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19/11/2024 | FRANCE | N°23PA03274

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 19 novembre 2024, 23PA03274


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de sa fille B... D..., M. A... D..., M. F... D..., ses frères, et M. Bernard E..., son grand-père ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser une somme de 78 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire préalable et capitalisée, en réparation de leurs préjudices résultant de la carence de l'Etat da

ns la prise en charge de B... D... conformément aux décisions de la commission des droits e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de sa fille B... D..., M. A... D..., M. F... D..., ses frères, et M. Bernard E..., son grand-père ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser une somme de 78 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire préalable et capitalisée, en réparation de leurs préjudices résultant de la carence de l'Etat dans la prise en charge de B... D... conformément aux décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (" CDAPH ") de la Seine-Saint-Denis.

Par jugement n° 2105415 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme C... D..., en tant que représentante légale de B... D..., la somme de 5 000 euros et à Mme C... D..., en son nom propre, la somme de 1 500 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 22 février 2021 et capitalisation des intérêts échus à la date du 22 février 2022 puis à chaque échéance annuelle ultérieure et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par l'article 3 de ce jugement, le tribunal a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 juillet 2023 et 6 juin 2024, Mme C... D... agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de sa fille B... D..., M. A... D..., M. F... D..., et M. Bernard E... représentés par Me Taron, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 2105415 du 1er juin 2023 en ce que le tribunal administratif de Montreuil a limité la période de responsabilité de l'État et leur indemnisation en ne condamnant l'Etat à verser à Mme C... D..., en tant que représentante légale de B... D..., que la somme de 5 000 euros et à Mme C... D..., en son nom propre, que la somme de 1 500 euros ;

2°) de condamner l'Etat à verser 78 000 euros à Mme B... D..., à Mme C... D..., à M. F... D..., à M. A... D... et à M. Bernard E..., somme portant intérêts à compter de la réception de la demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée à raison du défaut de prise en charge de la jeune B... en raison du défaut de place en service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) du 12 juin 2014 au 31 août 2018 puis du 30 avril 2019 au 28 février 2021 ;

- ils sont recevables à solliciter une indemnisation pour la période comprise entre le 13 juin 2014 et le 31 août 2018 ;

- ils ne contestent pas la prescription de leurs créances au titre des années 2014 à 2016 ;

- les préjudices subis par B..., sa mère et son grand-père doivent être indemnisés au titre des périodes allant du 12 juin 2014 au 31 août 2018 puis du 30 avril 2019 au 28 février 2021 ;

- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de B... correspondent à son défaut de prise en charge d'une durée de sept heures hebdomadaires pendant plusieurs années et doivent être indemnisés à hauteur de 30 000 euros ;

- Mme C... D... mère de B..., a subi un préjudice financier de 18 000 euros compte tenu du manque à gagner lié à sa situation professionnelle résultant du défaut de prise en charge de sa fille en SESSAD ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à hauteur de 20 000 euros ;

- les deux frères de B... ont chacun subi des préjudices évalués à 5 000 euros ;

- M. E... a été très présent auprès de sa petite-fille entre 2014 et 2019 et est fondé à solliciter une indemnisation de ses préjudices propres à hauteur de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2024, l'agence régionale de santé d'Île-de-France conclut au rejet de la requête de Mme D... et autres.

Elle soutient que :

- les requérants n'ont pas formé de demande indemnitaire préalable s'agissant de la période allant du 12 juin 2014 au 31 août 2019 de sorte que leur demande d'indemnisation au titre de cette période est irrecevable ;

- leurs créances sont prescrites au titre des années 2014, 2015 et 2016 ;

- les indemnisations fixées par les premiers juges doivent être maintenues.

- les moyens soulevés par Mme D... et autres ne sont, pour le surplus, pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'éducation ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations des consorts D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D... a saisi la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées de la Seine-Saint-Denis pour la prise en charge de sa fille B..., née le 28 décembre 2005 qui souffre de troubles autistiques. Par décision du 13 juin 2014, cette commission a décidé, outre une orientation en milieu ordinaire avec une aide individuelle par une auxiliaire de vie scolaire à raison de quinze heures par semaine, de l'orientation de B... en établissement médico-social " Le Silence des Justes ", établissement hors nomenclature, et en service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD). Elle a ainsi été accueillie à compter du mois d'octobre 2014 au sein de l'établissement " Le Silence des Justes " sans toutefois bénéficier d'un suivi par un SESSAD. Elle a parallèlement été partiellement scolarisée en école élémentaire. Par décision du 3 novembre 2016, la CDAPH a accordé pour la scolarisation de l'enfant B... une aide humaine individuelle à raison de quinze heures hebdomadaires ainsi qu'une orientation en enseignement ordinaire à raison de 2,5 jours par semaine, temps partiel en temps partagé avec l'IME " Le Silence des Justes ". Par décision du 30 mai 2018, la CDAPH a décidé la poursuite de l'orientation de l'enfant en enseignement ordinaire avec poursuite de la scolarisation à temps partagé entre l'école élémentaire et l'établissement médico-social, aide humaine individuelle pour la scolarisation à raison de quinze heures hebdomadaires et une orientation en IME pour un accueil en semi-internat dans la section autisme pour séjour temporaire. Cette organisation a été maintenue jusqu'à ce que la CDAPH décide, le 30 avril 2019, d'orienter B... en unité localisée d'inclusion scolaire et en SESSAD et de lui accorder d'une aide humaine individuelle pour la scolarisation jusqu'au 31 août 2024. La jeune B... a été inscrite sur la liste d'attente du SESSAD de Saint-Denis à compter du 21 mai 2019 et n'a obtenu une place que le 1er mars 2021. Par courrier du 17 février 2021, reçu le 22 février suivant, sa mère, ses deux frères et son grand-père ont demandé au ministre des solidarités et de la santé l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait de la carence de l'Etat dans la prise en charge adaptée de l'enfant et une décision implicite de rejet leur a été opposée. Par jugement du 1er juin 2023, dont Mme C... D... agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de sa fille B... D..., M. A... D..., M. F... D... et M. Bernard E... relèvent partiellement appel en tant que leurs prétentions n'ont pas été entièrement satisfaites, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme C... D..., en tant que représentante légale de B... D..., la somme de 5 000 euros et à Mme C... D..., en son nom propre, la somme de 1 500 euros.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense par l'agence régionale de santé d'Île-de-France :

2. Aux termes des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au paiement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif.

4. Il résulte de l'instruction que, ainsi que le fait valoir l'agence régionale de santé d'Ile-de-France dans un mémoire dont les requérants ont eu communication, si ces derniers ont, par courrier du 17 février 2021, reçu le 22 février suivant, demandé au ministre des solidarités et de la santé l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la carence de l'Etat dans la prise en charge adaptée de la jeune B..., cette demande ne concernait que la période comprise entre le 1er mai 2019 et la date à laquelle un accueil en SESSAD serait effective. Or, l'intervention des différentes décisions d'orientation antérieures qui ont été prises par la maison départementale des personnes handicapées jusqu'à celle du 30 avril 2019 ne permet pas de considérer, contrairement à ce que soutiennent les requérants, que leur demande préalable d'indemnisation précitée pourrait être regardée comme étant rattachée au même fait générateur que celui lié à la décision du 30 avril 2019. Ainsi, en l'absence de liaison du contentieux portant sur la prise en charge de l'enfant en SESSAD du 12 juin 2014 au 30 avril 2019, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée en ce sens en défense. Par suite, les conclusions indemnitaires, d'ailleurs présentées pour la première fois en appel, portant sur la période allant du 12 juin 2014 au 30 avril 2019 doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur l'engagement de la responsabilité de l'État concernant la période allant du 1er mai 2019 au 28 février 2021 :

5. L'agence régionale de santé d'Ile-de-France ne conteste pas l'engagement de la responsabilité de l'État en raison de sa carence fautive dans la prise en charge de la jeune B... en SESSAD après la décision du 30 avril 2019 prise par la CDAPH de la Seine-Saint-Denis. La circonstance, invoquée par les requérants, selon laquelle la prise en charge partielle de l'enfant en Ulis collège, dans un établissement privé sous contrat faute de place dans le secteur public n'a pu avoir lieu qu'en raison de l'opiniâtreté de sa mère et non grâce aux services de l'éducation nationale n'est, en tout état de cause, pas de nature à modifier l'engagement de cette responsabilité pour défaut de prise en charge en SESSAD qui est déjà pleine et entière.

Sur les préjudices subis :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la jeune B... n'a pas été prise en charge en SESSAD du 1er mai 2019 au 28 février 2021, soit pendant sept heures hebdomadaires au cours de ces vingt-deux mois. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en lui allouant à ce titre la somme de 5 000 euros.

7. En deuxième lieu, si Mme C... D..., la mère de B..., se prévaut à nouveau en appel de l'existence d'un préjudice financier de 18 000 euros compte tenu du manque à gagner lié à sa situation professionnelle et résultant du défaut de prise en charge de sa fille en SESSAD, elle se borne à produire un extrait d'une fiche d'évaluation datée d'octobre 2019 qui indique qu'elle a été affectée à sa demande et pour des raisons familiales à des tâches administratives, sans apporter aucune justification relatives aux fonctions qu'elle exerçait, à la date et aux modalités de son recrutement, à l'identité de son employeur, aux conditions de sa rémunération et à la durée de son engagement. Ce faisant, elle ne peut être regardée comme établissant l'existence d'un lien de causalité entre ce défaut de prise en charge et le fait qu'elle n'a pas pu continuer l'exercice de ses fonctions de policier municipal. En revanche, compte tenu de la durée et des circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de porter la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence au cours de ces vingt-deux mois d'absence de prise en charge à raison de sept heures hebdomadaires, à la somme de 2 000 euros.

8. En troisième lieu, eu égard à la durée de vingt-deux mois au cours duquel il s'est prolongé et à ses conséquences pour la mère et la sœur de M. A... D... et M. F... D..., qui sont tous deux domiciliés à l'adresse de Mme D..., le défaut de prise en charge de l'enfant est également à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence pour les intéressés. Il résulte de l'instruction que, contrairement à la fin de non-recevoir opposée en première instance aux conclusions de ces derniers, la demande indemnitaire préalable adressée à l'administration portait bien, également, sur leurs préjudices propres. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste évaluation de la réparation de ces préjudices en leur allouant à ce titre la somme de 800 euros à chacun.

9. En dernier lieu, si M. E... établit qu'il a été très présent auprès de sa petite-fille entre 2014 et 2019 en produisant l'attestation la directrice de l'école de cette dernière, il ne démontre toutefois pas qu'il aurait subi un préjudice qui serait indemnisable au cours de ces vingt-deux mois d'absence de prise en charge sept heures hebdomadaires de B....

10. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts D... sont seulement fondés à demander que l'indemnité allouée à Mme C... D... soit portée à la somme de 2 000 euros et que l'Etat soit condamné à verser à M. A... D... et M. F... D... la somme de 800 euros chacun.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

11. Les requérants ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme qui leur est due à compter du 22 février 2021, date de réception de la réclamation préalable ainsi que la capitalisation des intérêts à compter du 22 février 2022, date à laquelle a été due une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme totale de 2 000 euros à verser aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le principal de la somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme C... D..., en son nom propre, par l'article 1er du jugement du 1er juin 2023 est porté à la somme de 2 000 euros.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... D... et à M. F... D... la somme de 800 euros chacun. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 22 février 2021. Les intérêts échus à la date du 22 février 2022 puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n° 2105415 du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera aux requérants la somme totale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., à Mme C... D..., à M. F... D..., à M. A... D..., à M. Bernard E..., au ministre de la santé et de l'accès aux soins et à l'agence régionale de santé d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.

La rapporteure,

A. Collet La présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA03274


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03274
Date de la décision : 19/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TARON

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-19;23pa03274 ?
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