Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de
deux ans.
Par un jugement n° 2204591 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Lapeyrere, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 7 novembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ou subsidiairement de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté ne lui a pas été valablement notifié et elle n'en a eu connaissance qu'après en avoir demandé la copie à la sous-préfecture de Raincy ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 août 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les observations de Me Lapeyrere, représentant Mme A..., et de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 3 janvier 1990, est entrée en France le
8 janvier 2010 selon ses déclarations. A la suite du rejet de sa demande d'asile, elle a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 4 décembre 2013, puis, à la suite du rejet de sa demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, elle a été destinataire d'une nouvelle obligation de quitter le territoire français le 15 décembre 2015. Elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour le 26 février 2019. Par un arrêté du 7 novembre 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté du 7 novembre 2019 a été notifié à l'adresse mentionnée par Mme A... dans sa demande de titre de séjour, au " 3 allée de la Forestière " à Clichy-sous-Bois, et est revenu à la préfecture le 13 novembre 2019 avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ". Il ressort toutefois des pièces produites par
Mme A..., notamment l'acte de naissance de son enfant du 12 octobre 2016, les attestations de vie commune avec M. B... des 25 janvier 2018 et 11 février 2019, le dossier solidarité transport qui lui a été adressé le 1er septembre 2020, le certificat de scolarité de son enfant du
18 octobre 2021, et son avis d'imposition de 2021, qu'elle est domiciliée à cette adresse, à laquelle elle s'est également fait adresser la copie de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, l'arrêté du 7 novembre 2019 ne peut être regardé comme ayant été régulièrement notifié à
Mme A....
4. D'autre part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que Mme A... ne peut être regardée comme ayant eu connaissance de l'arrêté en litige le 13 novembre 2019. Par ailleurs, si elle a demandé à la sous-préfecture de Raincy, par un courrier du 14 janvier 2022, la copie du refus de séjour dont elle a " fait l'objet vraisemblablement en novembre 2019 ", elle fait valoir sans être contredite avoir été informée de l'existence de cette décision en 2021, alors qu'elle sollicitait un nouveau titre de séjour. En l'absence de précision sur la date exacte à laquelle elle a été informée de l'existence de cette décision, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette information lui aurait été apportée plus d'un an avant l'introduction de sa demande devant le tribunal, le 24 mars 2022. Dès lors, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande comme tardive. Par suite, ce jugement doit être annulé.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par
Mme A... devant le tribunal.
Sur le bien-fondé de la demande :
7. En premier lieu, par un arrêté du 23 avril 2019 régulièrement publié, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné à M. D... C..., sous-préfet du Raincy, délégation de signature pour signer, notamment, les décisions contestées, lorsqu'elles concernent des ressortissants étrangers résidant dans l'arrondissement du Raincy. Dès lors que la commune de
Clichy-sous-Bois, où a indiqué résider la requérante, est située dans l'arrondissement du Raincy, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du même code : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'a jamais été admise au séjour et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français malgré les deux obligations de quitter le territoire français dont elle a fait l'objet. Elle ne justifie par ailleurs d'aucun élément d'insertion en France en dépit de la durée de son séjour. Si elle se prévaut d'être pacsée depuis le
12 mars 2019 avec le père de son enfant, titulaire d'un titre de séjour de dix ans, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est guinéen et la requérante ne fait état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à la reconstitution de la cellule familiale dans son pays d'origine. Enfin, la vie familiale en France de Mme A... est très peu étayée et circonstanciée. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que Mme A... ne justifiait ni de considérations humanitaires, ni de circonstances exceptionnelles au sens des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Pour les motifs exposés au point 9, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de Mme A... doit être écarté.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enfant de Mme A..., qui est scolarisé en France, ne pourrait être scolarisé dans le pays d'origine de ses parents ni, pour les motifs exposés au point 9, que la cellule familiale ne pourrait se reconstituer dans ce pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 novembre 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis, de même que ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2204591 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La demande de Mme A... devant le tribunal et sa requête devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA03267