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29/11/2024 | FRANCE | N°24PA02162

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 29 novembre 2024, 24PA02162


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 24 juin 2021 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa demande tendant à déférer le docteur A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins, d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des médecins de faire droit à sa demande tendant à déférer le docteur B... devant la chambre disciplinaire de première instanc

e d'Ile-de-France de l'ordre des médecins et de mettre à la charge du Conseil national de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 24 juin 2021 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa demande tendant à déférer le docteur A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins, d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des médecins de faire droit à sa demande tendant à déférer le docteur B... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins et de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 2108510 du 12 mars 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 mai 2024 et 24 octobre 2024 M. C..., représenté par Me Viltart, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 mars 2024 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 24 juin 2021 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa demande tendant à déférer le docteur A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins ;

3°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des médecins de faire droit à sa demande tendant à déférer le docteur B... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins ;

4°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de

2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour les frais engagés en première instance et une somme identique sur le même fondement pour les frais engagés en appel.

Il soutient que :

- le Conseil national de l'ordre des médecins a, au prix d'une erreur manifeste d'appréciation, refusé de déférer le docteur B... devant la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins du fait du contenu de son certificat médical du 6 décembre 2019 alors que, d'une part, celui-ci retient à tort une période d'ITT de trois semaines en l'absence de lésions physiques et du fait du retentissement psychologique important des violences alléguées par son ex-épouse, et, d'autre part, que le docteur B... n'étant pas psychiatre, il ne pouvait prononcer une telle ITT pour ce motif et aurait dû saisir un confrère psychiatre ;

- ce certificat a, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, eu un rôle déterminant dans l'ordonnance de protection rendue le 9 janvier 2020 en faveur de cette patiente dans le cadre de la plainte pour violence conjugale déposée à son encontre, ordonnance qui a ensuite été infirmée par la Cour d'appel de Paris par un arrêt du 28 juillet 2020 ;

- la décision contestée du Conseil national de l'ordre des médecins a été prise sans examen approfondi des griefs exposés à l'encontre du docteur B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2024 le Conseil national de l'ordre des médecins, représenté par la SCP Matuchanski, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocats aux Conseils, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de

M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au

25 octobre 2024.

Un mémoire a été produit après clôture pour le Conseil national de l'ordre des médecins.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Labetoulle,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Viltart, avocat de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le docteur D... C..., médecin psychiatre, a saisi le 9 avril 2020 le Conseil départemental de l'ordre des médecins du Val-de-Marne d'une plainte à l'encontre du docteur B..., médecin exerçant au sein de l'unité médico-légale du Centre hospitalier intercommunal de Créteil, en raison du certificat médical en date du 6 décembre 2019 établi par ce praticien qui avait dû, sur réquisition judiciaire, procéder à l'examen médical de son épouse qui se plaignait de faits d'agression par conjoint. Le Conseil départemental de l'ordre des médecins du Val-de-Marne ayant refusé de traduire le docteur B... devant la chambre disciplinaire de première instance, le docteur C... a saisi le Conseil national de l'ordre des médecins qui, par délibération du 24 juin 2021 notifiée le 27 juillet suivant, a également refusé de saisir la chambre disciplinaire des faits reprochés au docteur B.... Le docteur C... a alors saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de cette délibération. Le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 12 mars 2024 dont le docteur C... relève appel.

Sur la légalité externe de la délibération attaquée :

2. Il ressort des termes mêmes de la délibération attaquée que le Conseil national de l'ordre des médecins a d'abord exposé les faits et le contexte dans lequel le docteur B... a été amené à établir le certificat du 6 décembre 2019, avant d'exposer de manière détaillée les griefs du docteur C... et les éléments de réponse du docteur B..., puis il a souligné qu'il incombait à ce dernier, dans le cadre de la réquisition dont il avait été l'objet, d'établir l'existence d'une éventuelle ITT de l'épouse du requérant ainsi que, le cas échéant, sa durée, avant de retenir qu'il n'apparaissait pas que le docteur B... ait violé les dispositions du code de déontologie médicale interdisant la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance, et que, au vu des éléments portés à sa connaissance, il ne constatait aucun manquement déontologique de la part du docteur B.... Ainsi cette délibération répond aux griefs du docteur C... qui y sont précisément rappelés, et elle est suffisamment motivée. Par suite, à supposer que le docteur C... ait entendu soulever des moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la délibération contestée et du défaut d'examen sérieux de ses griefs et de la situation, de tels moyens, en tout état de cause, manquent en fait.

Sur la légalité interne de la délibération attaquée :

3. Aux termes de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique : " Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit. (...) ".

4. Il n'est pas contesté que le docteur B... a établi un certificat après avoir examiné l'épouse du requérant sur réquisition d'un officier de police judiciaire et en qualité de médecin exerçant au sein de l'Unité médico-légale de l'hôpital intercommunal de Créteil. Dès lors ce praticien a agi dans le cadre d'une mission de service public et les dispositions de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique sont applicables.

5. Lorsqu'il est saisi d'une plainte d'une personne qui ne dispose pas du droit de traduire elle-même un médecin devant la chambre disciplinaire de première instance, il appartient ainsi au Conseil national de l'ordre des médecins, après avoir procédé à l'instruction de cette plainte, de décider des suites à y donner. Il dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation, encadré par le contrôle par le juge de l'erreur manifeste, et peut tenir compte notamment de la gravité des manquements allégués, du sérieux des éléments de preuve recueillis ainsi que de l'opportunité d'engager des poursuites compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ayant seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d'un service public devant la juridiction disciplinaire à raison d'actes commis dans l'exercice de cette fonction publique, en la matière un Conseil national de l'ordre des médecins exerce une compétence propre et les décisions par lesquelles il décide de ne pas déférer un médecin devant la juridiction disciplinaire peuvent faire directement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

6. Aux termes de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique : " La délivrance d'un rapport tendancieux ou un certificat de complaisance est interdite. ".

7. Il ressort de ce qui précède que le docteur B... n'a rédigé le certificat à l'origine de la plainte du requérant qu'après avoir été requis à cette fin par un officier de police judiciaire et non de sa propre initiative. De plus, il précise tout au long de ce document qu'il rapporte les propos de l'épouse du docteur C... sur les violences qu'elle aurait subies de la part de celui-ci le

21 octobre 2019, sans jamais se prononcer sur la matérialité des faits en cause ni introduire d'élément de subjectivité quel qu'il soit. Ainsi, pas plus l'initiative de ce certificat que son contenu ne révèlent de complaisance à l'égard de la personne examinée, ni de partialité. Par ailleurs, le docteur B... a pu sans contradiction, après avoir constaté " l'absence de lésion physique visible d'allure traumatique " et " un retentissement psychologique très important ", déduire de l'examen que " les lésions constatées ainsi que leur retentissement et les éléments fournis par l'examen déterminent une incapacité totale de travail de vingt et un jours ", cette formule se référant sans ambiguïté possible aux lésions psychologiques constatées. De plus, il ne saurait lui être reproché d'avoir retenu une période d'ITT alors, d'une part, qu'il avait été précisément requis à cette fin, et d'autre part que, ainsi que le fait valoir le Conseil national de l'ordre des médecins sans être contredit, en application des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé relatives à l'établissement du certificat médical initial concernant une personne victime de violences, la notion d'ITT " s'applique aux troubles physiques et psychiques, sources d'incapacité, c'est-à-dire à toutes les fonctions de la personne ". En outre, la circonstance que le docteur B..., qui n'a été requis pour examiner l'épouse du requérant que le 6 décembre 2019, ait conclu à une durée d'ITT de vingt et un jours, déjà achevée à la date de son examen, ne remet pas en cause l'exactitude de son évaluation et permet moins encore de révéler un quelconque manquement déontologique de sa part. Par ailleurs si le docteur C... fait également valoir que le docteur B... aurait dû se dessaisir au profit du psychiatre de l'unité médico-judiciaire, il ressort également du guide des bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé mentionné par le Conseil national de l'ordre des médecins qu'un praticien, indifféremment de sa spécialité, peut être amené à rédiger un certificat médical fixant une ITT que ce soit dans son volet physique ou psychologique, outre qu'il ne ressort ni du certificat établi par le docteur B... ni des écritures du docteur C... que la personne examinée aurait présenté les signes d'une pathologie psychiatrique nécessitant l'intervention d'un spécialiste. De plus si le requérant fait grief au certificat médical à l'origine de sa plainte de ne pas contenir de recueil clinique ni de discussion clinique, il ne fait état d'aucun élément précis de nature à établir qu'une telle discussion était, en l'espèce, nécessaire, outre que son absence ne permet pas d'établir que ce document serait tendancieux ou constituerait un certificat de complaisance. Enfin, le docteur C... ne peut utilement faire valoir que ce certificat aurait eu une incidence déterminante sur l'édiction de l'ordonnance de protection prononcée le 9 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ni rappeler que celle-ci a été ensuite infirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 juillet 2020, ces circonstances ne permettant aucunement d'établir l'existence d'un manquement déontologique du docteur B... dans l'établissement dudit certificat, outre qu'en tout état de cause il ressort des termes mêmes de l'ordonnance de protection du 9 janvier 2020 que son auteur s'est également fondé sur les plaintes déposées par l'épouse du docteur C... le 4 décembre 2019 ainsi qu'en une autre occasion en 2017, et sur le certificat médical alors produit, ainsi que sur les mains-courantes déposées par l'intéressée les 9 décembre et 21 décembre 2019, les attestations de ses amies et les notes d'hôtel produites. Ainsi le docteur C... n'est pas fondé à soutenir que le certificat du docteur B... présenterait le caractère d'un certificat de complaisance ou aurait un caractère tendancieux, ni par suite que la délibération du Conseil national de l'ordre des médecins qui a refusé de le traduire devant la chambre disciplinaire serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des médecins sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : M. C... versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de

2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Julliard, présidente,

- Mme Labetoulle, première conseillère,

- Mme Palis De Koninck, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2024.

La rapporteure,

M-I. LABETOULLE La présidente,

M. JULLIARD

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02162


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02162
Date de la décision : 29/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : AGMC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-29;24pa02162 ?
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