Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'ordonner avant dire droit la réalisation d'une expertise et de condamner la province Sud à lui verser 2 386 635 francs CFP, à titre de provision, en réparation des préjudices résultant d'une chute de vélo survenue le 11 août 2018.
Par jugement n° 2300228 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2023, Mme A..., représentée par Me Dupuy, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300228 du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de condamner la province Sud à lui verser, à titre de provision, une somme de 2 386 635 francs CFP ;
3°) d'ordonner une expertise afin de déterminer et de chiffrer l'ensemble des préjudices engendrés par cet accident ;
4°) de mettre à la charge de la province Sud la somme de 150 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'accident est la conséquence de l'absence d'informations claires et précises sur la nature des dangers pouvant émailler le parcours en vélo mais aussi de l'absence de glissières de sécurité l'empêchant de basculer dans le vide et engage la responsabilité de la province Sud pour défaut d'entretien normal et de signalisation de l'ouvrage public ;
- aucune faute exonératoire tirée de ce qu'elle n'aurait pas respecté le règlement intérieur applicable à l'ouvrage public et de ce que la configuration des lieux présupposerait une faute de la victime ne peut lui être opposée ;
- la province Sud doit être condamnée à l'indemniser de l'intégralité des préjudices qu'elle a subis à savoir des souffrances, un préjudice esthétique, un déficit fonctionnel permanent, et des pertes de revenus, dont le montant exact devra être précisé par une expertise mais pour la réparation desquels la somme de 2 386 635 francs CFP peut lui être versée à titre de provision.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2024, la province Sud, représentée par Me Lazennec, conclut au rejet de la requête de Mme A... et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à sa charge en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par courrier du 8 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement en raison de l'absence de mise en cause par le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de l'organisme de sécurité sociale.
Des observations produites en réponse à cette information, présentées pour la province Sud, ont été enregistrées le 14 octobre 2024.
Des observations produites en réponse à ces observations, présentées pour Mme A..., ont été enregistrées le 15 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;
- la délibération n° 145 du 29 janvier 1969 ;
- la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gabriel, pour la province Sud.
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 août 2018, Mme A... a été victime d'un accident alors qu'elle se promenait à vélo dans le parc provincial de la rivière bleue sur le pont en bois " des trois fûts " situé dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie. Alors qu'elle s'était engagée sur l'une des bandes de roulement situées sur le côté et destinées aux voitures et camions, la roue de son vélo s'est encastrée dans l'un des interstices séparant les planches implantées dans le sens longitudinal. Sa bicyclette a été brusquement immobilisée, elle a été projetée vers l'avant et a, en l'absence de barrière de sécurité, chuté dans le lit de la rivière située en contrebas. Cette chute a entraîné de multiples fractures au niveau de l'épaule, du coude et du pouce droit. Le 30 décembre 2022, elle a formé auprès de la province Sud une demande préalable d'indemnisation des préjudices qu'elle a subis à raison de cette chute, demande qui a été rejetée par une décision du 28 février 2023. Par jugement du 28 septembre 2023, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée et à la condamnation de la province Sud à lui verser la somme de 2 386 635 francs CFP, à titre de provision, en réparation des préjudices qu'elle a ainsi subis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 44 de la délibération n° 145 du 29 janvier 1969 instituant un régime d'assurance-maladie invalidité au profit des travailleurs salariés, dont les dispositions ne sont pas contraires à celles de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, l'accident ou la blessure dont l'assuré est victime est imputable à un tiers, [la CAFAT] est [subrogée] de plein droit à l'intéressé ou à ses ayants droit dans leur action contre le tiers responsable pour le remboursement des dépenses qui lui occasionne l'accident ou la blessure / L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer [en tout état de] la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident / La victime, ou ses ayants droit, doivent appeler la [CAFAT] en déclaration de jugement commun ou réciproquement / A défaut de l'indication de la qualité de l'assuré social ou de l'appel en déclaration de jugement commun, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans à compter de la date à partir de laquelle le ledit jugement est devenu définitif soit à la requête du ministère public, soit à la demande de [la CAFAT] / L'assuré ou ses ayants droit conservent contre le tiers responsable tous droits de recours en réparation du préjudice causé sauf en ce qui concerne les dépenses de la [CAFAT] / Le règlement amiable pouvant intervenir entre le tiers et l'assuré, ne peut être opposé à [la CAFAT] qu'au tant que [celle-ci] a été [invitée] à y participer par lettre recommandée et ne devient définitif que quinze jours après l'envoi de cette lettre / Lorsque le tiers responsable ou sa Compagnie d'Assurances ont versé l'indemnité à leur charge et lorsque les droits ont été ouverts, l'assuré est considéré comme ayant bénéficié des prestations, même si [la CAFAT] ne les a pas versées effectivement ".
3. En vertu de ces dispositions, dans leur rédaction applicable à la date du jugement attaqué, la CAFAT qui est tenue de servir à l'assuré ou à ses ayants droit des prestations, est admise à en poursuivre le remboursement auprès du tiers responsable. Il appartient ainsi au juge administratif, qui dirige l'instruction, de mettre en cause la CAFAT qui a servi des prestations à un assuré social, victime d'un accident dont il impute la responsabilité à un tiers. A la suite de cette mise en cause, la CAFAT devient partie à l'instance engagée par son assuré. Il appartient dès lors au juge administratif de relever, le cas échéant, en appel qu'en ne communiquant pas la demande de l'assuré ou de ses ayants droit à la CAFAT, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité.
4. En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure suivie devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie qu'en ayant omis de mettre en cause d'office la CAFAT en vue de l'exercice par celle-ci de l'action mentionnée ci-dessus, les premiers juges ont méconnu la portée des dispositions de l'article 44 de la délibération n° 145 du 29 janvier 1969. Dès lors, en ne communiquant pas la requête introduite par Mme A... à l'organisme de sécurité sociale auquel elle est affiliée, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a statué à l'issue d'une procédure irrégulière. Cette irrégularité que la cour doit soulever d'office est de nature à justifier l'annulation du jugement.
Sur l'engagement de la responsabilité de la province Sud :
5. Il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage qu'il invoque. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
6. Il résulte de l'instruction que l'accident dont a été victime Mme A... s'est déroulé en plein jour et par temps clair, alors que de faibles pluies avaient eu lieu en début d'après-midi, dans un parc de vingt-deux mille hectares constituant un espace naturel et protégé à l'entrée duquel un panneau attire l'attention des visiteurs sur le fait qu'ils circulent à leurs risques et périls, les appelant ainsi à la vigilance. Il résulte également de l'instruction que le règlement intérieur du parc provincial de la rivière bleue précise, en son article 3 relatif aux règles de circulation dans le périmètre du parc que, s'agissant des vélos : " sur les ponts, la circulation n'est autorisée qu'au milieu et non sur les bandes de roulements ". Le récépissé du ticket acquitté par Mme A... le jour de l'accident à l'entrée du parc comporte une case " je reconnais avoir pris connaissance de la réglementation en vigueur dans le parc " qui a été cochée, alors que la profession d'huissier de justice exercée par Mme A... lui permettait de mesurer les conséquences d'une telle mention. Si elle fait valoir que ce ticket ne comportait ni la référence à la délibération du 9 décembre 2013 portant règlement intérieur du parc, ni à l'article 3 précité, ni la citation de l'ensemble de ce règlement intérieur et qu'il ne lui a pas été proposé de le lire, elle ne soutient pas qu'elle aurait vainement sollicité la communication de ce règlement. Il résulte par ailleurs de l'instruction et notamment de la photographie du pont des trois fûts produite en défense par la province Sud devant le tribunal, à supposer même qu'elle ait été prise dans le sens inverse de celui emprunté par Mme A..., que cet ouvrage présente clairement des zones distinctes : au centre des traverses très rapprochées positionnées à la perpendiculaire du sens de la circulation, au même niveau que la voie, et destinées à être empruntées par les piétons et les cyclistes, encadrées de part et d'autre par des bandes de roulement composées de planches implantées dans l'axe de la route et séparées par de larges interstices, ces bandes étant elles-mêmes bordées vers l'extérieur par des dispositifs de guide-roues. Ces bandes de roulement sont nettement surélevées par rapport à la piste centrale et sont, du fait de leur configuration, visiblement destinées à la circulation des véhicules motorisés, les interstices présents entre les planches, implantées longitudinalement dans l'axe de la route étant très apparents et présentant un espacement tel qu'ils ne peuvent être ignorés par les cyclistes. Si Mme A... fait valoir que ce pont est situé dans un virage, elle ne conteste pas sérieusement que la route est aplanie et dégagée à son approche, quel que soit le sens de la circulation emprunté. Enfin, si elle relève l'absence de parapets ou de glissière de sécurité, il résulte toutefois de l'instruction que le pont des trois fûts constitue un pont submersible destiné, par construction, à assurer une transparence hydraulique permettant le franchissement de l'eau sans obstacle en cas de crue ou d'épisode orageux de forte intensité de sorte que l'absence d'aménagement de type parapet ou glissière de sécurité n'est pas de nature à caractériser un défaut d'entretien normal de la portion de voirie en litige. Au vu de l'ensemble de ces éléments, compte tenu de la configuration des lieux et de la vigilance qui peut être normalement attendue d'un cycliste évoluant dans un vaste espace naturel comportant des cours d'eau et des ponts adaptés au milieu naturel dans lesquels ils s'implantent, l'absence de signalisation spécifique du potentiel danger qu'il y avait, pour les cyclistes, à circuler sur la bande réservée aux pneumatiques des véhicules motorisés ne saurait caractériser un défaut d'entretien normal de nature à engager la responsabilité de la province Sud. Si les tickets d'entrée du parc des trois rivières précisent désormais, en leur verso, que le franchissement des ponts se fait sur la zone axiale et si des vélos ont, depuis, été peints au pochoir sur cette zone axiale pour matérialiser cette consigne, ces circonstances ne sauraient suffire à démontrer rétrospectivement l'insuffisance de l'entretien de l'ouvrage ni à minimiser l'imprudence alors commise par Mme A... en roulant sur cette partie du pont visiblement inadaptée aux cyclistes.
7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, Mme A... n'est pas fondée à demander la condamnation de la province Sud à l'indemniser des préjudices qu'elle a subis lors de sa chute de vélo le 11 août 2018.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la province Sud, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que la province Sud demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2300228 du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et la requête d'appel de Mme A... sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la province Sud sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la province Sud.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
La rapporteure,
A. Collet La présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05401