Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 21 janvier 2021 par laquelle la présidente de l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie a rejeté sa demande tendant à faire cesser la situation de mise à l'écart professionnelle qu'elle subit et à l'indemnisation de ses préjudices consécutifs à cette situation et, d'autre part, à indemniser ses préjudices à hauteur de 70 000 euros.
Par un jugement n° 2105978/5-2 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de Mme A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 mai 2023, et des mémoires enregistrés les 26 juin 2023 et 20 février 2024 Mme A..., représentée par Me Crusoé, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mars 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 21 janvier 2021 et de condamner l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing (EPMO) à lui verser une somme de 70 000 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'EPMO la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- la minute du jugement n'est pas signée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- les premiers juges ont méconnu leur office en considérant que la décision du 21 janvier 2021 n'avait eu pour effet que de lier le contentieux.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- la décision du 21 janvier 2021 est insuffisamment motivée en ce qui concerne le refus d'octroi de la protection fonctionnelle ;
- elle est victime d'une situation de harcèlement moral ;
- son préjudice moral, financier et de carrière s'élève à 70 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing, représenté par Me Abbal, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la requérante à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- les observations de Me Crusoé, représentant Mme A... ;
- et les observations de Me Verger-Giamelluco, substituant Me Abbal, représentant l'EPMO.
Une note en délibéré a été produite pour Mme A... le 10 décembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., titulaire du corps des secrétaires de documentation, exerce les fonctions de régisseur d'œuvres d'art au sein de l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valery Giscard d'Estaing (EPMO) depuis le 1er février 2013. Estimant être victime de harcèlement moral, elle a demandé à la présidente de cet établissement, par un courrier du 16 novembre 2020, de faire cesser cette situation et de lui verser une indemnité de 35 000 euros en réparation de ses préjudices. Par une décision du 21 janvier 2021, la présidente de l'EPMO a rejeté sa demande. Mme A... relève appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de l'établissement public à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation du préjudice consécutif à la situation de harcèlement moral dont elle s'estime victime.
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il ressort du dossier d'appel que la minute du jugement attaqué a été signée par la présidente, le rapporteur et la greffière d'audience. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ne peut donc qu'être écarté.
3. En second lieu, contrairement à ce que soutient Mme A..., sa demande indemnitaire préalable du 16 novembre 2020 se bornait à demander à la présidente de l'EPMO de faire cesser la situation de harcèlement qu'elle subissait et à demander l'indemnisation de ses préjudices, sans qu'aucune demande de protection fonctionnelle ne soit formulée. La décision du 21 janvier 2021 rejetant cette demande indemnitaire préalable a ainsi eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de la requérante qui, en formulant les conclusions analysées ci-dessus, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée cette décision qui a ainsi lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, le tribunal n'a pas méconnu son office en jugeant qu'il y avait lieu de rejeter les conclusions à fin d'annulation de Mme A....
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, en l'absence de demande de protection fonctionnelle explicitement formulée par Mme A..., la requérante ne peut utilement soutenir que la décision du 21 janvier 2021 ne comporterait pas les motifs de rejet d'une telle demande. Le moyen doit ainsi être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. / (...) ". Aux termes de l'article 6 quinquies de cette loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; (...) / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".
6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
7. Mme A... se prévaut d'une situation de harcèlement moral subie depuis l'année 2017. Elle soutient qu'elle est mise à l'écart professionnellement, dès lors que son bureau est éloigné de ceux de ses collègues, qu'elle est privée de missions relevant de sa fiche de poste, qu'elle n'est pas conviée à certaines réunions ni destinataire de certains messages, qu'elle a été privée de son ordinateur portable et placée en autorisation spéciale d'absence pendant le confinement du printemps 2020, qu'elle a alerté ses supérieurs hiérarchiques à de nombreuses reprises et que son état de santé est très dégradé du fait de ses conditions de travail.
8. Mme A... soutient que son bureau est éloigné du service de la régie des œuvres, et qu'elle subit, de ce fait, un isolement géographique. Il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, que Mme A... ne relève pas de ce service, mais est rattachée directement à la direction de la conservation et des collections, et que son bureau est à proximité de celui de l'adjoint de la directrice, qui est son supérieur hiérarchique direct. D'autre part, Mme A... n'établit ni même n'allègue avoir sollicité en vain un rapprochement physique de la régie à la faveur d'une vacance de bureau.
9. La requérante fait également valoir qu'elle est évincée de certaines réunions et n'est pas destinataire de certains messages tenant à l'activité de la régie des œuvres. Il résulte cependant de l'instruction, et en particulier du planning des réunions hebdomadaires consacrées aux mouvements des œuvres produit par l'EPMO, que Mme A... y est systématiquement associée. Par ailleurs, Mme A..., qui n'apporte aucune précision sur les périmètres respectifs des différents régisseurs d'œuvres, n'indique pas quelles sont les réunions ou les échanges électroniques dont elle aurait été injustement évincée, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que chaque réunion et chaque échange du service de la régie des œuvres associerait nécessairement l'ensemble des équipes.
10. Mme A... fait ensuite état de sa situation pendant le confinement du printemps 2020, au cours duquel, à la suite de la fermeture du musée, elle a été placée en autorisation spéciale d'absence et a vu son ordinateur portable confié à un autre agent. Il résulte toutefois de l'instruction que cette situation résultait de la nécessité pour l'établissement, face à une pénurie de matériel informatique, de continuer à assurer ses missions essentielles, telles que le service de paie et la sécurité des œuvres. A supposer même que d'autres régisseurs se soient vu confier des missions pendant cette période, les circonstances évoquées par la requérante ne sont ainsi pas étrangères à l'intérêt du service.
11. Mme A... se prévaut en outre de ce qu'elle est privée de certaines des attributions qui figurent sur sa fiche de poste. Elle établit à cet égard avoir émis le souhait, à partir de 2017, d'être chargée de davantage de convoiements et d'accrochages et de se voir confier la gestion de prêts. Toutefois, en l'absence de précisions fournies par l'intéressée sur la répartition de la charge de travail au sein des équipes de la régie et sur sa propre activité, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle serait écartée de missions lui revenant naturellement, eu égard à son positionnement en dehors de la régie des œuvres.
12. Enfin, il résulte de l'instruction qu'en réponse aux alertes de la médecine du travail et aux demandes de Mme A..., dont la situation de souffrance au travail n'est pas contestée, le service des ressources humaines et la direction de la conservation et des collections ont procédé à une reconfiguration de la fiche de poste de l'intéressée en juillet 2020, en l'associant à cette démarche. Les nombreux échanges de courriers électroniques versés au dossier, ainsi que les comptes-rendus d'entretien professionnel de Mme A..., témoignent par ailleurs de ce que les problèmes qu'elle signale ont fait, pour une grande partie, l'objet de réponses et de recherches de solutions.
13. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que les faits énoncés par la requérante, pris ensemble ou séparément, ne peuvent être regardés comme soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre et d'ouvrir droit à indemnisation.
14. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EPMO, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée à ce titre par l'EPMO.
DECIDE:
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au président de l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2024.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDALLa greffière,
C. ABDI-OUAMRANE
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02391 2