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10/12/2024 | FRANCE | N°23PA02280

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 10 décembre 2024, 23PA02280


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'EURL De Boyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 17 novembre 2020 par laquelle le directeur de l'Office française de l'immigration et de l'intégration (OFII) lui a appliqué la contribution spéciale, alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 36 500 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, alors prévue à l'article L. 626-1 du cod

e de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 5 106 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL De Boyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 17 novembre 2020 par laquelle le directeur de l'Office française de l'immigration et de l'intégration (OFII) lui a appliqué la contribution spéciale, alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 36 500 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, alors prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 5 106 euros pour l'emploi de deux travailleurs étrangers en situation irrégulière, ainsi que la décision du 1er février 2021 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2103089 du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2023, l'EURL De Boyer, représentée par Me Chartier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 17 novembre 2020 du directeur général de l'OFII, ainsi que la décision du 1er février 2021 rejetant son recours gracieux ;

3°) de la décharger des sommes mises à sa charge ;

4°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale à un montant proportionné à la gravité de l'infraction et à sa situation, qui ne peut être supérieur à 1 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en ne se prononçant pas sur l'ensemble des éléments à prendre en considération pour qualifier une relation de travail avec un lien de subordination entre l'employeur et ses salariés, les premiers juges ont insuffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de l'absence de relation de travail entre la société et les deux travailleurs étrangers ;

- ils ont omis de répondre au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation relative à la mise en œuvre des contributions forfaitaire et spéciale ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée en fait dès lors qu'elle se réfère à un procès-verbal du 6 janvier 2020 qui ne lui a pas été communiqué et que, dans ces conditions, les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde ne sont pas établies, ou tout le moins sont erronées ;

- les décisions contestées sont entachées d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation dès lors qu'il n'existe pas, entre elle et les passagers du véhicule contrôlés le 6 janvier 2020, de relation de travail répondant aux critères posés par la chambre sociale de la Cour de cassation, le lien de subordination entre l'employeur et les salariés faisant défaut ;

- elles sont entachées d'erreur de fait dès lors que le procès-verbal d'investigation du 6 janvier 2020 ne fait état que d'un seul salarié, alors que le directeur général de l'OFII a appliqué les contributions spéciale et forfaitaire en se fondant sur l'emploi de deux travailleurs étrangers ;

- le directeur général de l'OFII a méconnu l'étendue de sa compétence en ne portant aucune appréciation sur la nature et la gravité des agissements reprochés et sur sa situation et s'est ainsi estimé à tort être en situation de compétence liée ;

- l'administration a commis une erreur de fait sur le nombre de salariés concernés ;

- en mettant à sa charge les contributions spéciale et forfaitaire, l'OFII a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que son gérant a eu recours à des tiers de manière exceptionnelle en raison de son état de santé ; postérieurement aux décisions de l'OFII, il a été victime d'une agression et, du fait de son état de santé, il a été contraint de réduire son activité professionnelle ;

- l'infraction d'aide à l'entrée et au séjour ne pouvait être regardée comme étant constituée dès lors qu'elle était dans l'ignorance de la situation administrative des travailleurs étrangers ; les décisions sont ainsi entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le montant total des contributions spéciale et forfaitaire dépasse le plafond fixé par les dispositions de l'article L. 8256-2 du code du travail ;

- le montant des contributions devra être ramené à un montant proportionné au regard de la gravité de l'infraction et de sa situation, dans la limite du plafond fixé en cas de non cumul d'infraction, soit 15 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 mars 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société De Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 janvier 2020, les services de gendarmerie ont procédé au contrôle routier d'un fourgon appartenant à l'EURL De Boyer, conduit par son gérant et dans lequel se trouvaient deux ressortissants ivoiriens dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée et séjourner en France. Un procès-verbal d'infraction a été dressé le 6 janvier 2020 et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 17 novembre 2020, le directeur général de l'OFII a appliqué à la société De Boyer, à raison de l'emploi de ces ressortissants étrangers, la contribution spéciale alors mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 36 500 euros et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine alors prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 5 106 euros. Par une décision du 1er février 2021 le directeur général de l'OFII a rejeté le recours gracieux formé par l'EURL De Boyer le 12 janvier 2021 contre cette décision. Par un jugement du 10 mars 2023, dont l'EURL De Boyer relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du directeur général de l'OFII et à la réduction du montant de la contribution spéciale.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " les jugements sont motivés ".

3. Il ressort du point 6 du jugement que pour estimer que la relation de travail entre les deux travailleurs étrangers et la société De Boyer était établie, les premiers juges ont relevé que lors du contrôle du 6 janvier 2020, le gérant de la société, conducteur du véhicule contrôlé, avait admis qu'il se rendait sur un chantier et qu'il était convenu que les deux passagers du véhicule, de nationalité ivoirienne, travaillent pour son compte, que l'un des passagers avait confirmé qu'il venait d'être embauché pour travailler sur un chantier et que le gérant avait reconnu, lors de son audition par les services de gendarmerie, avoir embauché, le matin des faits, les deux hommes pour qu'ils l'aident à déplacer des sacs de gravats sur un chantier contre une rémunération de 50 euros. Les premiers juges ont ainsi suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de l'absence de lien de subordination caractérisant une relation de travail entre l'EURL De Boyer et les travailleurs étrangers, quand bien même ils n'ont pas fait mention dans leur jugement du pouvoir de sanction de l'employeur, lequel est inhérent au lien de subordination. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.

4. En second lieu, le contrôle exercé par le juge sur le bien-fondé et le montant des contributions spéciale et forfaitaire décidées par l'OFII étant un contrôle normal, les premiers juges ont, à juste titre, requalifié le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation soulevé par la société De Boyer en un moyen tiré de ce que les décisions de l'OFII seraient entachées d'erreur d'appréciation, moyen qu'ils ont écarté au point 8 du jugement. En outre, ils ont répondu au moyen tiré du caractère disproportionné du montant de la sanction au point 9 du jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient omis de répondre au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

Sur les moyens tirés des vices propres de la décision du 17 novembre 2020 :

5. La société De Boyer soutient que la décision contestée est insuffisamment motivée dès lors qu'elle est fondée sur un procès-verbal du 6 janvier 2020 qui ne lui a pas été communiqué et que, dans ces conditions, les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde ne sont pas établies, ou, à tout le moins, sont erronées.

6. D'une part, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 6 octobre 2020, le directeur général de l'OFII a informé la société De Boyer que, lors d'un contrôle routier effectué le 6 janvier 2020 par les services de gendarmerie, il a été établi par procès-verbal qu'elle a employé deux travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée et de titre de séjour, que, dans ces conditions, elle était susceptible, indépendamment des poursuites pénales susceptibles d'être engagées, de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaire des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. Par un courrier du 20 octobre 2020, la société a fait valoir ses observations et s'est notamment prévalue de ce que le procès-verbal d'infraction ne retenait que la seule infraction d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salariée et qu'en l'absence de cumul d'infractions, le montant maximum de la contribution spéciale devait être égal à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail. Il ressort ainsi des termes de ce courrier que, contrairement à ce qu'elle soutient, la société De Boyer a eu communication du procès-verbal d'infraction portant sur les faits commis le 6 octobre 2020, préalablement à la décision du 17 novembre 2020 mettant à sa charge les contributions spéciale et forfaitaire. Dans ces conditions, si la société requérante entendait soutenir que cette décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour l'OFII de lui avoir communiqué le procès-verbal d'infraction, ce moyen doit être écarté.

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Et aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision qui met à la charge d'un employeur la contribution spéciale et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent cette sanction.

8. La décision en litige mentionne que la contribution spéciale et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine sont mises à la charge de la société De Boyer en raison de l'emploi irrégulier de deux travailleurs étrangers à la suite des constatations consignées par les services de gendarmerie dans le procès-verbal établi après le contrôle du 6 janvier 2020. Elle précise que le montant de la contribution spéciale a été calculé à partir de l'application de 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail et que, compte du nombre de travailleurs concernés, il s'élève à 36 500 euros. Elle indique que le montant de la contribution forfaitaire s'élève, compte tenu des barèmes fixés par les arrêtés du 5 décembre 2006 et de deux travailleurs étrangers, à 5 106 euros. Ainsi, la décision en litige comporte les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde. Dans ces conditions, et alors que la société requérante ne peut utilement contester le bien-fondé des motifs retenus par l'OFII à l'appui du moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 17 novembre 2020, ce moyen doit être écarté.

Sur le bien-fondé des contributions mises à la charge de la société De Boyer :

9. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce même code, dans sa rédaction applicable au litige : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. (...) ".

10. Pour prononcer une sanction sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, l'administration doit apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé. De la même façon, le juge peut, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par l'article R. 8253-2 du code du travail, ou en décharger l'employeur.

11. Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l' article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. (...) ".

12. En premier lieu, le procès-verbal d'investigation établi par les services de la gendarmerie de Chelles dans le cadre de l'enquête de flagrance le 7 janvier 2020, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, mentionne que lors d'un contrôle routier à Dammartin-en-Goële le 6 janvier 2020, les gendarmes ont constaté la présence de deux hommes de nationalité ivoirienne, passagers d'un fourgon de la société De Boyer conduit par son gérant et qu'ils étaient tous deux sans documents d'identité et en situation irrégulière sur le territoire français. En outre, les déclarations du gérant de la société De Boyer lors de son audition le 14 janvier 2020 ont corroboré les constatations des gendarmes sur la présence de deux personnes dans le fourgon. La circonstance que les gendarmes ne pouvaient prendre en charge dans leur véhicule qu'une seule personne, qu'ils ont ainsi placée en retenue administrative M. C... et ont laissé libre M. B... A... et que, par suite, le procès-verbal établi lors de la retenue administrative de M. C... ne concerne qu'un seul travailleur dépourvu de documents d'identité, n'est pas de nature à remettre en cause les constatations de la présence de ces deux personnes dans le fourgon de la société requérante. Si elle entend soutenir que la situation irrégulière de M. B... A... n'est pas établie dès lors que seule la situation de M. C... a fait l'objet d'investigations pour vérification du droit au séjour lors de sa retenue administrative, il ressort des mentions du procès-verbal d'investigation établi le 7 janvier 2020 par les services de la gendarmerie de Chelles, dans le cadre de l'enquête de flagrance, que M. D... n'avait pas de documents d'identité et que les vérifications effectuées sur place, lors du contrôle, auprès du service des étrangers de la préfecture de Seine-et-Marne ont mis en évidence qu'il était dépourvu de titre de séjour. Il s'ensuit qu'en retenant le nombre de deux travailleurs étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, l'OFII n'a pas entaché ses décisions d'erreur de fait.

13. En deuxième lieu, il ressort des mentions du procès-verbal d'investigation établi le 7 janvier 2020 que le 6 janvier 2020 à 9 heures 10, MM. A..., deux ressortissants ivoiriens dépourvus de titre de séjour et d'autorisation de travail étaient passagers du véhicule utilitaire appartenant à la société De Boyer et que, à l'occasion du contrôle auquel ils ont été soumis, le gérant, conducteur du véhicule, a déclaré qu'ils se rendaient sur un chantier où il était convenu que les deux passagers travaillent pour son compte. Il ressort du procès-verbal d'audition de M. C... du 6 janvier 2020 qu'il a rencontré pour la première fois le gérant de la société requérante le matin même, qu'il lui a demandé s'il avait du travail à lui proposer, que le gérant lui a alors proposé de venir travailler pour son compte, qu'il se rendait sur un chantier et qu'il ne disposait pas de contrat de travail et ne connaissait pas le montant de sa rémunération. Ces déclarations sont corroborées par le gérant de la société De Boyer qui a reconnu, lors de son audition par les services de gendarmerie, avoir embauché le matin des faits les deux hommes pour qu'ils l'aident à déplacer des sacs de gravats sur un chantier pendant une demi-journée contre une rémunération de 50 euros. Ces faits sont de nature à établir un lien de subordination entre, d'une part, le gérant de la société De Boyer, qui a décidé du recrutement des travailleurs étrangers, des tâches à effectuer, du lieu de travail, de la rémunération, de la durée pendant laquelle ils travailleraient et, d'autre part, MM. A... ainsi que l'existence d'une relation contractuelle de travail, laquelle impliquait nécessairement pour le gérant, le cas échéant, un pouvoir de sanction sur les travailleurs étrangers en cas de manquements. Dans ces conditions, les relations de travail entre la société De Boyer et MM. A... sont établies.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France (...) ". Selon l'article L. 5221-9 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'embauche d'un salarié étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut intervenir qu'après déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès de l'autorité administrative. ". Selon l'article R. 5221-42 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La demande de l'employeur est adressée au préfet au moins deux jours ouvrables avant la date d'effet de l'embauche. / Le préfet notifie sa réponse à l'employeur par courrier, télécopie ou courrier électronique dans un délai de deux jours ouvrables à compter de la réception de la demande. A défaut de réponse dans ce délai, l'obligation de l'employeur de s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail est réputée accomplie. ".

15. Il résulte des dispositions, citées aux points 9 et 11, de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces articles, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et que, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.

16. Il ressort du procès-verbal d'investigation établi par les services de la gendarmerie de Chelles le 7 janvier 2020, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, que MM. A..., ressortissants ivoiriens, étaient, ainsi qu'il a déjà été dit, dépourvus de titre de séjour. Il ressort des déclarations du gérant de la société De Boyer, lors de son audition par les services de gendarmerie le 14 janvier 2020, qu'il n'a pas demandé aux travailleurs étrangers de lui présenter des documents d'identité lors de leur embauche, que ces travailleurs étaient dépourvus d'autorisation de travail et n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche auprès des services de l'URSSAF. Ces déclarations sont corroborées par les déclarations de M. C... lors de sa retenue administrative. Si la société requérante soutient qu'elle était dans l'ignorance de la situation administrative de MM. A..., il lui appartenait, en application des dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail citées au point 14, de vérifier auprès des services de la préfecture de Seine-et-Marne s'ils disposaient de titres de séjour et de titres les autorisant à exercer une activité salariée en France. Dans ces conditions, elle ne peut utilement se prévaloir de sa prétendue bonne foi. La circonstance, à la supposer établie, que son gérant n'aurait eu recours à des travailleurs étrangers dépourvus de titre de séjour et d'autorisation de travail que de manière exceptionnelle en raison de son état de santé ne peut dispenser, à titre exceptionnel, la société requérante des contributions en litige. En outre, si la société requérante invoque une diminution de l'activité professionnelle de son gérant à la suite d'une agression le 1er janvier 2023 et verse au dossier un compte-rendu d'hospitalisation du 1er au 20 janvier 2023, la diminution de son activité et ses éventuelles difficultés financières ne sont pas établies par les pièces versées aux débats. Dans ces conditions, le directeur général de l'OFII a pu légalement mettre à sa charge les contributions spéciale et forfaitaire.

17. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que le directeur général de l'OFII a porté une appréciation sur la nature et la gravité des faits reprochés à la société requérante et a procédé à un examen particulier de sa situation avant de mettre en charge les contributions en litige.

18. En cinquième lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'elle n'a pas commis le délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier prévu par l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les décisions du directeur de l'OFII ne sont pas fondées sur ce motif.

Sur le montant des contributions :

19. En premier lieu, aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I.-Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.-Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants :/ 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.-Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / IV.-Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu'une méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1 a donné lieu à l'application de la contribution spéciale à l'encontre de l'employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l'infraction ".

20. Le juge peut, ainsi qu'il a déjà été dit au point 10, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par l'article R. 8253-2 du code du travail, ou en décharger l'employeur.

21. Il ressort de la décision du 17 novembre 2020 que, pour fixer le montant de la contribution spéciale, l'OFII a retenu que la société requérante avait engagé deux travailleurs étrangers dépourvus d'autorisation de travail et a fixé le montant de la contribution à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail, soit un montant de 36 500 euros. Il résulte de l'instruction que l'OFII ne s'est pas estimé en situation de compétence liée et a procédé à un examen particulier de la situation de la société avant de fixer ce montant. Pour contester la proportionnalité des contributions mises à sa charge, la société requérante ne peut se prévaloir, ainsi qu'il a été dit au point 16, dès lors qu'elle ne s'est pas acquittée de ses obligations de vérification de l'existence du titre de travail des étrangers employés découlant de l'article L. 5221-8 du code du travail, de sa prétendue bonne foi, ni de la diminution de son activité et d'éventuelles difficultés financières qui ne sont pas établies par les pièces versées aux débats.

22. En second lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " (...) Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l'article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. / (...) ". Aux termes de l'article L. 8256-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros. (...)L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés ". Aux termes de l'article L. 8256-7 du même code : " Les personnes morales reconnues pénalement responsables, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, des infractions prévues au présent chapitre, à l'exception de l'article L. 8256-1, encourent : / 1° L'amende, dans les conditions prévues à l'article 131-38 du code pénal ; / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 131-38 du code pénal : " Le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction. / (...) ".

23. S'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le montant cumulé des contributions spéciale et forfaitaire représentatives des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mises à la charge d'une personne physique pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler ne peut excéder le montant maximal de 15 000 euros prévu à l'article L. 8256-2 du code du travail, il en résulte également que le montant cumulé de ces contributions mises à la charge d'une personne morale pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler ne peut excéder le montant maximal mentionné à l'article 131-38 du code pénal, soit la somme de 75 000 euros. Il ressort de la décision du 17 novembre 2020 que le montant global de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire mises à la charge de la société De Boyer s'élève à 41 606 euros. Par suite, le moyen tiré de ce que le montant total des sanctions pécuniaires, lequel s'inscrit dans la limite du plafond de l'amende prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'article 34 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, qui a remplacé ces contributions, ne pourrait excéder le seuil de 15 000 euros doit ainsi être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que la société De Boyer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'OFII, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à la société De Boyer la somme qu'elle demande au titre des frais exposés dans l'instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société De Boyer, par application de ces mêmes dispositions, le versement à l'OFII la somme de 2 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'EURL De Boyer est rejetée.

Article 2 : L'EURL De Boyer versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL De Boyer et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02280


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02280
Date de la décision : 10/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CHARTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-10;23pa02280 ?
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