Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler d'une part, l'arrêté du 10 novembre 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour pour une durée de trois ans et, d'autre part, la décision du 10 novembre 2023 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne l'a placé en rétention administrative. Par un jugement n° 2312246 du 23 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 10 novembre 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour pour une durée de trois ans, enjoint au préfet de Seine-et-Marne, ou à tout autre préfet territorialement compétent d'une part, de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et, d'autre part, de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 10 novembre 2023 ci-dessus annulée et enfin, rejeté le surplus des demandes de M. B.... Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B... présentées devant le tribunal administratif de Melun. Il soutient que le jugement attaqué est entaché de défaut d'examen sérieux et que c'est à tort que le magistrat désigné a retenu que M. B... justifiait d'une résidence régulière depuis plus de 10 ans et ne pouvait faire l'objet d'une mesure portant obligation de quitter le territoire. Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Daurelle, conclut : 1°) à titre principal au rejet de la requête ; 2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté préfectoral du 10 novembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire pour une durée de 36 mois, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et lui accorder un titre de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente, avec astreinte de 150 € par jour de retard, et de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que : En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire : - elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ; - elle est entachée d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit au regard des stipulations de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1998 ; - elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'articleL. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'intensité de sa vie privée et de l'absence de démonstration de menace à l'ordre public ;
En ce qui concerne la décision portant refus d'un délai de départ volontaire : - elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; - elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ; - elle est entachée d'une erreur de droit et de fait. En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour en France pour une durée de trente-six mois : - elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; - elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ; - elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; -le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a décidé de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Boizot, - et les observations de Me Baron substituant Me Daurelle pour M. B.... Considérant ce qui suit : 1. M. B..., ressortissant tunisien, né le 23 juillet 1978 à Sousse (République tunisienne), a été condamné notamment le 22 mars 2012 par la cour d'assises du Rhône à une peine d'emprisonnement de vingt ans pour des faits de meurtre en bande organisée et meurtre en bande organisée, tentative, condamnation assortie d'une peine de sûreté d'une durée de quinze années et quatre mois. L'intéressé a été écroué dans différents centres pénitentiaires et maisons d'arrêt et, depuis le 12 août 2021, au centre pénitentiaire Sud-Francilien. Par arrêté du 10 novembre 2023 notifié le 16 suivant, le préfet de Seine-et-Marne a obligé l'intéressé à quitter le territoire français sans délai en application textuellement du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé une interdiction de retour pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 2312246 du 23 novembre 2023 dont le préfet deSeine-et-Marne interjette régulièrement appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 10 novembre 2023 par lequel le préfet deSeine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour pour une durée de trois ans, enjoint au préfet de Seine-et-Marne, ou à tout autre préfet territorialement compétent, d'une part, de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, d'autre part, de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 10 novembre 2023 ci-dessus annulée, et, enfin, rejeté le surplus des demandes de M. B.... 2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé de la décision attaquée. Par suite, M. B... ne peut utilement soutenir que le jugement attaqué est entaché de défaut d'examen sérieux pour en obtenir l'annulation. Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif : 3. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ". 4. D'autre part, le 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : " L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention "étudiant" (...). ". 5. Pour annuler la décision du 10 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a tout d'abord, relevé que M. B... démontrait avoir résidé de manière continue durant au moins dix années sur le territoire français avant d'être incarcéré en 2008 en produisant une copie d'une carte de résident valable dix ans supportant son identité du 3 aout 1995 au 2 août 2005. Puis, il a indiqué que si les périodes d'incarcération d'un ressortissant étranger ne peuvent pas, en tout état de cause, être prises en compte dans le calcul de sa durée de résidence régulière sur le territoire, elles ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de son séjour régulier en France depuis plus de dix ans jusqu'à son incarcération, laquelle se poursuivait toujours à la date d'édiction de la mesure d'éloignement en litige en sorte que la période de détention continue à la date de la décision en litige doit être déduite du calcul de la durée de résidence régulière. Il en conclut que M. B... justifie, à la date de l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français, alors qu'il était encore incarcéré sans interruption depuis le 3 avril 2008, d'une durée de résidence régulière de plus de dix ans. 6. Ne peuvent être regardées comme une période de résidence régulière au sens de ces dispositions, les périodes durant lesquelles l'étranger est incarcéré à la suite d'une condamnation à une peine privative de liberté ou bénéficie d'une mesure d'exécution de sa peine sous le régime de la semi-liberté, du placement à l'extérieur ou du placement sous surveillance électronique, dès lors qu'elle emporte une obligation de résidence pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part et ce, y compris si l'étranger est titulaire d'un titre de séjour durant cette période. 7. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui est entré en France en octobre 1981, a obtenu une carte de résident valable dix ans du 3 août 1995 au 2 août 2005 et qu'à l'expiration de cette dernière, il est demeuré en situation irrégulière, soit pendant 18 ans, faute d'avoir sollicité le renouvellement de son titre de séjour alors que la circonstance que l'intéressé se trouvait en détention entre 2008 et le 29 novembre 2023, date de son élargissement ne faisait pas obstacle par elle-même à ce qu'il puisse solliciter le renouvellement de son titre de séjour. M. B... doit être regardé comme ayant résidé régulièrement en France jusqu'au 2 août 2015. Par suite, M. B... ne peut être regardé, à la date de la décision attaquée, comme ayant résidé régulièrement en France pendant plus de dix ans. Il suit de là que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a, pour ce motif, annulé l'arrêté du 10 novembre 2023. 8. Toutefois, aux termes du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ". 9. Il résulte des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire. Dans ce cadre, les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part. 10. En revanche, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B..., né le 23 juillet 1978, est arrivé en France mineur et y justifie une présence avant l'âge de treize ans comme en attestent les différents certificats de scolarité produits pour la période comprise entre l'année scolaire 1981-1982 et l'année scolaire 1993-1994, l'attestation de suivi au centre de santé le Vieux temple à Grenoble entre 1983 et 2007 ainsi que la carte de résident de l'intéressé pour la période comprise entre le 3 août 1995 et le 2 août 2015. D'autre part, l'intéressé a été écroué entre 2008 et le 29 novembre 2023, date de son élargissement à la suite de divers condamnations pénales pour des faits notamment de menace de délit contre les personnes avec ordre de remplir une condition et menace ou acte d'intimidation pour déterminer une victime à ne pas porter plainte ou à se rétracter, de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans, pour meurtre en bande organisée et tentative, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement et de dégradation ou détérioration de bien destiné à l'utilité publique, récidive. Par ces différents éléments, M. B... justifie la continuité de sa résidence habituelle en France. Aussi, par l'ensemble de ces éléments, la présence habituelle en France de l'appelant doit être tenue pour établie depuis le mois d'octobre 1981, soit depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans de sorte que les dispositions précitées du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font obstacle à son éloignement. Par suite, alors même que le comportement de l'intéressé peut être regardé comme constitutif d'un trouble à l'ordre public, le préfet de Seine-et-Marne ne pouvait, sans faire une inexacte application des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, obliger M. B... de quitter le territoire français. 11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne n'est pas fondé à se plaindre de ce que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 10 novembre 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour pour une durée de trois ans. Sur les frais d'instance : 12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E :Article 1er : La requête du préfet de Seine-et-Marne est rejetée.Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative est rejetée.Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.Délibéré après l'audience du 8 novembre 2024 à laquelle siégeaient :- M. Carrère, président,- M. Soyez, président assesseur,- Mme Boizot, première conseillère.Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 29 novembre 2024.La rapporteure,S. BOIZOTLe président,S. CARRERE La greffière,E. LUCELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.N° 23PA05042 2