Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner avant dire droit une expertise médicale et de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme globale de 393 680,10 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge fautive au sein du service d'urologie de l'hôpital Tenon. La société CPSP Sourcing est intervenue volontairement à l'instance et a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 42 105,96 euros. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne est également intervenue à l'instance, et a demandé au tribunal administratif de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 55 087,29 euros au titre de ses débours et de réserver ses droits quant aux prestations qui pourraient être versées ultérieurement.
Par un jugement n° 1711919/6-3 du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a admis l'intervention de la société CPSP Sourcing, condamné l'AH-HP à verser à Mme B... la somme de 15 000 euros en réparation de ses préjudices et rejeté le surplus des demandes de Mme B... ainsi que celles de la société CPSP Sourcing et de la CPAM du Val-de-Marne.
Par un arrêt n° 20PA00869 du 29 mars 2022, la cour a, sur appel principal de Mme B... et de la CPSP Sourcing, d'une part, porté à 74 619,38 euros la somme que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mme B... par le jugement du 9 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris et l'a en outre condamnée à lui verser une rente mensuelle de 549,33 euros à revaloriser par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, d'autre part, condamné l'AP-HP à verser à la CPAM du Val-de-Marne, au titre de ses débours, la somme de 40 321,08 euros portant intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour un montant de 1 114 euros et, enfin, après avoir réformé le jugement, rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par une décision n° 464464 du 13 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 29 mars 2022 de la cour en tant qu'il condamne l'AP-HP à réparer les préjudices résultant du défaut d'information préalable et des fautes médicales qu'il a retenues, subies par Mme B... à l'occasion de sa prise en charge et, après avoir rejeté le pourvoi incident de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête, a renvoyé à la cour, dans cette mesure, le jugement de l'affaire, qui y a été enregistrée sous le n° 23PA04376.
Procédure devant la cour après retour de cassation :
Par un mémoire en reprise d'instance après cassation enregistré le 10 janvier 2024, et un mémoire enregistré le 19 septembre 2024, qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Joseph-Oudin, persiste dans ses conclusions tendant à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme globale de 393 680,10 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge fautive au sein du service d'urologie de l'hôpital Tenon et demande que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'AP-HP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas été correctement informée sur les risques inhérents à l'intervention, en méconnaissance de l'article L. 1111-2 alinéas 1, 2 et 3 du code de la santé publique ;
- le risque lié à l'opération chirurgicale, à savoir la perforation du colon, s'est réalisé en raison d'un manque évident de prise en compte de ses antécédents, par l'absence d'une réunion de l'équipe en charge de ce dossier mais également par l'absence de réalisation d'une imagerie à l'hôpital Tenon qui aurait largement permis de mesurer le risque de perforation du colon via la procédure envisagée particulièrement dans cette position, et par l'absence de réalisation d'une échographie peropératoire ;
- cette faute a entrainé une perte de chance d'échapper au dommage de l'ordre de 90 % ;
- en appliquant le barème d'indemnisation des cours d'appel judiciaires figurant à la Gazette du Palais 2018, les préjudices que Mme B... a subis doivent être évalués comme suit, après application du taux de perte de chance de 90 % :
* déficit fonctionnel temporaire : 3 304 euros ;
* souffrances endurées : 18 000 euros ;
* préjudice esthétique temporaire : 1 800 euros ;
* déficit fonctionnel permanent : 30 960 euros ;
* préjudice d'agrément : 7 200 euros ;
* préjudice esthétique permanent : 4 500 euros ;
* préjudice sexuel : 9 000 euros ;
* préjudice permanent exceptionnel : 30 000 euros ;
* dépenses de santé actuelles : 376 euros ;
* assistance tierce personne temporaire : 9 274 euros ;
* assistance tierce personne permanente : 223 266,44 euros ;
* incidence professionnelle : 9 000 euros ;
- son préjudice moral d'impréparation doit par ailleurs être évalué à 50 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 2 août 2024, la CPAM du Val-de-Marne, représentée par Me Kato, demande la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 50 673,86 euros sur laquelle il conviendra d'appliquer l'éventuel taux de perte de chance qui sera retenu, au titre de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, de réserver ses droits quant aux prestations qui pourraient être versées ultérieurement, de condamner l'AP-HP à lui verser les dépenses de santé futures au fur et à mesure de leur engagement, pour un capital représentatif de 4 413,43 euros, sur lequel il conviendra d'appliquer l'éventuel taux de perte de chance qui sera retenu, avec intérêt au taux légal à compter dudit engagement, ou de la décision à intervenir si l'AP-HP opte pour un versement en capital, de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que, selon un décompte établi le 3 janvier 2019, sa créance définitive s'établit à 48 417,58 euros en ce qui concerne les frais médicaux et assimilés, à 2 256,28 euros en ce qui concerne les indemnités journalières et à 4 413,43 euros en ce qui concerne les frais futurs.
Par un mémoire enregistré le 5 août 2024, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, persiste dans ses conclusions tendant, à titre principal, au rejet de la requête de Mme B... et, à titre subsidiaire, à ce que les condamnations prononcées à son encontre soient ramenées à de plus justes proportions.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dillits, pour Mme B..., et de Me Tsouderos, pour l'AP-HP.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., qui souffrait de calculs rénaux depuis plusieurs années, a subi le 31 mai 2016 une néphrolithotomie percutanée et lithotritie laser (NPLC), selon la technique dite " mini-perc ", au sein de l'unité d'urologie de l'hôpital Tenon à Paris. Cette intervention a occasionné une perforation du colon et la création d'une fistule entre cet organe et le rein, dont ont résulté de multiples complications. La patiente a recherché l'indemnisation des préjudices en résultant. Par un jugement du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, à ce titre, la somme de 15 000 euros. Sur appel de Mme B... et de son employeur, la société CPSP Sourcing, et appel incident de l'AP-HP, la cour administrative d'appel de Paris a porté cette somme à 74 619,38 euros, a condamné l'AP-HP à verser à la requérante une rente mensuelle de 549,33 euros à revaloriser par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, a condamné l'AP-HP à verser à la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) du Val-de-Marne, au titre de ses débours, la somme de 40 321,08 euros portant intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour un montant de 1 114 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par une décision du 13 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 29 mars 2022 de la cour en tant qu'il condamne l'AP-HP à réparer les préjudices résultant du défaut d'information préalable et des fautes médicales qu'il a retenues, subies par Mme B... à l'occasion de sa prise en charge, et a renvoyé à la cour, dans cette mesure, le jugement de l'affaire, après avoir rejeté le pourvoi incident de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur le périmètre du litige après cassation :
2. Dans sa décision du 13 octobre 2023, le Conseil d'Etat, après avoir jugé que la cour avait commis une erreur de droit en admettant le droit de Mme B... à être indemnisée de l'intégralité des préjudices subis, alors que les fautes qu'elle avait retenues lors de la prise en charge de Mme B... avaient seulement compromis ses chances d'éviter le dommage qui en est à l'origine, a, sans examiner les moyens d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits et de dénaturation des pièces du dossier en ce que la cour avait estimé que les conditions de réalisation de la néphrolithotomie par voie percutanée étaient fautives, annulé l'arrêt du 29 mars 2022 de la cour en tant qu'il condamne l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à réparer les préjudices résultant du défaut d'information préalable et des fautes médicales qu'il a retenues, et non pas seulement en tant que la cour n'a pas limité le dommage dont elle a reconnu l'AP-HP responsable aux conséquences de la chance perdue, du fait des fautes commises, d'éviter le préjudice. Il en résulte que, cette décision ne pouvant être regardée comme ayant laissé subsister la reconnaissance de la faute retenue dans l'arrêt partiellement annulé, la cour, à laquelle l'affaire a été renvoyée dans la mesure de l'annulation ainsi prononcée, doit à nouveau se prononcer sur la responsabilité de l'AP-HP et, le cas échéant, sur la nature des préjudices indemnisables et sur l'indemnisation de ces préjudices.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne le défaut d'information préalable :
3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser ".
4. En présence de plusieurs techniques alternatives à celle pratiquée, Mme B... reproche à l'AP-HP de ne pas avoir été informée des risques fréquents ou graves normalement prévisibles susceptibles de survenir lors d'une NPLC selon la technique dite " mini-perc ". L'AP-HP fait valoir que Mme B... avait déjà reçu l'information requise relative aux différentes thérapeutiques envisageables en 2009, lors d'une précédente intervention, que ces informations lui ont de nouveau été communiquées lors des consultations réalisées à l'hôpital Tenon les 30 juin 2015 et 2 mai 2016, puis au téléphone le 4 mai 2016, avec le Dr A.... Toutefois, d'une part, l'information délivrée près de sept ans auparavant avant la réalisation d'une lithotripsie extracorporelle (LEC) ne saurait être regardée comme de nature à constituer l'information requise à l'occasion de la réalisation d'une NPLC, alors au surplus qu'il résulte de l'instruction que les techniques ont fortement évolué pendant cette période. D'autre part, Mme B... soutient que l'information délivrée par le docteur E... en 2015 et le docteur C... en 2016 portait essentiellement sur la technique de l'urétéroscopie souple avec vaporisation au laser (URSS) que ces deux médecins lui ont proposée, afin de la rassurer eu égard à ses réticences à la pose d'une sonde que cette technique implique. Il ne ressort pas des comptes-rendus établis à l'issue de ces consultations que, contrairement aux allégations de Mme B..., l'information qui lui a été délivrée aurait également porté sur la technique de la NPLC, qui n'est recommandée en première intention que pour les calculs de plus de 2 cm ou complexes, et dont l'AP-HP indique elle-même qu'elle est peu pratiquée par rapport aux autres techniques existantes. Le docteur E... indique ainsi que " en raison de la densité, du caractère rétracté et du bassinet autour du calcul, je prévois d'emblée la réalisation d'une urétéroscopie souple avec vaporisation au laser. J'explique à la patiente la technique, son intérêt et ses inconvénients ", et le docteur C... mentionne seulement " CAT : URSS G ". Enfin, s'agissant de l'entretien téléphonique du 4 mai 2016, au cours duquel la NPLC a finalement été proposée à Mme B..., celle-ci soutient que le docteur A... aurait surtout insisté sur les avantages de cette technique et n'aurait pas mentionné les risques, s'agissant notamment de la perforation du colon. Quand bien même la preuve de la délivrance de l'information requise qui incombe à l'établissement public de santé peut être délivrée par tous moyens, en se bornant à produire une attestation non circonstanciée de l'assistante du docteur A... établie le 10 septembre 2018, soit plus de deux ans après la conversation téléphonique dont celle-ci aurait été témoin, l'AP-HP n'établit pas avoir respecté l'obligation qui lui incombe. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'un défaut d'information fautif était caractérisé s'agissant de l'information délivrée relativement aux risques fréquents ou graves de l'intervention chirurgicale du 31 mai 2016.
En ce qui concerne la faute médicale :
5. Aux termes des dispositions l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, que s'agissant de la technique dite de la lithotripsie extra-corporelle utilisée dans le cas de Mme B..., la perforation d'un organe adjacent, colon, foie ou rate, est exceptionnelle - moins de 0.4 % des cas. Tant l'expert que le médecin mandaté par l'assureur de Mme B... indiquent que Mme B... présentait un risque accru, eu égard à ses antécédents médicaux et à la particularité de sa physiologie résultant d'une splénectomie ayant rapproché le côlon du rein, parfaitement visible selon eux sur la " coloscopie virtuelle " réalisée le 2 avril 2016 dans une clinique privée de Charenton-les-Ponts, surtout en position de décubitus dorsal. L'AP-HP fait valoir que cette particularité était connue des docteurs A... et D... qui, selon le compte-rendu opératoire imprimé le 19 juillet 2016, ont opéré Mme B..., le compte-rendu imprimé le 6 juin 2016 mentionnant à tort le docteur F.... Elle indique, d'une part, que ceux-ci ont nécessairement eu accès au dossier médical de Mme B... et notamment au scanner abdomino-pelvien réalisé le 8 avril 2016 à l'hôpital Mondor, qualifié d'uroscanner par Mme B..., qui est mentionné dans le compte-rendu opératoire et, d'autre part, qu'il en a été tenu compte en plaçant Mme B... en décubitus latéral de 30°. Toutefois, l'AP-HP ne donne aucun élément permettant d'établir que le docteur D..., qui a opéré Mme B... sans l'avoir rencontrée auparavant, a bien pris connaissance, avant l'intervention chirurgicale, du scanner abdomino-pelvien réalisé le 8 avril 2016 à l'hôpital Mondor, qui n'a été communiqué à l'expert que le 6 septembre 2018 et ne faisait donc pas partie du " dossier médical " déjà communiqué par la patiente et l'hôpital, ni que ce scanner, réalisé en vue de rechercher un " syndrome occlusif ", était suffisant au regard des exigences liées à l'intervention en cause. Il n'est pas non plus établi ni même allégué par l'AP-HP que la " coloscopie virtuelle " réalisée le 2 avril 2016, dont Mme B... se prévaut, aurait figuré au dossier médical de celle-ci et aurait été consultée par le chirurgien. Dans ces conditions, et à supposer même que les données acquise de la science à la date à laquelle l'acte a été réalisé n'aient pas imposé, au cas d'espèce, la réalisation de l'acte sous double contrôle échographique et radiologique, l'insuffisance, en présence d'un risque opératoire inhabituel, des contrôles pré et peropératoires mis en place, qui n'a pas permis d'éviter la perforation du colon, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP.
Sur le lien de causalité et la perte de chance :
7. Il résulte de l'instruction que la perforation colique dont Mme B... a été victime a entraîné la poursuite de l'hospitalisation de la patiente pendant environ un mois, la réalisation consécutive de multiples interventions et des troubles digestifs dus à la complication immédiate. Mme B... a également souffert d'abcès de la gouttière pariéto-colique gauche et d'infections associées aux soins. Elle a par ailleurs présenté, à distance de l'intervention, des troubles locomoteurs de la paroi thoracique antérieure et de l'épaule gauche, qui n'étaient pas présents avant l'intervention du 31 mai 2016. Si l'AP-HP conteste l'imputabilité de ces complications à l'intervention litigieuse, il résulte de l'expertise que la patiente a dû décompenser une pathologie rhumatismale à la fin de l'hospitalisation compte-tenu de sa longueur et de ses conditions, Mme B... ayant dû garder le bras gauche allongé pour ménager l'accès veineux aux fins de soins et de nutrition pendant cette période. Dans ces conditions, le lien de causalité entre les fautes commises et les complications rhumatismales doit être regardée comme suffisamment établi.
En ce qui concerne la perte de chance liée au défaut d'information :
8. En cas de manquement à l'obligation d'information, posée par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
9. Les risques, d'une perforation d'un organe adjacent au rein dans le cadre de la technique de NLPC ont été estimés par l'expert désigné par le tribunal à moins de 1 %. Il résulte de l'instruction que cette technique présente des avantages, notamment en termes de suites opératoires allégées, et que Mme B... a exprimé à plusieurs reprises sa réticence quant à la pose d'une sonde impliquée par une urétéroscopie que la NPLC permet précisément d'éviter. Il résulte cependant également de l'instruction que, en dépit de ses réticences, Mme B... avait accepté, dès le 3 mai 2016, le principe d'une urétéroscopie et proposé une date en mai 2016, et ce alors même qu'elle avait précédemment mal toléré ce type d'intervention. Il résulte également des pièces du dossier que l'intéressée était pleinement consciente des particularités tenant à ses antécédents et à la splénectomie sur laquelle elle avait attiré l'attention du Dr A..., et qu'elle redoutait de souffrir compte tenu de sa résistance à la morphine. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et compte tenu, notamment, du caractère exceptionnel du risque, et de la préférence marquée par Mme B..., compte tenu de ses contraintes professionnelles, pour des suites opératoires allégées, la chance perdue par l'intéressée de renoncer à l'intervention doit être arrêtée à 20 %.
En ce qui concerne la perte de chance liée à la faute médicale commise :
10. Dans le cas où une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé a seulement compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, en raison de ce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. En revanche, lorsque le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé. Au cas d'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal, que la faute médicale mentionnée au point 6 a fait perdre à Mme B... une chance qui doit être arrêtée à 90 % d'éviter les dommages qui sont advenus.
11. Pour fixer le taux de la perte de chance subie par l'intéressé à raison du cumul du défaut d'information sur les risques liés à l'opération et de la faute médicale ayant entraîné une perte de chance d'éviter la réalisation du risque, il incombe à la cour d'additionner, d'une part le taux de la perte de chance pour Mme B... de se soustraire à l'opération, d'autre part, le taux de sa perte de chance résultant de la faute médicale commise lors de l'opération, ce taux étant multiplié par la probabilité qu'elle ait accepté l'opération si elle avait été informée du risque qu'elle comportait. Eu égard, d'une part, à la probabilité de 20 % que Mme B... ait refusé l'opération si elle avait été informée du risque de perforation du colon qu'elle comportait et, d'autre part, à la perte de 90 % de chance résultant de la faute médicale commise lors de sa prise en charge, le taux global de perte de chance doit être arrêté à 92 % (20 % + (90 % x 80 %)).
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne la créance de la CPAM :
12. Il résulte de l'instruction, notamment des relevés de débours produits par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, que cette dernière a exposé, du fait des dommages subis par Mme B..., les sommes de 46 869,22 euros au titre des frais hospitaliers, de 1 224,28 euros au titre de frais médicaux, de 161,05 euros au titre de frais pharmaceutiques, de 71,69 euros au titre de frais de transport et 2 256,28 euros au titre des indemnités journalières versées à son assurée du 7 juin 2016 au 29 juillet 2019. Elle justifie par ailleurs, au titre de frais futurs versés entre la date de consolidation et la date du présent arrêt, pour un montant de 4 413,43 euros au titre des frais futurs. Il sera fait une exacte appréciation de sa créance en lui allouant, après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme totale de 50 596,27 euros au titre de ses débours.
En ce qui concerne les demandes indemnitaires de Mme B... :
Quant aux préjudices patrimoniaux :
S'agissant des frais divers :
13. Mme B... demande à être indemnisée des dépenses de santé non prises en charge par les organismes sociaux. Toutefois, en-dehors des frais de transport du 30 juin 2016, il ne ressort pas du libellé des justificatifs qu'elle produit que les frais en cause sont en lien avec les conséquences de l'accident médical survenu le 31 mai 2016 ni, en tout état de cause, que ces frais n'auraient pas été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie et par une assurance maladie complémentaire. Par suite, elle n'établit pas la réalité du préjudice dont elle demande la réparation.
S'agissant des dépenses liées à l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne :
14. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, dans lequel l'expert se contente d'affirmer qu'une " aide par tierce personne non spécialisée d'environ une heure par jour est envisageable ", aurait eu besoin de l'assistance d'une tierce personne pour l'aide à la toilette, l'habillage et les repas pendant la période de déficit fonctionnel partiel et, à plus forte raison, pour la période postérieure à la consolidation fixée au 22 mai 2017. Par suite, Mme B... ne justifie pas du préjudice dont elle demande la réparation.
S'agissant de l'incidence professionnelle :
15. Mme B... fait valoir que si elle a repris son activité professionnelle, d'abord à mi-temps début octobre 2016 puis à temps plein en décembre 2016, ses séquelles ont rendu son activité plus pénible et l'ont empêchée de s'investir autant que nécessaire et notamment de se déplacer en Asie, ce qui a conduit la société dont elle est associée et salariée à déposer le bilan en 2020. Elle indique également que depuis cette date, elle n'a pas pu retrouver d'activité. Toutefois, alors que l'expert judiciaire n'a retenu aucune incidence professionnelle, elle n'établit pas la réalité du préjudice qu'elle invoque au titre de la plus grande pénibilité de son travail, ni le lien entre la faute dont elle demande la réparation et la perte de son emploi. Dès lors, Mme B... n'est pas fondée à prétendre au versement d'une somme au titre de ce chef de préjudice.
Quant aux préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
16. L'expert judiciaire ayant retenu un déficit fonctionnel temporaire total durant les périodes d'hospitalisation du 30 mai au 30 juin 2016 à l'hôpital Tenon et le 25 novembre 2016 à l'hôpital Saint-Antoine soit une période de 32 jours dont six inhérents à l'intervention hors complication ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel, de 50 % du 1er juillet au 30 septembre 2016 soit durant 91 jours, et de 30 % du 1er octobre au 24 novembre 2016 soit durant 54 jours et du 26 novembre 2016 au 22 mai 2017 soit durant 177 jours, sur la base d'une indemnisation à hauteur de 500 euros mensuels, il sera faite une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme B..., après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme de 1 460 euros à ce titre.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
17. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que Mme B... subit un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 20 % du fait d'accélérations du transit, d'une récidive d'éventration et de douleurs séquellaires de l'épaule gauche avec limitations des mouvements, le retentissement psychique étant pris en considération au titre des souffrances endurées. Mme B... étant âgée de 54 ans à la date de consolidation, il en sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre, après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme de 18 400 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
18. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que Mme B... a subi des souffrances évaluées à 4 sur une échelle allant de 1 à 7 en raison de douleurs tant physiques que morales consécutives, notamment, à la durée de l'hospitalisation, aux multiples interventions chirurgicales, à la pose d'un accès vasculaire de type picc-line, au drainage per cutané sous scanner de l'abcès para colique, à la nécessité de rester allongée, à l'impossibilité de voir ses proches facilement pendant son hospitalisation et à son isolement dû à la contamination pendant son hospitalisation. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre, après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme de 7 360 euros.
S'agissant du préjudice esthétique :
19. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que Mme
B... a subi un préjudice esthétique, temporaire et permanent, évalué à 1 sur une échelle allant de 1 à 7 en raison de sa présentation allongée sur son lit avec une perfusion et des sondes urinaires, puis de la position figée de son épaule gauche en rapport avec la position algique qu'elle adopte. Il en sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre, après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme de 740 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
20. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que Mme B... a été contrainte d'abandonner la natation et la danse qu'elle pratiquait auparavant régulièrement. Il sera fait une juste appréciation de son préjudice d'agrément en lui allouant à ce titre, après application du taux de perte de chance de 92 %, la somme de 920 euros.
S'agissant du préjudice sexuel :
21. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... justifierait d'un préjudice sexuel dont elle serait fondée à demander la réparation.
S'agissant des préjudices permanents exceptionnels :
22. Mme B... soutient qu'elle a développé un sentiment de profonde méfiance à l'égard du corps médical depuis l'intervention litigieuse du 31 mai 2016. Toutefois, à supposer même que cela puisse caractériser un préjudice exceptionnel, distinct des souffrances morales mentionnées au point 18 du présent arrêt, il résulte de l'instruction, et notamment des écritures de Mme B..., que ce sentiment de méfiance est essentiellement en lien non pas avec le défaut d'information préalable et la faute médicale retenus ci-dessus, mais avec le fait qu'elle n'a pas été préalablement informée de ce qu'elle serait opérée par le docteur D... et par la diffusion des photographies de l'intervention chirurgicales sur le compte " Twitter " de ce dernier, dont elle indique que cela a provoqué chez elle " le sentiment d'avoir été considérée comme un cobaye, dont l'intégrité en tant que personne n'a pas été respectée ", dont il a été définitivement jugé qu'il n'engageait pas la responsabilité de l'AP-HP dès lors que la requérante ne pouvait pas se prévaloir d'un défaut d'information quant à la participation du docteur D..., ni soutenir utilement que son droit au respect de sa vie privée a été méconnu, alors qu'elle avait donné son accord à la diffusion d'images de l'opération dans des conditions qui ont préservé son anonymat.
S'agissant du préjudice d'impréparation :
23. Indépendamment de la perte de chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
24. Au cas d'espèce, en fixant à la somme de 5 000 euros la réparation du préjudice moral d'impréparation de l'intéressée, les premiers juges en ont fait une juste appréciation, qui n'apparaît pas insuffisante. Mme B... n'est, dès lors, pas fondée à demander qu'elle soit réévaluée.
25. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité totale de 15 000 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à Mme B... par le tribunal administratif de Paris doit être portée à la somme de 28 880 euros.
26. Par ailleurs, il y a lieu d'allouer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme totale de 50 596,27 euros, portant intérêts au taux légal, comme demandé, à compter, du 12 novembre 2019, outre l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, à laquelle elle a droit pour un montant de 1 191 euros.
Sur les frais liés à l'instance après retour de cassation :
27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, alors que la somme de 1 500 euros a déjà été mise à la charge de l'AP-HP au titre des frais liés à l'instance par l'article 5 de l'arrêt du 29 mars 2022, une somme supplémentaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a par ailleurs pas lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP la somme que la CPAM du Val-de-Marne réclame, sur le même fondement, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'indemnité de 15 000 euros que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à Mme B... par le tribunal administratif de Paris est portée à la somme de 28 880 euros.
Article 2 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, au titre de ses débours, la somme de 50 596,27 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour un montant de 1 191 euros.
Article 3 : Le jugement n° 1711919/6-3 du 9 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Copie en sera adressée à la CPSP Sourcing.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
Le rapporteur,
C. Vrignon-VillalbaLe président,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA04376