois sociétés indépendantes jugées comparables, le premier quartile étant à 38,03 %, le quartile médian à 44,65 % et le troisième quartile à 55,89 %, le taux de marge brute moyen s'élevant à 44,75 %. Si la société RVP fait valoir que le service fait ainsi supporter à la société Tod's le coût d'une insuffisance de rémunération des services de développement de la marque, alors que la société Tod's n'en est pas le propriétaire, il résulte de l'instruction que cette société, qui produit et vend les articles de la marque Roger Vivier et qui s'est par ailleurs vu confier à partir de 2011 la promotion de cette marque au travers d'une licence d'exploitation, est nécessairement intéressée par son développement par la société RVP.

16. La société RVP soutient à cet égard que le panel est constitué de sociétés qui ne sont pas comparables. Toutefois, elle n'a proposé aucun panel alternatif, alors qu'elle a été invitée à le faire à plusieurs reprises par le service, et il résulte de l'instruction que le panel retenu par l'administration comprend quarante-trois sociétés indépendantes, évoluant dans un cadre de pleine concurrence, assurant également des fonctions de distribution dans le secteur de l'habillement haut de gamme et évoluant dans une situation de marché similaire à celle de la société requérante, au regard tant des risques auxquels elles sont exposées que de leur localisation dans des endroits particulièrement réputés. La société RVP n'est pas davantage fondée à critiquer la période retenue par le service pour déterminer les taux de marge brute mentionnés au point 15, cette période de onze années étant suffisamment longue et représentative.

17. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, que la société RVP a systématiquement réalisé des marges nettes négatives au titre des exercices 2004 à 2012. Pour déterminer ses résultats d'exploitation de pleine concurrence, le service a appliqué aux chiffres d'affaires déclarés des exercices clos de 2006 à 2012 le taux de 6,76 %, correspondant au taux de marge nette moyen du panel mentionné au point 16, alors que le premier quartile s'élève à 2,03 %, le quartile médian à 4,12 % et le troisième quartile à 12,46 %. Ce taux de marge nette moyen a été déterminé à partir des marges nettes correspondant aux chiffres d'affaires et aux résultats d'exploitation déclarés par chacune des sociétés du panel au titre des exercices clos de 2005 à 2014 compris.

18. D'une part, contrairement à ce que soutient la société RVP, la méthode transactionnelle de la marge nette appliquée par le service n'a pas consisté à corriger à la baisse les prix des produits vendus par la société Tod's, mais à comparer le ratio de marge nette sur son chiffre d'affaires à raison de ses opérations avec celui de quarante-trois sociétés dépourvues de tout lien de dépendance et exerçant une fonction de distribution dans le même domaine d'activité, le secteur de l'habillement haut de gamme. La société requérante ne peut par suite utilement faire valoir que l'absence d'anormalité relevée par le service quant à ses prix de revente ferait obstacle à ce que soit constatée une insuffisance de rémunération des fonctions de développement de la marque au profit de sa société mère, propriétaire de cette marque, ainsi que le tribunal l'a à juste titre relevé au point 11 de son jugement. En outre, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que cette méthode n'était pas adaptée ou qu'une autre méthode aurait été davantage adaptée à sa situation.

19. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 16, la société RVP n'est pas fondée à soutenir que les quarante-trois sociétés du panel ne pouvaient pas être retenues comme termes de comparaison et à critiquer la période retenue pour procéder à cette comparaison.

20. En outre, la société RVP n'apporte aucun élément de nature à établir que le service aurait dû appliquer le taux de marge nette médian résultant du panel des comparables, et non le taux de marge nette moyen. Au demeurant, ni les Principes de l'OCDE applicables aux prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations publiques, dans leur version de 2022, notamment ceux énoncés au point 3.62 en cas d'application de la méthode transactionnelle de la marge nette, ni les commentaires de l'administration n'impliquent qu'une telle médiane soit appliquée.

21. Enfin, si la société RVP se prévaut de ce qu'en tenant compte de la réintégration à ses résultats des provisions pour dépréciation des stocks qui avaient été déduites à raison de la décote sur les produits invendus retournés et des produits qui auraient dû être refacturés à la société Tod's au titre de ces invendus, son taux de marge nette des exercices clos en 2013 et 2014 s'élève respectivement à 12,32 % et 16,05 % et qu'il est ainsi supérieur au taux de marge nette moyen du panel retenu par le service, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige dès lors qu'il résulte de l'instruction, et en particulier de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, qu'au titre de ces deux exercices, hormis la correction des déficits reportables initialement imputés, le service s'est borné à remettre en cause la déduction des provisions pour dépréciation des stocks comptabilisées à raison de la décote à appliquer aux produits invendus retournés et à réintégrer aux résultats les produits non facturés à la société Tod's correspondant à l'application de cette décote aux invendus effectivement retournés au cours de ces exercices. Au demeurant, dès lors que la société RVP, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, transfère à la société Tod's les pertes liées à la reprise des articles invendus (mévente, mise au rebut), la société requérante n'est pas fondée à déduire, à titre de provision, une perte à raison de la dépréciation des stocks correspondants aux articles retournés à son fournisseur.

22. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration fiscale établit qu'en ne refacturant qu'une partie des coûts de promotion et de valorisation de la marque Roger Vivier, en n'appliquant aucune marge sur les coûts de promotion et de valorisation qu'elle a refacturés et en appliquant une décote moyenne de 65 % du prix d'achat à la facturation des produits invendus retournés à la société Tod's, qui ne lui faisait bénéficier que d'une remise de 4 % sur le prix d'achat de ces produits, la société RVP a, par ces pratiques, indirectement transféré des bénéfices aux sociétés Dorint Holding, Gousson et Tod's, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts. La société RVP, qui n'établit pas, ni même n'allègue que les avantages qu'elle a ainsi consentis à ces sociétés ont été justifiés par l'obtention de contreparties, n'apporte aucun élément de nature à renverser la présomption instituée par ces dispositions.

S'agissant de la correction des déficits reportables :

23. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 décembre 2015, que le service vérificateur a regardé la société RVP comme étant en situation de démarrage et de pénétration du marché de 2003 à 2005, alors même que la marque Roger Vivier était ancienne et avait été prestigieuse avant de tomber en désuétude et d'être acquise par la société Gousson en 2000. Pour ce motif, il n'a pas corrigé les déficits déclarés au titre des exercices clos en 2004 et en 2005, comptabilisés au titre des charges de l'exercice clos en 2012, premier exercice non prescrit. Il a, en revanche, corrigé les déficits reportables déclarés au titre des exercices clos de 2006 à 2011, dernier exercice prescrit.

24. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 190 du même livre, relèvent de la juridiction contentieuse : " les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire (...) ". En vertu du I de l'article 209 du code général des impôts, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants.

25. En premier lieu, lorsque l'administration procède au contrôle fiscal d'une entreprise au titre d'un exercice, elle est fondée à exercer son pouvoir de contrôle et de rectification sur l'existence et le montant du déficit reportable, issu d'exercices antérieurs, même prescrits, dont cette entreprise déclare disposer à la clôture de l'exercice vérifié, alors même que ce déficit, qui n'a pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, est seulement susceptible d'affecter le résultat d'exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire. Le contribuable peut, dans une telle hypothèse, contester par voie de réclamation contentieuse, en application du deuxième alinéa précité de l'article L. 190 des procédures fiscales, la réduction par l'administration du montant de son déficit reportable.

26. Il résulte de ce qui précède que la société RVP n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que le service vérificateur ne pouvait pas remettre en cause les déficits qu'elle avait déclarés au titre d'exercices prescrits et dont elle avait déclaré disposer à la clôture des exercices vérifiés, en tant qu'ils n'avaient pas encore été imputés.

27. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 23, il est constant que la marque Roger Vivier était ancienne et prestigieuse avant de tomber en désuétude et d'être acquise par la société Gousson en 2000, la société RVP, créée en 2003, ayant réalisé un chiffre d'affaires net s'élevant à 1 868 829 euros en 2004 et à 2 474 518 euros en 2005. La société RVP, qui se borne à faire valoir qu'elle n'a réalisé aucune vente et aucune prestation de services au cours de son premier exercice et qu'elle n'a ouvert sa boutique que le 8 mars 2004, n'apporte, en tout état de cause, aucun élément de nature à établir qu'ainsi qu'elle le soutient, elle doit être regardée comme ayant été en période de démarrage de son activité jusqu'en 2006 et, par suite, que le service ne pouvait pas corriger le déficit déclaré au titre de cet exercice. Au demeurant, à supposer que des charges de développement de la marque plus importantes aient été exposées au titre de cette période, la société RVP ne justifie pas de contreparties à l'absence de refacturation de ces charges à la société mère propriétaire de la marque dans des conditions de pleine concurrence.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

28. La société RVP n'est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ni des énonciations des paragraphes nos 260, 280 et 290 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-BASE-80-10-10, ni des énonciations du paragraphe n° 120 des commentaires publiés à ce bulletin sous la référence BOI-BIC-DEF-20-10, ni des énonciations du paragraphe n° 260 des commentaires publiés au même bulletin sous la référence BOI-IS-DEF-10-20, qui ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application par le présent arrêt.

Sur le bien-fondé des pénalités pour manquement délibéré :

29. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, (...) la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ".

30. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et suivants que la société RVP a omis de déclarer au titre des exercices vérifiés les sommes correspondant aux bénéfices qu'elle avait indirectement transférés, au sens de l'article 57 du code général des impôts. D'autre part, l'administration fiscale, qui se prévaut de la nature, de l'importance et de la répétition de ces insuffisances déclaratives, ainsi que des circonstances que la société RVP, qui ne pouvait pas ignorer les liens de dépendance l'unissant aux sociétés Dorint Holding, Gousson et Tod's, n'avait établi aucune documentation des prix de transfert et s'est abstenue de réaliser des ajustements permettant de corriger des résultats structurellement dégradés, doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, conformément à l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, de l'intention délibérée de cette société de se soustraire à l'impôt dû. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant le bien-fondé des pénalités de 40 % pour manquement délibéré qui ont été infligées à la société RVP sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts.

31. Il résulte de tout ce qui précède que la société RVP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des impositions et majorations demeurant à sa charge au titre des exercices clos de 2012 à 2014. Ses conclusions à fins de décharge et d'annulation doivent, dès lors, être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles qu'elle a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Roger Vivier Paris est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Roger Vivier Paris et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 13 décembre 2024.

Le rapporteur,

O. LEMAIRE

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 23PA01130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01130
Date de la décision : 13/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Olivier LEMAIRE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CABINET ALTANA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-13;23pa01130 ?
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