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27/11/2024 | FRANCE | N°23PA00449

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 2ème chambre, 27 novembre 2024, 23PA00449


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Cofima a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés au titre des années 2011 et 2012.



Par un jugement n° 1921855/1-3 du 7 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er février, 28 avril et 1er juin 2023, la

société Cofima, représentée par Me Maraud et Me Hautcoeur, demande à la Cour :



1°) d'annuler le jugement n° 1921855/1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Cofima a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés au titre des années 2011 et 2012.

Par un jugement n° 1921855/1-3 du 7 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er février, 28 avril et 1er juin 2023, la société Cofima, représentée par Me Maraud et Me Hautcoeur, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1921855/1-3 du 7 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle aurait dû, en application de l'article L. 49 du livre des procédures fiscales, recevoir dans le délai normal de reprise, un avis d'absence de rectification concernant les éléments non visés par la demande d'assistance internationale ;

- la doctrine administrative référencée BOI-CF-PGR-10-60-20120912, n° 270 prévoit l'envoi de propositions de rectification ou d'avis d'absence de rectification distincts selon que sont concernés ou non les éléments visés par la demande d'assistance internationale ;

- le service vérificateur a méconnu l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ;

- l'achèvement de la vérification de comptabilité est intervenu à la date de réception de la réponse des autorités étrangères le 4 mai 2015 ; en application de la doctrine référencée BOI-CF-PGR-10-60-20120912 l'administration aurait dû envoyer un avis d'absence de rectification pour les rehaussements qui ne concernaient pas les problèmes internationaux et envoyer un nouvel avis de vérification sur le fondement du 6° de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales pour la nouvelle vérification de comptabilité concernant ces problèmes internationaux ;

- elle a été privée de la garantie liée à l'existence d'un débat oral et contradictoire ;

- la proposition de rectification est intervenue après l'expiration du délai de reprise, l'administration ne pouvant se prévaloir de ce que la réponse des autorités luxembourgeoises ne serait que partielle ;

- la jurisprudence Denkavit et son commentaire administratif (BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40-20140725) ne conditionnant aucunement son bénéfice à la vérification de l'identité des actionnaires de la société bénéficiaire, la réponse ne peut être regardée comme partielle ;

- les distributions litigieuses pouvaient bénéficier de l'exonération de retenue à la source prévue à l'article 119 ter du code général des impôts ;

- la société Berlioz Investment a son siège au Luxembourg au sens de l'article 119 ter du code général des impôts et de la doctrine référencée BOI-RPPM-RCM-30-30-20-10-20160607, n° 110 ;

- les décisions stratégiques sont prises au Luxembourg ;

- la doctrine référencée BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40-20140725 n° 130 prévoit une demande de pièces justificatives qui n'a jamais été formulée par le service ;

- la non connaissance de l'associé unique de la société Berlioz Investment est dépourvue de pertinence ;

- on ne peut soutenir que le bénéficiaire effectif des distributions n'est pas la société Berlioz Investment ;

- elle ne se borne pas à constituer un relais dans le versement de dividendes ;

- elle exerce une activité réelle ;

- les sommes qu'elle a perçues permettaient de régler une dette, ce qui permet de déduire qu'elle en est le bénéficiaire effectif ;

- à supposer que l'administration puisse valablement considérer, ce qui est fermement contesté ci-dessus, que Monsieur et Madame B... étaient les bénéficiaires effectifs de la distribution des titres Aubusson, il ne peut en être de même s'agissant des sommes payées en numéraire ;

- aucun montage artificiel ne peut être déduit du fait que la société Berlioz Investment n'a pas répondu à des demandes dépourvues d'intérêt dans le cadre du contrôle en cours, en application de la jurisprudence Denkavit et de son commentaire administratif et de la doctrine référencée BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40-20140725 ;

- le 3. de l'article 119 ter du code général des impôts, tel que celui-ci était en vigueur au moment des distributions, et qui aurait pu exiger la connaissance de l'associé de la société Berlioz, est contraire au droit de l'Union européenne ;

- la liberté de circulation des capitaux s'oppose à une règlementation d'un Etat membre en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente déficitaire, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait bien été bénéficiaire durant cet exercice ;

- lorsqu'elle a procédé, en 2011 et 2012, à des distributions ou opérations assimilées au profit de son associé unique, la société Berlioz Investment était en situation déficitaire au regard du droit luxembourgeois, son déficit fiscal s'élevant à 15 577 579 euros au titre de l'exercice 2011 et à 21 576 152 euros au titre de l'exercice 2012 ;

- le déficit a été reconnu par l'administration fiscale luxembourgeoise et ne peut être recalculé par les autorités françaises.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 avril et 23 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 juin 2023.

Un mémoire a été présenté par la société Cofima le 12 février 2024, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les arrêts du 26 février 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, aff. C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16, N Luxembourg 1 e.a. c/ Skatteministeriet et aff. C-116/16 et C-117/16, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps ;

- l'arrêt du 22 novembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne aff. C-575/17, Sofina SA e.a. ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport A... Magnard,

- et les conclusions A... Perroy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Cofima, qui a pour activité " la détention et la mise en valeur d'un patrimoine immobilier " et dont l'associé unique est la société de droit luxembourgeois Berlioz Investment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au 30 avril 2013, à l'issue de laquelle des rappels de retenue à la source lui ont été notifiés sur le fondement de l'article 119 bis du code général des impôts pour les exercices clos en 2011 et 2012 à raison de distributions versées à son actionnaire unique, la société Berlioz Investment, société holding, l'administration ayant exercé son droit de reprise en se prévalant, dans la proposition de rectification qu'elle a adressée à la société le 22 décembre 2017, des délais spéciaux prévus à l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales en cas de demande d'assistance administrative internationale. La SAS Cofima relève appel du jugement en date du 7 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. /Toutefois, il est fait exception à cette règle : (...) 6° Dans les cas prévus à l'article L. 188 A après l'intervention de la réponse de l'autorité compétente de l'autre Etat ou territoire ; (...) ". Aux termes de l'article L. 188 A du même livre : " Lorsque l'administration a, dans le délai initial de reprise, demandé à l'autorité compétente d'un autre Etat ou territoire des renseignements concernant un contribuable, elle peut réparer les omissions ou les insuffisances d'imposition afférentes à cette demande, même si le délai initial de reprise est écoulé, jusqu'à la fin de l'année qui suit celle de la réception de la réponse et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle le délai initial de reprise est écoulé. / Le présent article s'applique dans la mesure où le contribuable a été informé de l'existence de la demande de renseignements dans le délai de soixante jours suivant son envoi ainsi que de l'intervention de la réponse de l'autorité compétente de l'autre Etat ou territoire dans le délai de soixante jours suivant sa réception par l'administration ". En vertu des dispositions de l'article L. 49 du même livre, quand l'administration a procédé à une vérification de comptabilité, elle doit en porter les résultats à la connaissance du contribuable, même en l'absence de rectification.

3. D'une part, il ne résulte d'aucun texte législatif ou réglementaire, et notamment pas des dispositions précitées du livre des procédures fiscales, que l'administration serait tenue en cas d'utilisation d'une procédure de demande d'assistance internationale, d'adresser au contribuable avant l'expiration du délai normal de reprise, un avis d'absence de rectification concernant les éléments non visés par la demande d'assistance internationale. La doctrine administrative référencée BOI-CF-PGR-10-60-20120912, n° 270 invoquée à cet égard est relative à la procédure d'imposition et n'est par suite pas invocable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

4. D'autre part, contrairement à ce qui est soutenu, le courrier du 4 mai 2015 adressé à l'administration fiscale par les autorités luxembourgeoises dans le cadre de la mesure d'assistance administrative diligentée sur le fondement de l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales ne marquait pas la date d'achèvement de la vérification de comptabilité, laquelle a pris fin à la date d'envoi de la proposition de rectification du 22 décembre 2017. Aucun acte marquant l'achèvement d'une vérification de comptabilité n'a été effectué avant cette date, et cela alors même que des rehaussements ne procédant pas d'une demande d'assistance internationale ne pouvaient plus être notifiés après le 31 décembre 2015 en raison de l'expiration du délai de reprise de droit commun prévu par les dispositions de l'article L. 169 dudit livre. Il suit de là que l'administration n'était pas tenue, à la suite de ce courrier du 4 mai 2015, de procéder à une nouvelle vérification de comptabilité en application des dispositions précitées du 6° de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ni d'envoyer à cet effet un nouvel avis de vérification. La doctrine administrative référencée BOI-CF-PGR-10-60-20120912 invoquée à cet égard est relative à la procédure d'imposition et n'est par suite pas invocable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

5. En deuxième lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une société commerciale a été effectuée, comme il est de règle, dans ses propres locaux, ou, si son dirigeant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire, et notamment pas la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les redressements qu'il envisage de lui notifier ni d'organiser une réunion de synthèse à cet effet.

6. Il résulte de l'instruction que la première intervention sur place a eu lieu le 3 mars 2014 à la demande du dirigeant de la société requérante et que les interventions suivantes ont eu lieu les 11 mars, 25 mars, 1er avril, 8 avril, 13 mai et 27 juin 2014 au siège de la société. Par la suite, une réunion s'est tenue le 30 octobre 2014 en présence de l'expert-comptable au nouveau siège social de la société qui venait d'être absorbée par la société Danfour, et une ultime réunion a eu lieu le 8 décembre 2014 au cabinet de l'expert-comptable en présence du nouveau dirigeant et des avocats de la société. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société requérante, à qui il appartient d'apporter la preuve qu'elle a été privée d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, n'apporte pas cette preuve en se bornant à se prévaloir de ce que l'administration, par son comportement, a empêché la tenue d'une réunion de synthèse à la fin du mois de décembre 2017 et n'a pas discuté avec la société, au regard des documents qui ont été présentés le 8 décembre 2014, le rehaussement envisagé en matière de retenue à la source. Les prises de position adoptées à cet égard par l'administration dans le cadre de sa doctrine sont en tout état de cause relatives à la procédure d'imposition et ne sont par suite pas invocables sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne le délai de reprise :

7. Il résulte de l'instruction que la société requérante a été informée du début des opérations de contrôle par un avis de vérification daté du 4 février 2014 qu'elle a réceptionné le 5 février 2014. Postérieurement à l'envoi de cet avis de vérification, le service a effectué une demande d'assistance administrative internationale le 3 décembre 2014 auprès du Grand-Duché du Luxembourg en application de l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales rappelé au point 2. La société requérante a été informée de cette demande par courrier du 8 décembre 2014 reçu le 9 décembre 2014. Si les autorités luxembourgeoises ont répondu à cette demande le 4 mai 2015, il résulte de l'instruction que cette réponse était provisoire, lesdites autorités indiquant que les informations manquantes parviendraient aux autorités françaises dès que possible. Ces informations manquantes, qui étaient relatives au lieu de direction effective de la société Berlioz Investment, aux noms et adresses des associés, ainsi qu'à la répartition du capital social sur la période vérifiée, étaient, contrairement à ce qui est soutenu, pertinentes au regard des investigations effectuées par les autorités françaises, lesquelles impliquaient l'appréciation de la qualité de bénéficiaire effectif des sommes versées par la société requérante à la société Berlioz Investment, ainsi que du lieu de direction effective de cette société. Le courrier adressé le 4 mai 2015 à l'administration fiscale par les autorités luxembourgeoises, en raison de son caractère provisoire, ne saurait être assimilé à une réponse au sens et pour l'application de l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales faisant courir le délai de reprise. Dans un tel contexte, et en l'absence de réponse des autorités luxembourgeoises, le délai spécial de reprise de l'administration fiscale courait jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle le délai initial de reprise était écoulé, soit jusqu'au 31 décembre 2017. Il est constant que la proposition de rectification du 22 décembre 2017 a été reçue par la société requérante avant cette date. Le moyen tiré de la prescription du délai de reprise doit donc être écarté. La doctrine BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40-20140725, dont il ne saurait être fait une interprétation a contrario, ne fait pas obstacle à ce que l'administration contrôle la qualité de bénéficiaire effectif de la personne ayant perçu les distributions et son lieu de direction effectif, et ne fait en tout état de cause pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède.

En ce qui concerne l'assujettissement à la retenue à la source :

8. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts : " (...) les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source (...) lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Les dividendes distribués par une société établie en France à une société établie dans un autre Etat de l'Union européenne, notamment au Luxembourg, sont au nombre des produits soumis à cette retenue.

9. Toutefois, aux termes de l'article 119 ter de ce code, pris pour la transposition de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. La retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis n'est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal. / 2. Pour bénéficier de l'exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu'elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'elle remplit les conditions suivantes : a) Avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne et n'être pas considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de la Communauté ; (...) c) Détenir directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 % au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l'engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins et désigner, comme en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, un représentant qui est responsable du paiement de la retenue à la source visée au 1 en cas de non-respect de cet engagement ; (...) 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 ".

10. Il résulte de l'instruction que lors de l'assemblée générale ordinaire du 29 avril 2011, la société Berlioz Investment, actionnaire unique de la société Cofima, a décidé la distribution à son profit d'une somme de 4 000 000 euros. De plus, le 7 mars 2012, la société Berlioz Investment a procédé à la réduction du capital de la société Cofima à son profit et en contrepartie, la société Berlioz Investment s'est vu attribuer 75 % des actions composant le capital de la société Aubusson, pour une valeur de 18 000 000 euros et une somme en numéraire de 5 500 000 euros. Pour soumettre ces distributions à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, alors que la société Cofima estimait en être exonérée, l'administration fiscale a relevé que les conditions de l'exonération prévue à l'article 119 ter du même code n'étaient pas remplies.

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Berlioz Investment a son siège à une adresse de domiciliation, et que l'entreprise domiciliataire, la société MAS International est une entreprise prestataire de services fournissant des services dans le secteur de l'administration et de la fiscalité des entreprises. Il n'est en outre pas sérieusement contesté que la société Berlioz Investment n'emploie aucun salarié et que ses dirigeants sont des employés de la société domiciliante. Par ailleurs, il résulte d'un avis de convocation à une assemblée générale extraordinaire que la société Berlioz Investment a adressé le 14 décembre 2011 à la société Jeroda Promotion Ltd, à une date où l'actionnaire était unique, que cette dernière société a son siège dans les îles vierges britanniques sans qu'aucune pièce du dossier ne précise l'identité de ses actionnaires. Dès lors, il n'est pas établi, et cela alors même que la société domiciliataire réalise pour le compte de la société Berlioz Investment un certain nombre de prestations administratives, comptables et fiscales et que la société Berlioz Investment était connue des autorités administratives et fiscales luxembourgeoises, que les décisions stratégiques concernant cette dernière société seraient effectivement prises au Luxembourg, les procès-verbaux de réunion du conseil d'administration étant insuffisants, dans les circonstances de l'espèce, pour établir que les administrateurs se sont effectivement réunis au siège de la société. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que la société Berlioz Investment ait son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne.

12. En deuxième lieu et au surplus, la Cour de justice de l'Union européenne a, dans les motifs de son arrêt du 26 février 2019 Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C-117/16) relevé que la circonstance qu'une société agit comme société relais peut être considérée comme établie lorsque celle-ci a pour unique activité la perception des dividendes et la transmission de ceux-ci au bénéficiaire effectif ou à d'autres sociétés relais. L'absence d'activité économique effective doit, à cet égard, à la lumière des spécificités caractérisant l'activité économique en question, être déduite d'une analyse de l'ensemble des éléments pertinents relatifs, notamment, à la gestion de la société, à son bilan comptable, à la structure de ses coûts et aux frais réellement exposés, au personnel qu'elle emploie ainsi qu'aux locaux et à l'équipement dont elle dispose.

13. La distribution mentionnée au point 10. et consistant en la remise de 75 % des titres de la société Aubusson à la société Berlioz Investment n'a fait que transiter par cette dernière et ce, dans un laps de temps très court, une grande partie des distributions ayant bénéficié aux enfants A... et Mme B... par donation de leurs parents en date du 23 avril 2012. Si la société requérante fait valoir que ces titres ont été transférés à M. et Mme B... en règlement d'une dette qu'ils détenaient à l'égard de la société Berlioz Investment, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'étayer cette allégation.

14. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la société Berlioz Investment a son siège social à une adresse de domiciliation et n'y dispose ni de moyens humains, ni de moyens matériels pour y exercer une quelconque activité, même de holding. Si la société requérante fait valoir que la société Berlioz Investment exerce depuis 1999 une activité réelle, la Cour ne trouve au dossier aucun élément de nature à identifier, en ce qui concerne cette société, l'existence d'une activité distincte de celle de relais dans la perception et la redistribution de dividendes et l'utilisation à ce titre des moyens matériels et humains. Les liasses fiscales produites ne sauraient suffire à permettre une telle identification. Ainsi, et alors même que l'administration n'a établi l'appréhension par un tiers que des titres Aubusson et non des sommes versées en numéraires, et qu'il existerait des doutes sur l'identité de l'associé de la société Berlioz Investment, cette dernière ne saurait être regardée comme le bénéficiaire effectif des distributions en cause.

15. En troisième lieu, et ainsi qu'il a été dit aux points 11. à 14, la société Berlioz Investment ne respectait pas les conditions prévues par le 2. de l'article 119 ter du code général des impôts permettant de bénéficier de l'exonération de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du même code. Le moyen tiré de ce que le 3. de l'article 119 ter dudit code, tel que celui-ci était en vigueur au moment des distributions, serait contraire au droit de l'Union européenne, est inopérant, les dispositions en cause ne constituant pas le fondement de l'imposition en litige.

16. En quatrième lieu, la société requérante fait valoir que le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application des dispositions du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts, une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non résidente qui se trouve, au regard de la législation de son État de résidence, en situation déficitaire, ainsi qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018, aff. 575/17, Sofina SA e.a. aux termes duquel : " Les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes' ". Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment des arrêts du 26 février 2019, aff. 115/16, 118/16, 119/16 et 299/16, N Luxembourg 1 e.a. c/ Skatteministeriet et aff. 116/16 et 117/16, Skatteministeriet c/ T Danmark et Y Denmark Aps qu'en vertu d'un principe général du droit de l'Union, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de ce droit. Il suit de là qu'un contribuable ne saurait réclamer le bénéfice des dispositions du droit de l'Union lorsqu'elles sont invoquées, non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d'un avantage du droit de l'Union alors que les conditions pour en bénéficier ne sont que formellement remplies et que l'invocation de cet avantage n'est ainsi pas cohérente avec les finalités que visent les règles l'ayant institué. Par conséquent, la société Berlioz Investment ne pouvant être regardée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, comme le bénéficiaire effectif des distributions en cause, ni, au surplus, comme ayant son siège de direction effective au Luxembourg, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des normes du droit de l'Union faisant obstacle à la mise en œuvre de la retenue à la source sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.

17. Enfin, la doctrine référencée BOI-RPPM-RCM-30-30-20-10-20160607, n° 110 aux termes de laquelle : " Le siège de direction effective, qui détermine la résidence fiscale de la société mère bénéficiaire, s'entend du lieu où sont, en fait, principalement concentrés les organes de direction, d'administration et de contrôle de la personne morale. Ce critère est couramment utilisé dans les conventions fiscales pour trancher les conflits de résidence des sociétés et autres personnes morales " et la doctrine référencée BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40-20140725 n° 130 qui offre au service la faculté de demander des pièces justificatives des conditions d'exonération, sans faire de cette demande une condition du refus d'exonération, ne font pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède et ne sont par suite pas invocables sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Cofima est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cofima et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).

Délibéré après l'audience du 6 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- M. Segretain, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2024.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLa présidente,

S. VIDAL

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 23PA00449 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00449
Date de la décision : 27/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - LIBERTÉS DE CIRCULATION - LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX - RETENUE À LA SOURCE SUR LES DIVIDENDES VERSÉS À UNE SOCIÉTÉ NON RÉSIDENTE (2 - DE L'ART - 119 BIS DU CGI) - COMPATIBILITÉ AVEC LA LIBERTÉ DE CIRCULATION DES CAPITAUX - ABSENCE LORSQUE CETTE SOCIÉTÉ SE TROUVE - AU REGARD DE LA LÉGISLATION DE SON ETAT DE RÉSIDENCE - EN SITUATION DÉFICITAIRE - APPLICATION AU CAS OÙ LA SOCIÉTÉ NON RÉSIDENTE N'EST PAS LE BÉNÉFICIAIRE EFFECTIF DES SOMMES VERSÉES OU N'A PAS SON SIÈGE DE DIRECTION EFFECTIVE DANS L'ETAT DE RÉSIDENCE CONCERNÉ - ABSENCE.

15-05-01-03 Le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts (CGI), une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non résidente qui se trouve, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire ([RJ1]). Toutefois, un contribuable ne saurait réclamer le bénéfice des dispositions du droit de l'Union lorsqu'elles sont invoquées, non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d'un avantage du droit de l'Union alors que les conditions pour en bénéficier ne sont que formellement remplies et que l'invocation de cet avantage n'est ainsi pas cohérente avec les finalités que visent les règles l'ayant institué ([RJ2]). Par conséquent, lorsque la société non-résidente qui a reçu les versements n'est pas le bénéficiaire effectif des distributions en cause, ou n'a pas son siège de direction effective dans l'Etat de résidence concerné, la société distributrice n'est pas fondée à se prévaloir des normes du droit de l'Union faisant obstacle à la mise en œuvre de la retenue à la source sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - PRESCRIPTION - PROROGATION DU DÉLAI DE REPRISE EN CAS DE DEMANDE D'INFORMATION À L'AUTORITÉ COMPÉTENTE D'UN AUTRE ETAT AVANT L'EXPIRATION DE CE DÉLAI (ART - L - 188 A DU LPF) - INCIDENCE D'UNE RÉPONSE PROVISOIRE - ABSENCE.

19-01-03-04 Les dispositions de l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales prévoient que lorsque l'administration a, dans le délai initial de reprise, demandé à l'autorité compétente d'un autre Etat ou territoire des renseignements concernant un contribuable, elle peut réparer les omissions ou les insuffisances d'imposition afférentes à cette demande, même si le délai initial de reprise est écoulé, jusqu'à la fin de l'année qui suit celle de la réception de la réponse et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle le délai initial de reprise est écoulé. Une réponse provisoire des autorités étrangères ne saurait être assimilée à une réponse au sens et pour l'application de l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales faisant courir le délai de reprise.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - RÈGLES GÉNÉRALES - IMPÔT SUR LE REVENU - COTISATIONS D`IR MISES À LA CHARGE DE PERSONNES MORALES OU DE TIERS - RETENUES À LA SOURCE - RETENUE À LA SOURCE SUR LES DIVIDENDES VERSÉS À UNE SOCIÉTÉ NON RÉSIDENTE (2 - DE L'ART - 119 BIS DU CGI) - COMPATIBILITÉ AVEC LA LIBERTÉ DE CIRCULATION DES CAPITAUX - ABSENCE LORSQUE CETTE SOCIÉTÉ SE TROUVE - AU REGARD DE LA LÉGISLATION DE SON ETAT DE RÉSIDENCE - EN SITUATION DÉFICITAIRE - APPLICATION AU CAS OÙ LA SOCIÉTÉ NON RÉSIDENTE N'EST PAS LE BÉNÉFICIAIRE EFFECTIF DES SOMMES VERSÉES OU N'A PAS SON SIÈGE DE DIRECTION EFFECTIVE DANS L'ETAT DE RÉSIDENCE CONCERNÉ - ABSENCE.

19-04-01-02-06-01 Le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts (CGI), une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire ([RJ1]). Toutefois, un contribuable ne saurait réclamer le bénéfice des dispositions du droit de l'Union lorsqu'elles sont invoquées, non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d'un avantage du droit de l'Union alors que les conditions pour en bénéficier ne sont que formellement remplies et que l'invocation de cet avantage n'est ainsi pas cohérente avec les finalités que visent les règles l'ayant institué ([RJ2]). Par conséquent, lorsque la société non résidente qui a reçu les versements n'est pas le bénéficiaire effectif des distributions en cause, ou n'a pas son siège de direction effective dans l'Etat de résidence concerné, la société distributrice n'est pas fondée à se prévaloir des normes du droit de l'Union faisant obstacle à la mise en œuvre de la retenue à la source sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : CABINET ARCHERS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-27;23pa00449 ?
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