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05/12/2024 | FRANCE | N°24PA01322

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 05 décembre 2024, 24PA01322


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2326771/5-3 du 19 février 2024, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024, M. B..., représenté par Me Boudjellal, demande à la Cour :



1°) d'ann...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2326771/5-3 du 19 février 2024, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024, M. B..., représenté par Me Boudjellal, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 20 novembre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- il a été pris à la suite d'une procédure irrégulière ;

- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,

- et les observations de Me Boudjellal, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 20 novembre 2023, le préfet de police a prononcé à l'encontre de M. B..., ressortissant algérien né en 1979, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. M. B... fait appel du jugement du 19 février 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français / (...) ".

3. Il ressort des termes mêmes des dispositions citées au point précédent que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

4. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

5. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a prononcé à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois au motif que, d'une part, l'intéressé s'est maintenu en France au-delà du délai de départ volontaire de trente jours fixé par le même préfet par un arrêté du 2 octobre 2023 et que, d'autre part, il représente une menace pour l'ordre public en raison de son comportement signalé par les services de police le 18 novembre 2023 pour des faits de violence aggravée par deux circonstances et de vol aggravé par deux circonstances, qu'il allègue être entré sur le territoire français en 2019, qu'il ne peut se prévaloir de liens suffisamment anciens, forts et caractérisés avec la France, l'intéressé se déclarant en concubinage avec un enfant à charge, et qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement édictée par le préfet de police le 2 octobre 2023.

6. Le préfet de police, qui a visé les dispositions applicables à la situation de M. B... et exposé de façon précise les circonstances de fait qu'il a retenues pour prononcer sa décision d'interdiction de retour, a suffisamment motivé cette décision au regard des exigences posées par les dispositions citées au point 2 du présent arrêt. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.

7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui est jugé sur sa motivation, comme des pièces du dossier, que le préfet de police n'a pas entaché l'arrêté attaqué d'un défaut d'examen de la situation de M. B.... Si le requérant indique en particulier que le préfet de police n'a pas fait mention de son état de santé dans l'arrêté attaqué, alors qu'il a déclaré, lors de son audition par les services de police le 19 novembre 2023, qu'il est atteint d'une hépatite C et qu'il " n'arrivait pas à faire des soins en Algérie ", cette circonstance ne traduit pas par elle-même que le préfet de police n'aurait pas examiné sa situation. Par suite, ce moyen doit être écarté.

8. En troisième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles L. 114-1 et L. 234-1 du code de la sécurité intérieure et de l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, il peut être procédé, pour les besoins de l'instruction d'une demande de délivrance, de renouvellement ou de retrait d'un titre de séjour, à une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. Le " fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) mentionné aux articles R. 40-38-1 à R. 40-38-11 du code de procédure pénale et le " traitement d'antécédents judiciaires " (TAJ) mentionné aux articles R. 40-23 à R. 40-34 du même code sont au nombre des traitements visés à l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 précitée.

9. M. B... soutient qu'il n'est pas établi que les informations sur lesquelles s'est fondé le préfet de police pour considérer que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public ont fait l'objet d'une consultation régulière du FAED et du TAJ. Toutefois, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent dès lors qu'elles sont applicables aux enquêtes administratives qui concernent l'instruction des demandes de délivrance, de renouvellement ou de retrait d'un titre de séjour. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des mentions mêmes de l'arrêté attaqué, que le préfet de police aurait fondé sa décision sur des informations issues d'une consultation des données à caractère personnel de M. B... figurant dans le TAJ ou le FAED, alors que le procès-verbal de son interpellation, dressé le 18 novembre 2023, se borne à mentionner la consultation du fichier des personnes recherchées (FPR), et que la consultation du FAED le 19 novembre 2023 a fait apparaître que l'intéressé était inconnu de ce fichier. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale / (...) ".

11. Si M. B... a déclaré, lors de son audition par les services de police le 19 novembre 2023, vivre en concubinage avec une femme et en compagnie de la fille de celle-ci, âgée de sept ans, les pièces produites en appel comme en première instance ne font état d'une adresse commune qu'à compter du 24 août 2023, soit depuis seulement trois mois à la date de l'arrêté attaqué. Il ressort également des pièces du dossier que la compagne du requérant, qui est de nationalité algérienne, n'est titulaire d'aucun titre de séjour en France, sa demande de délivrance d'un premier titre de séjour étant en cours d'instruction à la date de l'arrêté attaqué. Si le requérant produit trois témoignages, deux ayant été établis les 21 novembre 2023 et 27 mars 2024 et le troisième n'étant pas daté, selon lesquels la fille de sa compagne est suivie médicalement depuis septembre 2021 et qu'il l'accompagne au quotidien dans sa prise en charge, ces éléments ne sont toutefois pas suffisamment circonstanciés. Par ailleurs, si M. B... indique, en s'appuyant sur des certificats médicaux, qu'il souffre d'une pathologie grave nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui n'est pas actuellement assurée dans son pays d'origine, ces certificats médicaux ne sont pas circonstanciés sur l'absence supposée de traitement en Algérie, alors qu'il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'instruction de sa demande de titre de séjour pour raisons de santé, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans un avis du 4 septembre 2023, que le requérant pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Enfin, il ressort des pièces du dossier que M. B... a déclaré, lors de son audition par les services de police le 19 novembre 2023, qu'aucun membre de sa famille ne réside en France. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris, ni n'a porté atteinte à l'intérêt supérieur de la fille de sa compagne. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, le préfet de police n'a pas davantage entaché l'arrêté attaqué d'une erreur manifeste d'appréciation.

12. En dernier lieu, M. B... soutient qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a contesté, dès son interpellation par les services de police, la matérialité des faits mentionnés au point 5 du présent arrêt, et il n'est pas contesté par le préfet de police que ces faits n'ont donné lieu à aucune poursuite ni à aucune condamnation à la date de l'arrêté attaqué. En tout état de cause, ces faits ne peuvent suffire à regarder le comportement de M. B... comme constituant une menace pour l'ordre public au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, dès lors qu'il résulte de l'instruction, et notamment de ce qui vient d'être jugé au point 11 du présent arrêt, que le préfet de police aurait pris la même décision à l'égard du requérant s'il n'avait retenu que les autres motifs mentionnés au point 5 du présent arrêt, le préfet de police a pu légalement, pour ces seuls motifs, prendre l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré d'une erreur d'appréciation quant au motif de la menace pour l'ordre public doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,

B. AUVRAY

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01322


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01322
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : BOUDJELLAL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;24pa01322 ?
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