Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) LS Conseils a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de l'amende à laquelle elle a été assujettie sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts au titre des années 2014 et 2015.
Par un jugement n° 2021173 du 3 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 21 février 2023 et 7 décembre 2023, la SARL LS Conseils, représentée par Me Rolland, avocat, demande à la Cour :
1°) d'infirmer le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 janvier 2023 ;
2°) de prononcer la décharge de l'amende à laquelle elle a été assujettie sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts pour un montant de 37 680 euros au titre de l'année 2014 et de 842 euros au titre de l'année 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens ;
4°) de maintenir le sursis de paiement demandé par réclamation contentieuse du 1er mars 2019, en application de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales.
Elle soutient que :
- le caractère inintelligible de la motivation de l'amende en litige retenue par l'administration est assimilable à un défaut de motivation et l'a privée par voie de conséquence de présenter des observations pertinentes ;
- le délai supplémentaire de réponse à la proposition de rectification qui lui a été accordé à titre exceptionnel par l'administration le 18 septembre 2017 devait s'appliquer aux redressements proposés comme à la désignation des bénéficiaires des revenus réputés distribués ; en distinguant le délai de réponse à la proposition de rectification et le délai de désignation des bénéficiaires des revenus distribués, l'administration fiscale a méconnu les paragraphes 230 et 240 de la circulaire fiscale référencée BOI-CF-IOR-10-50 et le principe de loyauté ;
- sa réponse à la demande de désignation des bénéficiaires des revenus distribués adressée le 5 octobre 2017, ne pouvait être considérée comme tardive. Elle avait justifié de circonstances exceptionnelles assimilables à un cas de force majeure conformément au paragraphe 270 de la circulaire administrative précédemment visée ayant fait obstacle à ce que la demande de prorogation intervienne dans le délai initial ;
- à supposer que ce délai supplémentaire exceptionnel puisse être regardé comme une mesure purement gracieuse, les mêmes garanties que dans le cadre d'une procédure classique à laquelle s'applique les paragraphes 230 et 240 de la circulaire fiscale référencée
BOI-CF-IOR-10-50, devaient lui être accordées ;
- sa réponse à la demande de désignation des bénéficiaires des revenus distribués, claire et précise, était suffisante et avait pour unique objet de couvrir l'hypothèse où il s'avérerait que les sommes en litige n'avaient pas été engagées dans l'intérêt de la société. L'appréciation de cette réponse par le service est contraire au paragraphe 340 de la circulaire fiscale référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-40 et au principe de loyauté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Une pièce, enregistrée le 1er juillet 2024, a été produite par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en réponse à une mesure d'instruction formée sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Des pièces complémentaires, enregistrées le 12 juillet 2024, ont été produites pour la SARL LS Conseils en réponse à cette même mesure d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations de vérification de comptabilité de la SARL LS Conseils, qui exerce une activité de coordination en matière de sécurité sur des chantiers, l'administration fiscale lui a notifié, par une proposition de rectification du 21 juillet 2017, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2014 et 2015. Le service, ayant considéré que des dépenses n'avaient pas été engagées dans l'intérêt de la société au cours des deux années contrôlées, a également sollicité, en application de l'article 117 du code général des impôts, la désignation du ou des bénéficiaires de ces revenus réputés distribués imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts. A la suite de la réponse adressée par la société le 5 octobre 2027, l'administration lui a notifié, par un courrier du 9 novembre 2017, l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Par un courrier du 21 février 2018, le service a répondu aux observations présentées le 21 février 2018. L'amende a été mise en recouvrement le 31 janvier 2019 à hauteur de la somme globale de 38 522 euros. Par la présente requête, la SARL LS Conseils relève régulièrement appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette amende.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " (...) Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations ". Aux termes de l'article 117 du code général des impôts : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ". Aux termes de l'article 1759 du même code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées (...) ".
3. Les dispositions visées au point précédent instaurent une pénalité fiscale sanctionnant le refus par une personne morale de révéler l'identité des bénéficiaires d'une distribution de revenus. Cette pénalité est distincte de l'impôt sur les sociétés et ne peut être regardée comme une pénalité correspondant à cet impôt. La personne sanctionnée par cette pénalité peut contester son principe, son montant et la procédure propre à la pénalité. En revanche, elle ne peut utilement se prévaloir de moyens relatifs à la procédure d'imposition ayant conduit à mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.
4. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a remis en cause des dépenses de cadeaux et des frais de réception non engagées dans l'intérêt de la société pour des montants de 37 690 euros en 2014 et de 1 119 euros en 2015 ramenés à la somme de 842 euros à la suite du recours hiérarchique exercé par la société. Le service a considéré que ces dépenses constituaient des revenus distribués sur le fondement des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts. Elle a ainsi demandé à la société LS Conseils, à l'appui de la proposition de rectification du 21 juillet 2017, d'indiquer dans un délai de trente jours l'identité des bénéficiaires des distributions et a précisé qu'à défaut de réponse dans ce délai, ou en cas de réponse évasive, imprécise ou dilatoire, l'amende prévue à l'article 1759 du même code lui serait appliquée. Il est constant que la proposition de rectification comportant la demande de désignation des bénéficiaires de ces revenus a été présentée au siège social de la société LS Conseils le 25 juillet 2017 et que le pli a été retourné au service avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'en réponse à une demande formulée par la société le 14 septembre 2017, l'administration fiscale a, le 18 septembre 2017 renouvelé l'envoi de la proposition de rectification incluant la demande de désignation du ou des bénéficiaires des revenus réputés distribués sans préciser que le délai de cette mise en demeure n'était pas renouvelable de droit et était autonome du délai de réponse à la proposition de rectification. En renouvelant cette demande de désignation, l'administration a ouvert un nouveau délai de réponse de trente jours à la SARL LS Conseils, laquelle a répondu le 5 octobre 2017, soit dans le délai qui lui était réservé pour ce faire.
5. En second lieu, et ainsi qu'il vient d'être dit, en réponse à la demande de désignation du ou des bénéficiaires des revenus réputés distribués, la SARL LS Conseils a, par lettre du 5 octobre 2017, communiqué le nom de Mme A... gérante et associée majoritaire de cette société, ainsi que son adresse et précisé le total des sommes correspondant à des cadeaux et frais de réception au titre de chacun des exercices contrôlés. Cette réponse adressée par le conseil mandaté par la société, qui n'était pas tardive pour les motifs énoncés au point précédent, ne nécessitait aucunement la signature de Mme A... en sa qualité de gérante ou à titre personnel. Si la société a précisé dans sa réponse que cette désignation était donnée à titre conservatoire afin d'éviter l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 du code général des impôts et n'emportait pas la présomption d'identité du bénéficiaire, ces éléments d'information, qui ne présentaient aucune ambiguïté ou contradiction dans leurs énonciations, étaient suffisamment précis et présentaient un caractère de vraisemblance suffisant pour permettre à l'administration, qui connaissait les fonctions exercées par Mme A... et sa participation de détention du capital social à hauteur de 99,98 %, de rechercher si cette dernière avait effectivement bénéficié de cette distribution. Dans ces conditions, la réponse de la SARL LS Conseils ne pouvait être assimilée à un défaut de réponse à la demande de désignation qui lui avait été adressée. Par voie de conséquence, la SARL LS Conseils est fondée à soutenir que le service ne pouvait lui infliger l'amende prévue par les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SARL LS Conseils est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 3 janvier 2023 et à demander la décharge de l'amende prononcée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL LS Conseils et non compris dans les dépens. En revanche, aucuns dépens n'ayant été engagés dans la présente instance, les conclusions de la SARL LS Conseils tendant à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de l'Etat doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris n° 2021173 du 3 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : La société LS Conseils est déchargée de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts au titre des années 2014 et 2015.
Article 3 : L'Etat versera à la société LS Conseils la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée LS Conseils et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administratrice des finances publiques chargée de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et de Paris (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 novembre 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00753