Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Kerac a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'exercice 2016, dans leur totalité s'agissant des prestations de nature technique facturées par la société Acheka, et à hauteur de 70% s'agissant des prestations facturées par la société Enka.
Par un jugement n° 2100235 du 6 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 avril, 28 septembre et 2 novembre 2023, la société Kerac, représentée par Me Michelot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'exercice 2016, dans leur totalité s'agissant des prestations facturées par la société Acheka, et à hauteur de 70% s'agissant des prestations facturées par la société Enka.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé en ce qu'il considère que les prestations facturées l'ont été à plus de 90% à des fins étrangères à la société ; il en va de même s'agissant de la réponse au moyen fondé sur la réalité et la nature des prestations rendues ;
- la procédure de l'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales aurait dû être mise en œuvre et la procédure d'imposition est donc irrégulière ;
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée déductible ne peuvent être fondés sur l'existence supposée d'un acte anormal de gestion dès lors que les factures produites n'ont pas été qualifiées de fictives par l'administration ;
- la proportion de 90 % des factures supposément engagées hors intérêt de la société ne peut pas être retenue pour fonder les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;
- elle justifie de la réalité des prestations techniques facturées, lesquelles sont détachables de celles de direction ;
- l'acte anormal de gestion n'est pas caractérisé ;
- l'administration n'établit pas l'existence d'un manquement délibéré et a ainsi méconnu les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 juin et 7 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Kerac ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellig, rapporteure ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Michelot, pour la société requérante.
Considérant ce qui suit :
1. La société Kerac, spécialisée dans la confection et le commerce de chaussures, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été notifiés par proposition de rectification du 5 juin 2018. La société requérante relève appel du jugement du 6 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge partielle de ces impositions.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par la société Kerac, ont suffisamment motivé leur jugement, en particulier leur réponse au moyen fondé sur la nature et la réalité des prestations rendues, ainsi qu'à celui tiré de la méconnaissance du IV de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
4. Il résulte de l'instruction que la société Kerac a conclu une convention de prestations de services avec la société Acheka et la société Enka, prenant effet au 1er novembre 2016 et tendant à la réalisation de prestations de conseil et d'assistance commerciale, technique et de gestion. L'administration fait valoir que ces prestations font double emploi avec les fonctions de direction exercées par M. B... C... et M. A... C..., directeurs généraux de la société Kerac et que la société n'en retire dès lors aucune contrepartie réelle. Elle en conclut que les charges correspondantes ne se rattachent pas à la gestion normale de la société Kerac et ne sont donc pas déductibles de son résultat fiscal. Il est toutefois constant que, concomitamment à la création des deux sociétés Acheka et Enka, à la tête desquelles figurent les membres de la famille C..., la société Kerac a pris la décision de ne plus rétribuer les fonctions de ses dirigeants. Il est également constant que le montant des prestations facturées par ces deux sociétés est strictement identique au montant des rémunérations antérieurement perçues par les dirigeants de l'entreprise. Il en résulte que, alors même que la décision de ne plus rétribuer ses dirigeants constituerait, ainsi que le fait valoir le service, une décision de gestion opposable, le choix de la société Kerac de recourir aux services de sociétés tierces pour exercer les fonctions relevant en principe des dirigeants n'a eu ni pour objet, ni pour effet de l'appauvrir, de quelque manière que ce soit. Dans ces conditions, l'administration n'établit pas l'existence d'un acte anormal de gestion.
5. Par ailleurs, ainsi qu'il vient d'être exposé, les prestations facturées par les sociétés Acheka et Enka correspondent à l'exercice de leurs fonctions de direction par M. B... C... et M. A... C..., pour un montant strictement identique à celui de leur rémunération par la société Kerac antérieurement au 1er novembre 2016. La société établit donc l'existence et la valeur de la contrepartie retirée par la société à hauteur du montant des charges déduites. En se bornant à soutenir que les prestations facturées feraient double emploi avec les fonctions de direction, lesquelles ont pourtant cessé d'être rémunérées directement par la société Kerac, l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de ce que ces charges, déductibles par nature, seraient dépourvues de contrepartie, qu'elles auraient une contrepartie dépourvue d'intérêt pour la société ou que la rémunération de cette contrepartie serait excessive.
6. Il s'ensuit que l'administration n'établit pas davantage que les services acquis par la société Kerac auraient été utilisés à plus de 90 % à des fins étrangères à l'entreprise, en application des dispositions de l'article 271 du code général des impôts.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Kerac est fondée, dans la limite de ses conclusions, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100235 du 6 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : Les bases des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés assignés à la société Kerac au titre de l'année 2016 sont réduites du montant des prestations facturées par la société Acheka et à hauteur de 70 % du montant des prestations facturées par la société Enka.
Article 3 : La société Kerac est déchargée, en droits et pénalités, des rappels d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée qui correspondent à la réduction des bases d'imposition prononcée à l'article 2.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Kerac et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Delage, président assesseur,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2024.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01336 2