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05/12/2024 | FRANCE | N°23PA00138

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 05 décembre 2024, 23PA00138


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de La Courneuve a rejeté sa demande du 14 février 2020 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle.



Par un jugement no 2010069/4 du 9 novembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision implicite en ce qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle de Mme B... pour les faits de harcèlement

dont elle a été victime en 2017 et 2018 lors de l'exercice de ses fonctions dans le service co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de La Courneuve a rejeté sa demande du 14 février 2020 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement no 2010069/4 du 9 novembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision implicite en ce qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle de Mme B... pour les faits de harcèlement dont elle a été victime en 2017 et 2018 lors de l'exercice de ses fonctions dans le service courrier et a rejeté le surplus des conclusions en annulation.

Procédure devant la cour :

Par une requête du 10 janvier 2023, la commune de La Courneuve doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler les articles 1 à 3 du jugement du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de première instance présentées par Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande devant le tribunal était tardive, dès lors que la décision attaquée constitue une décision confirmative et, par suite, la requête de première instance est irrecevable ;

- Mme B... n'a pas subi de harcèlement moral de sorte qu'elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier une protection fonctionnelle ; son isolement n'est pas dû qu'au seul comportement des agents du service mais également au sien ;

- les autres moyens de la demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 octobre 2023, Mme B... conclut au rejet de la requête et ce qu'il soit mis à la charge de la commune de La Courneuve une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laforêt,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.

- les observations de Me Ouillé pour la commune de La Courneuve et celles de Me Bourgeois pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., adjointe administrative principale territoriale, a demandé le 14 février 2020 l'octroi de la protection fonctionnelle en raison des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. Elle a demandé au tribunal administratif de Montreuil l'annulation de la décision implicite de rejet du maire de La Courneuve. Par sa requête, la commune de La Courneuve demande à la cour d'annuler le jugement 9 novembre 2022, par lequel le tribunal a annulé cette décision implicite en ce qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle de Mme B... pour les faits de harcèlement dont elle a été victime en 2017 et 2018 lors de l'exercice de ses fonctions dans le service courrier.

Sur la recevabilité de la demande :

2. Aux termes du 5° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet dans les relations entre l'administration et ses agents. Le premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dispose que " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un requérant n'est pas recevable à contester une décision confirmative d'une décision de rejet devenue définitive.

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a sollicité pour la première fois la protection fonctionnelle par un courrier sommaire du 14 mars 2018, suivi d'un autre courrier du 16 mars 2018 dénonçant un harcèlement moral et sollicitant un changement de poste. La commune de La Courneuve a, par un courrier du 11 avril 2008, demandé à Mme B... de préciser et de justifier sa demande du 14 mars 2018. Après un dépôt de plainte auprès du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 17 août 2018, Mme B... a alors adressé le 21 août 2018 une nouvelle demande de protection fonctionnelle invoquant notamment ce dépôt de plainte. Une enquête administrative a été ouverte en 2018, des auditions conduites en octobre et novembre 2018 et un rapport a été rendu le 31 janvier 2019 qui a préconisé des modifications organisationnelles et des sanctions à l'égard des membres du service courrier en pointant les responsabilités de chacun y compris contre Mme B... qui a par ailleurs changé de service à compter du 1er janvier 2020. Par un courrier du 23 juillet 2019, dont elle a sollicité l'annulation contentieuse par une demande distincte, Mme B... a fait l'objet d'un avertissement. Par un courriel du 16 octobre 2019, Mme B... a demandé des informations sur les suites données à sa demande de protection fonctionnelle. Par un courriel du 21 octobre 2019, il lui a été indiqué de nouveau que sa demande devait être motivée et plus précise et qu'il lui appartenait d'indiquer les faits qu'elle estimait comme étant des attaques en les accompagnant de pièces justificatives. Enfin, par un courrier de son conseil du 14 février 2020, Mme B... a présenté une demande de protection fonctionnelle qui visait notamment la période pendant laquelle elle était dans le service courrier.

4. Il résulte de ce qui précède qu'au regard des réponses d'attente et des demandes de précision à la suite de ses demandes de protection fonctionnelle, de l'intervention de l'enquête administrative, du dépôt du rapport et de ses suites, postérieurement aux premières demandes de protection fonctionnelle, la commune de La Courneuve n'est pas fondée à soutenir que ces circonstances ne constituent pas des faits nouveaux. Par conséquent, le refus implicite de rejet attaqué ne constitue pas une décision confirmative et la fin de non-recevoir opposée par la commune doit être écartée.

Sur la légalité de la décision portant refus d'octroyer à Mme B... la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement dont elle a été victime en 2017 et 2018 lors de l'exercice de ses fonctions dans le service courrier :

5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

7. Au titre des éléments susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme B..., a, d'une part, produit le rapport d'enquête en date du 31 janvier 2019 demandé par l'administration qui retient, parmi l'ensemble des griefs présentés par l'agent, le fait que trois de ses collègues ont adopté des comportements, tels que ne plus lui adresser la parole ou d'avertir un collègue sur le comportement supposé de Mme B..., de nature à caractériser une intentionnalité d'isoler cette dernière. Mme B... a également fourni des témoignages de personnes extérieures au service courrier qui attestent des conflits existants au sein de ce service. D'autre part, Mme B... a également produit un rapport datant de 2017 qui souligne de nombreuses difficultés organisationnelles, relationnelles et d'encadrement au sein de ce service. Le rapport de 2019 confirme la persistance de ces difficultés et constate que " le défaut de mesures managériales pertinentes a alimenté les situations de tensions et, loin d'y mettre un terme, ont conduit à leur renforcement ". Par suite, Mme B... a soumis au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral.

8. Si la commune de La Courneuve dans sa requête d'appel oppose aux prétentions de Mme B... son propre comportement, à savoir qu'elle refuse de parler avec certains agents, ce qui a conduit à son isolement, les faits reprochés à Mme B... ne sont pas de nature à retirer aux agissements subis par Mme B..., compte tenu de leur caractère continu et intentionnel et en l'absence de mesures concrètes du service alors que la situation conflictuelle était connue, le caractère de harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, étant au demeurant relevé que la commune appelante a infligé des sanctions disciplinaires du premier groupe à trois des agents du service courrier pour les raisons mentionnées au point précédent.

9. Dans ces conditions, la commune de La Courneuve n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé la décision portant refus de lui octroyer la protection fonctionnelle, pour les faits de harcèlement dont elle a été victime en 2017 et 2018 lors de l'exercice de ses fonctions dans le service courrier.

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de La Courneuve une somme de 1 000 euros en application de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de La Courneuve est rejetée.

Article 2 : La commune de La Courneuve versera à Mme B... une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Courneuve et à Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Laforêt, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

Le rapporteur,

E. LAFORETLe président,

B. AUVRAY

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA00138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00138
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Emmanuel LAFORÊT
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CABINET ARVIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;23pa00138 ?
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