Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme totale de 44 596 452 francs CFP en réparation des préjudices subis du fait du rejet de sa demande d'intégration dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie au titre de la résorption de l'emploi précaire.
Par un jugement n° 2200295 du 11 mai 2023, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la Nouvelle-Calédonie à verser à M. B... une somme de 20 000 000 francs CFP, outre 180 000 francs CFP au titre des frais de l'instance.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2023 la Nouvelle-Calédonie, représentée par Me Million, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200295 du 11 mai 2023 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant de l'indemnité mise à sa charge à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé pour avoir omis de répondre aux moyens soulevés dans sa note en délibéré ;
- M. B... n'ayant pas travaillé à temps complet, il ne pouvait être admis à présenter sa candidature à l'intégration dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ;
- il n'est pas établi que M. B... disposait d'une chance sérieuse d'être intégré s'il avait été admis à candidater ;
- les créances dont se prévaut M. B... sont atteintes par la prescription quadriennale ;
- la perte de rémunération indemnisée par le Tribunal n'est pas établie ;
- la perte éventuelle des droits pécuniaires à pension de retraite indemnisée serait inférieure à celle indemnisée par le Tribunal ;
- le préjudice moral indemnisé par le Tribunal n'est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2024 M. B... représenté par Me Boiteau, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la Nouvelle-Calédonie ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter l'indemnisation de sa perte de rémunération à la somme de 31 millions de francs CFP, l'indemnisation de son préjudice de retraite à la somme de 29 596 452 francs CFP, l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 5 000 000 de francs CFP et l'indemnisation de son préjudice de carrière à la somme de 4 000 000 francs CFP ;
3°) de mettre le versement de la somme de 6 000 euros à la charge de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés ;
- le moyen tiré de la prescription de sa créance est nouveau en appel et par suite irrecevable ;
- sa créance n'est pas prescrite ;
- le Tribunal n'a pas fait une exacte appréciation de ses préjudices.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi 99-210 du 19 mars 1999 ;
- la loi du pays n° 2016-18 du 19 décembre 2016 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la délibération n° 380 du 11 juin 2003 ;
- la délibération n° 217 du 29 décembre 2016 ;
- l'arrêté 2017-465/GNC du 21 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par un premier contrat de travail conclu le 5 octobre 1993 à compter du 1er août 1993 en qualité d'enquêteur de statistiques agricoles auprès de la direction de l'agriculture et de la forêt de la Nouvelle-Calédonie et a bénéficié d'un second contrat de travail à temps partiel et à durée indéterminée le 4 février 2002, ayant fait l'objet de 14 avenants pour l'exercice de fonctions identiques. Les candidatures qu'il a présentées pour une intégration dans la fonction publique calédonienne, en 2007 par la voie du concours réservé d'adjoint administratif, puis en 2017 par la voie du dispositif prévue pour la résorption de l'emploi précaire ont été écartées par la Nouvelle-Calédonie au motif qu'il occupait un emploi à temps non complet. Par un jugement du 23 février 2021, devenu définitif, le tribunal du travail de Nouméa, saisi par M. B..., ayant requalifié son contrat de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet. M. B... a formé une réclamation préalable le 23 mars 2022 aux fins d'indemnisation des préjudices subis du fait du rejet de ses candidatures pour un montant de 29 596 452 francs CFP, qui a donné lieu à une décision implicite de rejet. Par un jugement du 11 mai 2023, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la Nouvelle-Calédonie à verser à M. B..., en réparation des préjudices causés par l'illégalité des décisions de refus opposées en 2007 et 2017, une somme totale de 20 millions de francs CFP. La Nouvelle Calédonie relève appel de ce jugement pour demander le rejet de la demande de M. B... ou, subsidiairement, la réduction de l'indemnité mise à sa charge, M. B... demandant par la voie de l'appel incident que le total de l'indemnité mise à la charge de la Nouvelle-Calédonie soit porté à la somme de 29 596 452 francs CFP.
Sur la régularité du jugement :
2. Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
3. Il ressort des pièces du dossier que la Nouvelle-Calédonie a produit une note en délibéré le 26 avril 2023, après l'audience du 25 avril 2023, et avant la mise à disposition du jugement le 11 mai 2023. Si cette note en délibéré comporte pour la première fois des éléments et arguments chiffrés sur le montant des traitements perçus par M. B... antérieurement à 2021, elle ne contenait ni l'exposé d'une circonstance de fait dont la Nouvelle-Calédonie n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction, ni l'exposé d'une circonstance de droit nouvelle, et, par suite, le Tribunal n'était pas tenu de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans cette note. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en tant qu'il n'a pas répondu à ces éléments doit être écarté.
Sur la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie :
4. Alors que le jugement du 23 février 2021 du tribunal du travail de Nouméa compétent a qualifié le contrat de travail liant M. B... à la Nouvelle-Calédonie de contrat à durée indéterminée à temps complet, la Nouvelle-Calédonie, qui n'a pas relevé appel de ce jugement, ne critique pas sérieusement cette qualification en se bornant à faire valoir que la notion de temps complet au sens des textes relatifs aux procédures d'intégration dans la fonction publique n'est pas identique, et à décrire les missions confiées à M. B... ainsi que la liberté d'organisation dont il disposait pour les effectuer, alors que son contrat de travail ne mentionnait aucune quotité de temps de travail et que ses bulletins de salaire mentionnaient un temps complet, aucun élément ne permettant de renverser la présomption de temps complet qui s'attache à de telles mentions. Dans ces conditions, la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a considéré que les décisions de 2007 et de 2017 écartant la candidature de M. B... au seul motif qu'il était employé à temps incomplet étaient entachées d'une illégalité.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la période indemnisée :
5. Il est constant que l'intégration dans la fonction publique calédonienne n'est pas de droit pour les agents employés par un contrat à temps complet et qu'elle était conditionnée, en 2007, aux résultats d'un concours réservé prévu par les dispositions de la délibération du 11 juin 2003 portant mesures exceptionnelles d'intégration dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et, en 2017, à l'appréciation d'un jury d'évaluation professionnelle prévu par les dispositions de la loi du pays du 19 décembre 2016 relative à la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie.
6. Il résulte de l'instruction que, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, en 2017, 59 % de l'ensemble des candidats et 70 % de ceux qui se sont présentés au concours réservé d'adjoint administratif ont été admis à l'issue de la procédure prévue au titre de la résorption de l'emploi précaire mise en œuvre par la loi du pays du 19 décembre 2016. Dans ces conditions, la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a considéré que M. B..., alors employé depuis près de 15 années dans les mêmes fonctions, devait être regardé comme ayant été privé, en conséquence de la faute commise par la Nouvelle-Calédonie, d'une chance sérieuse d'intégration en 2017.
7. La Nouvelle-Calédonie n'est par ailleurs pas recevable à invoquer, pour la première fois en appel, la prescription de la créance de M. B... en application de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, dès lors que l'article 7 de cette loi dispose que " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".
8. En revanche il résulte également de l'instruction, et notamment des éléments produits en appel, que seuls 27 % des candidats au concours réservé ont été admis lors de la session 2007 de la procédure exceptionnelle d'intégration, et que M. B..., qui ne justifiait alors que de 5 années d'ancienneté dans ses fonctions et à qui il incombe d' établir l'existence du préjudice dont il demande réparation, n'établit pas, par ses seules affirmations, qu'il aurait perdu en 2007 et avant 2017, faute d'autres candidatures de sa part, une chance sérieuse d'intégration dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie. En conséquence, la Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à indemniser les pertes de rémunération ainsi que les pertes de droit à pension de retraite et le préjudice de carrière subis par M. B... entre 2007 et 2017.
En ce qui concerne les pertes de rémunération :
9. Il résulte de l'instruction, et notamment des éléments produits en appel, que M. B... avait vocation, à partir de la fin de l'année 2017, à être intégré dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie en qualité d'adjoint administratif, et que compte tenu des possibilités de reprise d'ancienneté prévues par l'article 11-1 de la délibération n° 217 du 29 décembre 2017, cette intégration aurait été prononcée au 3ème échelon de ce grade. Compte tenu du traitement afférent à cet échelon et aux échelons suivants, de la durée moyenne dans chaque échelon, ainsi que de la rémunération effectivement perçue par M. B... sur la même période en exécution de son contrat de travail, dont, contrairement au calcul effectué par la requérante, il y a lieu de retrancher une quotité de 50 % correspondant, contractuellement, à des remboursements de frais professionnels non soumis à cotisations, la Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que la somme de 10 millions de francs CFP à laquelle elle a été condamnée en réparation de ce préjudice est excessive. Il sera fait une juste appréciation de la perte de rémunération nette subie par M. B... entre 2018 et mai 2022, date à laquelle il a bénéficié contractuellement d'une rémunération supérieure à celle qu'il aurait perçue en tant qu'adjoint administratif à cette même date, par l'allocation d'une somme de 2 millions de francs CFP.
En ce qui concerne le préjudice de carrière :
10. Compte tenu de ce que M. B... n'a perdu une chance sérieuse d'intégration en qualité d'adjoint administratif au 3ème échelon qu'à compter de la fin de l'année 2017 et qu'il a été admis à la retraite le 1er juin 2024, et compte tenu de la durée moyenne d'ancienneté dans chaque échelon de ce corps, la Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que M. B... n'a perdu aucune chance sérieuse d'un déroulement de carrière jusqu'au grade d'adjoint principal à l'échelon 12, aucun élément n'établissant en outre que l'accès à ce grade se faisait sur le seul fondement de l'ancienneté. La Nouvelle-Calédonie est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal l'a condamnée à verser à M. B..., sur ce fondement, une somme de deux millions de francs CFP.
En ce qui concerne la perte de droits à pension de retraite :
11. Contrairement à ce que soutient la Nouvelle-Calédonie, compte tenu de sa perte de chance sérieuse de percevoir des rémunérations soumises à cotisations supérieures à compter de 2018 M. B..., né en 1958 et dont le départ à la retraite est intervenu le 1er juin 2024, a également perdu une chance sérieuse de bénéficier d'une pension de retraite supérieure. M. B... ne produisant pas plus en appel qu'en première instance des simulations exactes du montant de cette perte, qui doit être calculée sur la base d'une intégration au 3ème échelon d'adjoint administratif en 2017, la Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que l'indemnité de 7 millions de francs allouée par les premiers juges est excessive. Compte tenu de l'échelon d'intégration que M. B... a perdu une chance d'obtenir, de la progression moyenne qui aurait été la sienne dans le corps des adjoints administratifs et de l'âge et de l'espérance de vie de M. B..., il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 400 000 francs CFP.
En ce qui concerne le préjudice moral :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de réformer le montant de l'indemnisation du préjudice moral subi par M. B..., dont il sera fait une juste appréciation en condamnant la Nouvelle-Calédonie à verser à M. B... la somme de 500 000 de francs CFP.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la Nouvelle-Calédonie est seulement fondée à demander que l'indemnité totale mise à sa charge par le jugement attaqué au profit de M. B... soit ramenée de la somme de 20 millions de francs CFP à la somme de 2 900 000 francs CFP, les conclusions incidentes de M. B... devant être rejetées.
Sur les frais de justice :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme que la Nouvelle-Calédonie demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité que la Nouvelle-Calédonie a été condamnée à verser à M. B... par le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est ramenée de la somme de 20 millions de francs CFP à la somme de 2 900 000 francs CFP.
Article 2 : Le jugement n° 2200295 du 11 mai 2023 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Nouvelle-Calédonie et à M. A... B....
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAYLe greffier,
C. MONGIS La République mande et ordonne au ministre chargé des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02845