Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/22-0246 du 8 novembre 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la décharger du paiement de cette amende.
Par un jugement n° 2300390 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2023, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été en mesure de consulter le passeport original, ce qui constitue une formalité substantielle ;
- la seule irrégularité tenant à la perforation ne saurait être qualifiée de manifeste et d'aisément décelable par un examen normalement attentif d'un agent d'embarquement, dès lors notamment qu'il a fallu recourir à un grossissement afin de la constater.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Air France ne sont pas fondés, en se référant à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 26 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du
9 mars 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/22-0246 du 8 novembre 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement des dispositions des articles L. 821-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 22 avril 2022, débarqué sur le territoire français un passager en provenance de
Djibouti, de nationalité indéterminée, titulaire d'un passeport britannique manifestement contrefait. La société Air France relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le
tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. La décision du 8 novembre 2022 infligeant l'amende litigieuse à la société
Air France mentionne que figure au dossier " une planche en couleur établie par l'officier de police judiciaire qui décrit précisément les anomalies manifestes suivantes : les perforations sur le passeport contrefait sont faites " à l'aiguille ", alors que sur un passeport original les perforations sont plus rondes et identiques ; qu'un agent d'embarquement, rompu au contrôle des documents de voyage pouvait, dans le cas présent, détecter les signes visibles à l'œil nu d'une contrefaçon de la page d'identité du passeport ".
6. Il résulte de l'instruction, notamment de la copie du passeport et de la planche produite par le ministre de l'intérieur, que l'irrégularité liée à ce que les perforations du passeport ont été faites " à l'aiguille ", caractérisée par des trous trop petits et irréguliers par rapport à la perforation authentique, présentait un caractère manifeste et était aisément décelable à l'œil nu par le personnel d'embarquement. Par suite, l'absence au dossier de la procédure contradictoire préalable à la sanction de l'original du titre de séjour qui s'est révélé contrefait n'a pas privé la société Air France de la possibilité de faire valoir utilement ses observations dès lors que les anomalies relevées étaient aisément décelables même sur la copie du document et que cette copie n'en a pas accentué le caractère manifeste. Par suite, le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la société Air France une amende sur ce fondement.
7. Enfin, en raison du caractère aisément décelable de l'irrégularité retenue au
point 6, il n'y a pas lieu de procéder à la réduction du montant de l'amende.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA03924 2