Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Le Masito a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 121 908 euros pour la période d'octobre 2020.
Par un jugement n° 2114771 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'intéressée.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet 2023 et 28 juin 2024, la SARL Le Masito, représentée par Me de Kervenoael, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2114771 du 8 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au remboursement du crédit de la taxe sur la valeur ajoutée de 121 908 euros pour la période d'octobre 2020 ;
2°) de prononcer le remboursement sollicité ;
3°) de lui accorder le paiement d'intérêts au taux défini à l'article L. 208 du Livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de condamner l'Etat aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle a la qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu'elle a déclaré son intention de commencer une activité économique soumise de plein droit à la taxe sur la valeur ajoutée dès le lancement des travaux de construction de la villa avec piscine, qui s'inscrivent dans un projet de location assorti de prestations para-hôtelières, soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions de l'article 4° de l'article 261 D du code général des impôts ;
- les prestations para-hôtelières, prévues par le 4° de l'article 261 D du code générale des impôts, ont été réalisées dès que la mise en location du bien a été rendue possible ;
- elle a subi un préjudice de trésorerie, faute d'avoir pu obtenir le remboursement de son crédit de TVA ;
- aux termes de l'article 1957 du code général des impôts et de l'article 400 de l'annexe II au code relatif au paiement d'intérêts moratoires sur les sommes remboursées aux contribuables, le reversement ultérieur de la somme due au titre du crédit de TVA non imputable ouvre donc droit au paiement d'intérêts moratoires ;
- en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, la SARL Le Masito est fondée à demander que la somme de 121 908 euros donne lieu au paiement d'intérêts moratoires fixé à 0,2 % par mois de retard, à compter du 23 novembre 2020, date de sa réclamation en vue d'obtenir le remboursement du crédit de taxe, jusqu'à la date du règlement effectif de la somme remboursée.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boizot ;
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Le Masito, qui exerce une activité de location notamment de parahôtellerie pour les immeubles, biens et droits immobiliers qu'elle exploite, demande au tribunal le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre du mois d'octobre 2020 pour un montant de 121 908 euros. Par un jugement n° 2114771 du 8 juin 2023 dont la SARL Le Masito interjette régulièrement appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au remboursement du crédit de la taxe sur la valeur ajoutée de 121 908 euros pour la période d'octobre 2020.
Sur le bien-fondé des impositions :
S'agissant de la demande de remboursement d'un crédit de TVA sur le fondement de l'article 271 du code général des impôts :
2. Aux termes de l'article 167 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 : " Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ". L'article 168 de cette directive dispose que : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti a le droit, dans l'État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants : a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 29 février 1996 " Inzo " (C-110/94), que le droit à déduction peut être exercé lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix du bien ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive.
4. Dès lors qu'un contribuable a déclaré son intention de réaliser une activité économique taxable et que l'administration ne conteste pas la sincérité de cette intention, la déduction de la taxe à laquelle il a procédé au titre de la période en cause lui est définitivement acquise. La circonstance que l'activité effectivement exercée soit exonérée est sans incidence sur le bien-fondé de la déduction initiale et est seulement susceptible d'entraîner, pour le contribuable, l'obligation de régulariser cette déduction.
5. Pour établir son intention de réaliser effectivement une activité de parahôtellerie ouvrant droit à déduction en application des dispositions de l'article 261 D à la date d'octobre 2020, la SARL Le Masito, qui a notamment pour objet une activité de location de parahôtellerie pour les immeubles, biens et droits immobiliers qu'elle exploite, soutient qu'elle avait pour projet dès l'origine de proposer l'immeuble à la location en tant que villa de luxe. Par ailleurs, la société requérante indique que, pour se conformer à ses obligations, une lettre d'option pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article 261 D 4° du code général des impôts a été adressée au service des impôts des entreprises en date du 15 novembre 2018 et qu'elle est bénéficiaire pour le mois d'octobre 2020 d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions de l'article 271 du CGI. Il résulte de l'instruction qu'afin de réaliser une activité de parahôtellerie ouvrant droit à déduction, la SARL Le Masito a, à cette fin, acquis, le 17 juin 2020, un terrain à bâtir à Saint-Tropez (Var) pour construire une maison avec piscine pour la mettre à la location avec tous les services caractérisant l'activité de parahôtellerie et qu'elle est titulaire d'un bail commercial d'exploitation qu'elle tire d'un mandat d'administration de biens de locations saisonniers donné par le propriétaire du bien en litige afin de sous-louer la villa Le Masito. A cette fin, elle a donné un mandat non exclusif de recherche de locataires saisonniers à deux agences spécialisées. Au regard de ces différents éléments, il apparaît que la société requérante, dont l'objectif économique résulte de l'instruction, doit être regardée comme ayant la qualité d'assujetti à la TVA pour l'activité de location de la " Villa Le Masito " nonobstant les circonstances que la lettre d'option non datée ait été communiquée à l'administration le 29 janvier 2021, soit postérieurement à la demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée, et que l'activité de l'activité économique ne s'est développée qu'à partir de 2023 malgré la signature d'un mandant de recherche de location dès le 7 juin 2021.
S'agissant de l'exercice d'une activité de location de logements meublés comportant des prestations rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier :
6. Aux termes de l'article 261 D du code général des impôts : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) / 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation. / Toutefois, l'exonération ne s'applique pas : / (...) b. Aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l'hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle. (...) ".
7. D'une part, ces dispositions ont pour effet d'inclure dans le champ de l'exonération toute mise à disposition d'un local meublé qui n'est pas assortie de l'offre, par l'exploitant, d'au moins trois des quatre services que constituent la fourniture du petit-déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture du linge de maison et la réception de la clientèle. Elles sont ainsi susceptibles d'entraîner l'exonération de locations de logements meublés au seul motif que deux de ces prestations accessoires ne sont pas offertes à la clientèle dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements hôteliers, alors que le cumul de trois de ces quatre prestations n'apparaît pas systématiquement indispensable pour que de telles locations puissent, selon le contexte dans lequel elles sont proposées, être regardées comme se trouvant en concurrence avec le secteur hôtelier.
8. Par suite, le b. du 4° de l'article 261 D du code général des impôts est incompatible avec les objectifs de l'article 135 de la directive du 28 novembre 2006 en tant qu'il subordonne la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des activités de mise à disposition d'un local meublé ou garni à la condition que soient proposées au moins trois des quatre prestations accessoires qu'il énumère, dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements hôteliers. En revanche, ces dispositions demeurent compatibles avec les objectifs dudit article en tant qu'elles excluent de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient les activités se trouvant dans une situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières. Il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'impôt, d'apprécier au cas par cas si un établissement proposant une location de logements meublés, eu égard aux conditions dans lesquelles cette prestation est offerte, notamment la durée minimale du séjour et les prestations fournies en sus de l'hébergement, se trouve en situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières. Les dispositions précitées n'imposent toutefois pas que les prestations para-hôtelières soient effectivement rendues, mais seulement que le loueur en meublé dispose des moyens nécessaires pour répondre aux éventuelles demandes.
9. D'autre part, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante la charge de la preuve n'incombait pas exclusivement à l'administration.
10. En l'espèce, pour refuser de faire droit à la demande de remboursement du crédit taxe sur la valeur ajoutée déclaré par la SARL Le Masito au titre du mois d'octobre 2020, l'administration fiscale fait également valoir que l'entreprise ne remplit pas les conditions pour être considérée comme réalisant des prestations hôtelières ou para-hôtelières dans des établissements d'hébergement qui font l'objet d'une exploitation commerciale.
11. Pour établir que la villa dont elle est propriétaire à Saint-Tropez était effectivement affectée à une activité de location saisonnière, la SARL Le Masito fait valoir qu'elle a, par contrats, mandaté la société John Taylor le 7 juin 2021 et la société Emile Garcin Propriétés le 14 janvier 2022 pour administrer la villa Le Masito à Saint-Tropez. Ces mandats d'administration de biens précisent notamment que les parties sont convenues que le mandataire proposerait aux locataires, au nom et pour le compte du mandant diverses prestations de service qui diffèrent partiellement selon le mandataire. S'agissant du mandat signé avec la société John Taylor, il est mentionné que l'hébergement n'est pas proposé en location à la nuitée, mais seulement à la semaine, qu'une prestation de réception comportant l'accueil et la remise des clés est assurée par l'agence immobilière. Il est également précisé que le linge de maison fourni (draps/serviettes de toilette/serviettes de piscine) composé de deux jeux par semaine et par chambre est compris dans le prix de la location et que la prestation de ménage est assurée en fin de séjour. Enfin, il est mentionné la présence d'une personne en charge de l'entretien de la villa 28 heures par semaine et la possibilité de bénéficier du petit-déjeuner en extra et à la demande. Concernant le mandat conclu avec la société Emile Garcin Propriétés, celui-ci prévoit également que l'hébergement n'est pas proposé en location à la nuitée, mais seulement à la semaine. Le linge de maison est fourni en début de location, sans qu'il résulte de l'instruction que les locataires pourraient bénéficier de son renouvellement, une prestation d'accueil est assurée lors de l'entrée dans les lieux et à la sortie et enfin, il est mentionné qu'une prestation de ménage à raison de 3 heures par jour est incluse dans le prix de location.
12. Les critères définis par la loi et précisés par la jurisprudence n'exigent pas que les prestations para-hôtelières soient effectivement rendues, mais seulement que le loueur en meublé dispose des moyens nécessaires pour répondre aux éventuelles demandes. Or, il ne résulte pas de l'instruction que la SARL Le Masito, qui gère la villa " Le Masito ", ne proposerait pas effectivement aux locataires de l'immeuble litigieux, comme le soutient la société requérante, des prestations de réception de la clientèle, de nettoyage des locaux et de fourniture du linge de maison et ne disposerait pas des moyens nécessaires pour assurer ces prestations. La seule circonstance que la durée minimale du séjour imposée soit d'une semaine et que la société ne produise pas de justificatifs démontrant la réalisation desdites prestations ne suffit pas à modifier cette analyse. Eu égard aux prestations rendues, et au secteur fortement touristique dans lequel la villa est située, elle peut être regardée comme étant dans une situation de concurrence avec des établissements du secteur hôtelier. Dans ces conditions, la SARL Le Masito qui a la qualité d'assujetti était en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux de construction de la maison dont elle est propriétaire et de demander le cas échéant le remboursement du crédit de taxe y afférent.
13. Il résulte de ce qui précède que la SARL Le Masito est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et à obtenir le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 121 908 euros pour la période d'octobre 2020. En revanche, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un litige soit né ou soit à naître concernant l'attribution d'intérêts moratoires devant assortir ce remboursement, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent être accueillies.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2114771 du 8 juin 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 121 908 euros pour la période d'octobre 2020 est remboursé à la SARL Le Masito.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Le Masito la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SARL Le Masito est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Le Masito et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargée de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 29 novembre 2024.
La rapporteure,
S. BOIZOT
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03297